Gestion de la pression vulpin grâce aux couverts végétaux
Pour faire face à la problématique vulpin, Maxime Schivre et Pierre-Yves Lhermey ont mis en place un itinéraire technique basé sur une couverture des sols maximale grâce aux couverts végétaux, une rotation bien réfléchie qui permet de nettoyer les sols, et grâce à l'agriculture de conservation des sols.
Présentation
- Nom: Maxime Schivre.
- Localisation : Demange-aux-Eaux, Meuse (55).
- Statut : Agriculteur. Associé avec Pierre-Yves Lhermey. La ferme était au père de Pierre-Yves et quand il est parti à la retraite, comme Maxime était apprenti chez eux, il lui ont proposé de reprendre la ferme avec Pierre-Yves.
- Exploitation : EARL Devise.
- SAU : 270 ha.
- UTH : 2.
- Cahier des charges : Au cœur des sols (250 ha) et AB pour les prairies temporaires (20 ha).
- Production : Colza (50 ha), blé (45 ha), orge de printemps (OP) (45 ha), orge d’hiver (OH) (44 ha), Luzerne (55 ha), pois (10 ha),prairie temporaire (20 ha).
- Sol : Argilo-calcaire superficiel.
- Climat : Continental. L'exploitation est située à 400 m d'altitude.
- Commercialisation : Toutes les céréales sont vendues à la coopérative. La luzerne est vendue sur pieds à 2 éleveurs et la prairie temporaire est vendue sur pieds à 1 éleveur bio.
- Autres activités : Maxime fait partie de la coopérative VIVESCIA, du GIEE MAGIEE (thématique ACS) et du réseau DEPHY de la Chambre d'Agriculture de la Meuse.
Motivations
Le vulpin était de plus en plus problématique à cause des résistances aux matières actives des herbicides, s’ils loupaient le désherbage d’automne, ils n’avaient pas de rattrapage possible au printemps. Donc au lieu d’aller droit dans le mur, ils ont décidé de changer radicalement leurs pratiques.
A l'époque, le père de Pierre-Yves a été motivé par le fait de remettre le sol au milieu de la réflexion. Le marqueur agronomique était important. En améliorant le sol, on améliore les cultures. Ils en sont arrivés aux couverts permanents un peu par hasard, car comme ils ne travaillent plus les sols et qu’ils ont implanté de la luzerne, au fur et à mesure des années, elle repousse et joue le rôle de couverture permanente.
Leur objectif n'est pas d'exploser les scores en termes de rendements, mais plutôt de les lisser, car sur une même parcelle de blé ou d'orge, ils allaient de 35 à 80 qtx. Leur objectif est de 60 qtx tous les ans.
Historique de l'exploitation
- Dans les années 70 : La ferme faisait 700 ha, elle appartenait au père de son ancien patron (le grand-père de Pierre-Yves).
- Dans les années 80 : Début des techniques culturales simplifiées (TCS).
- 2008 :
- Partage de l'exploitation entre le père et l'oncle de Pierre-Yves au décès du grand-père.
- Arrivée de Maxime en tant qu’apprenti.
- Début des couverts et du semis direct (SD) car le vulpin était de plus en plus problématique.
Ils ont été épaulés par Jean-Luc Forler (CA 57), ils ont commencé tout doucement en travaillant de moins en moins le sol et en implantant plus de couverts. Ils déchaumaient toujours profondément, mais en mettant des couverts, puis le déchaumage a été moins profond, mais avec plus de couverts.
- 2012 : Investissement dans un strip-till pour moins toucher les sols, pendant 3-4 campagnes. Quand ils ont jugé que le sol était prêt, ils l’ont revendu et ont acheté un semoir de semis direct.
- 2015 :
- Achat du semoir doubles disques inclinés un Weaving et 1er semis direct avec.
- Création du GIEE MAGIEE (Meilleure Agriculture autour de Gondrecourt à Intérêt Economique et Environnemental) avec plusieurs agriculteurs du secteur, ainsi qu’une CUMA avec laquelle ils ont acheté 3 semoirs Weaving, 3 à 6 m, avec lesquels ils couvrent 800 ha par an.
Étapes de mise en place
- En 2008 :
- Pour partir sur de bonnes bases, ils ont "broyé du caillou" avant de commencer le semis direct. Suite à ce labour, ils ont vendu tout le matériel de travail du sol pour être sûrs de ne pas revenir en arrière.
- Les 1ers couverts étaient composés de vesce et avoine, ils laissaient aussi les repousses de colza.
- Puis ils ont mis en place une plateforme d’essai avec VIVESCIA pour tester différents couverts : vesce velue et moutarde d'Abyssinie, c’est ce qui a le mieux rendu.
- En 2015 :
- Le SD sous couvert pur a commencé, ils ont alors mis en place des couverts en interculture longue.
- La rotation à l’époque : Colza, blé, orge d’hiver, orge de printemps, pois de printemps, un peu de trèfle incarnat en multiplication de semences. Pas de luzerne et pas de prairie temporaire. Ils ont tout essayé, tournesol, pois d’hiver, phacélie ils ont aussi allongé les rotations. Mais face aux échecs rencontrés, ils ont décidé de se concentrer sur ce qu’ils savaient faire.
- En 2018 :
- Ils ont remis de la luzerne, qui pousse très bien chez eux (historiquement ce sont des terres à moutons). Elle est intégrée à la rotation et est vendue à un éleveur. Elle a pour avantage de nettoyer les champs car elle reste 3 ans sur place.
- Pour les parcelles en céréales : Pour celles qui étaient en précédent luzerne, une fois la céréale fauchée, la luzerne repousse. Et pour les autres parcelles, ils mettent un couvert d’interculture longue entre le blé et l’orge de printemps composé de féverole et du mélange multi espèces OPTI Mix du GIEE MAGELLAN (phacélie, nyger, trèfle d'Alexandrie, radis chinois, moutarde d'Abyssinie). Ce couvert est ensuite détruit au glyphosate pour ressemer une autre céréale derrière.
- Depuis 2019 : Implantation de 3 kms de haies entre chaque bloc de parcelle. Les haies sont sur les bords et ne gênent pas les passages d’engins. Le choix des essences a été fait en fonction du sol et de ce qui pousse dans le secteur. Elles sont composées d’une strate basse et d’arbres de haut jet tous les 6 m, avec une bande enherbée (trèfle, fétuque) broyée 1 fois / an de 2,5 m de chaque côté pour pouvoir passer avec un véhicule.
Rotation
Cliquez sur le nom des cultures pour voir le détail de l'itinéraire.
Assolement 2023-2024
Résultats
- Au début ils avaient gardé une parcelle témoin pour mesurer l'impact des nouvelles pratiques, mais ils ont abandonné car ça les dégoûtait de travailler les sols alors qu’avec l’ACS ça marchait bien. Ils comparent un peu avec le voisin mais comme il n’a pas du tout les mêmes pratiques c’est difficile de juger.
- Le sol a plutôt bien réagi, car depuis qu'ils sont passés à l'ACS, ils ont reconstitué la réserve utile de leurs sols, qui maintenant résistent 15 jours de plus à la sécheresse comparé à avant.
- Au niveau sanitaire, les résultats sont étonnants, ça fait 10 ans qu’ils ne mettent plus d'anti-limaces ni d’insecticides, toutes cultures confondues. Il y a un meilleur écosystème avec le non travail du sol, les couverts, les haies et les bandes enherbées. Il y a un équilibre entre les bioagresseurs et leurs prédateurs.
- La pression vulpin a grandement diminuée, mais en contrepartie, ils observent l'arrivée du brome. Il ne faut donc pas relâcher la surveillance.
- Une évaluation type méthode MERCI a été faites par Maxime l’année dernière, mais les résultats sont affolants en termes d'UN (60 UN restitués sur le mix de couverts Magellan) il pense avoir fait une erreur de calcul, il refera une analyse l’année prochaine.
- L'IFT herbicide a diminué de 0,2 et l'IFT hors herbicide a été diminué de 25 à 50 % car ils n'utilisent plus d'anti-limaces ni d'insecticides.
- Voici les résultats d'analyses de sols réalisées en 2009, 2013 et 2020, sur la parcelle "Plain lieux" :
2009 | 2013 | 2020 | |
---|---|---|---|
Limon fin | 382 ‰ | ||
Limon grossier | 202 ‰ | ||
Sable fin | 30 ‰ | ||
Argile | 355 ‰ | ||
pH eau | 7,8 | 8,1 | 8,1 |
Calcaire total | 55 % | 36 % | 11,50 % |
MO | 3,86 % | 4,1 % | 5,1 % |
Calcaire organique | 2,244 | 2,38 | 3 |
CEC | 20 mEq/kg | 250 | |
Bore | 0,82 mg/kg | 1,03 mg/kg | 0,27 mg/kg |
Manganèse | 10,7 mg/kg | 15,7 mg/kg | 21,5 mg/kg |
Zinc | 1 mg/kg | 1,4 mg/kg | 2,5 mg/kg |
Cuivre | 0,7 mg/kg | 0,7 mg/kg | 1 mg/kg |
P2O5 | 117 mg/kg | 61 mg/kg | 36 mg/kg |
K2O | 447 mg/kg | 512 mg/kg | 352 mg/kg |
MgO | 134 mg/kg | 167 mg/kg | 174 mg/kg |
CaO | 11910 mg/kg | 12510 mg/kg | 13080 mg/kg |
Bilan
Les objectifs de contrôle du vulpin et de l'amélioration des sols sont atteints. L'ACS a montré de bons résultats dès la 1ère année. Le chemin parcouru jusqu'à aujourd'hui n’a pas été trop mal, vu les résultats, donc pas de regret ! Si c'était à refaire, ils commenceraient juste plus tôt le semis direct.
Les difficultés rencontrées
- Quand ils ont commencé, ils ont acheté un semoir à dents Seed Hawk de chez Väderstad, mais ils se sont rendus compte qu’avec ce type de semoir, le vulpin se développait sur la trace de la dent là où le sol était bougé. Ils sont alors passés à un semoir double disques qui remue moins la terre. Il ne faut pas relâcher la surveillance même s’ils ont une moins grosse pression vulpin maintenant.
- Depuis 2 ans ils ont une pression brome, qu’ils gèrent en broyant les endroits où il y a beaucoup de ronds pour éviter qu’ils se multiplient, ils tapent plus fort sur les antigraminées dans les colzas, ils font systématiquement des anti-brome dans les blés et dans la luzerne, ils ne font plus d’impasse sur le Kerb Flo.
- Tous les ans ils se remettent en question, ils se demandent s'ils doivent continuer la rotation. Ils font aussi des courbes de réponse à l’azote sur blé et orge d’hiver, ce qui leur a permis de voir qu’au dessus de 150 UN en blé, il n’y a pas grand chose à gagner et en orge d'hiver, c’est au dessus de 120 UN. Quand ils se sont lancés, il fallait beaucoup d’azote pour digérer les pailles, c’est pour ça, qu’ils ont beaucoup de couverts à base de légumineuses.
Les opportunités rencontrées
- Le but au départ était de vendre la luzerne, la surprise a été qu’après la récolte du blé suivant, elle ressorte dans le couvert entre le blé et l’orge de printemps. Elle joue alors un rôle de couvert vivant qui tient sur 2-3 ans.
- En décalant un peu les dates de semis du blé, ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient gérer plus facilement les repousses de vulpin au glyphosate qu’en désherbage au moment du semis.
Les avantages des pratiques mises en place
- Economique : Ils gèrent plus les charges de mécanisation, la consommation de fuel/an a été divisée par 2 par rapport à quand ils étaient en conventionnel et ils n'achètent plus d'anti-limaces ni d'insecticides.
- Environnemental :
- Arrêt des anti-limaces et des insecticides
- Plus de biodiversité grâce aux haies et bandes enherbées.
- Social :
- C’est bien de pouvoir dire qu’ils utilisent peu de produits phytosanitaires.
- Ils ont plus de temps pour leur famille, malgré des pointes de travail en été car les moissons et les semis sont en même temps, mais il y a plus de temps passé à observer les champs qu’à être dans le tracteur.
Les points de vigilance
Ils se posent beaucoup de questions sur le désherbage avec le réseau DEPHY auquel ils appartiennent, mais ils se rendent compte que lorsqu’ils diminuent trop le désherbage, ça va 2-3 ans mais après ils doivent ré-augmenter car les champs se re-salissent. Il ne faut pas laisser retomber la pression, il faut savoir traiter quand il faut.
Les relations avec les autres agriculteurs
Il y a de tout, il y en a qui ont été convaincus dès le départ et qui ont fondé le GIEE MAGIEE avec eux, et d’autres qui ne comprennent pas comment ils arrivent à avoir les mêmes récoltes qu’eux, mais en étant beaucoup moins dans les champs. Ceux-là ne remettent pas en question leurs pratiques pour autant. La peur de prendre des risques est bien présente.
Au niveau financier
Orge d'hiver
En 2023 la surface était de 61,12 ha.
- Les coûts (€/ha) :
- Couverts : 20,25.
- Semences : 54,79.
- Engrais : 360,66.
- Herbicides : 100,74.
- Fongicides : 31,98.
- Rendement : 6,6 t.
- Prix de vente : 207,85 €/t.
- Chiffre d'affaire : 1371,81 €/ha (hors paille), 1478,01 €/ha (avec paille).
- Marge brute : 823,65 €/ha (hors paille), 929,85 €/ha (avec paille).
Orge de printemps
En 2023 la surface était de 43,91 ha.
- Les coûts (€/ha) :
- Couverts : 25,20.
- Semences : 33,75.
- Engrais : 287,26.
- Herbicides : 41,50.
- Fongicides : 18,71.
- Rendement : 3 t/ha.
- Prix de vente : 221,75€/ha.
- Chiffre d'affaire : 665,25 €.
- Marge brute : 284,03 €.
Colza
En 2023 la surface était de 54,77 ha.
- Les coûts (€/ha) :
- Couverts : 25,20.
- Semences : 20,71.
- Engrais : 247,81.
- Herbicides : 121,30.
- Fongicides : 18,50.
- Rendement : 1,7 t/ha.
- Prix de vente : 421,23 €/t.
- Primes PAC MLC : 122,75 €/ha.
- Chiffre d'affaire : 838,84 (hors luzerne), 907,84 €/ha (avec luzerne).
- Marge brute : 405,33 €/ha (hors luzerne), 474,33 €/ha (avec luzerne).
Blé
En 2023 la surface était de 44,82 ha.
- Les coûts (€/ha) :
- Semences : 43,75.
- Engrais : 272,80.
- Herbicides et adjuvants : 124,47.
- Fongicides : 39,17.
- Rendement : 5,9 t/ha.
- Prix de vente : 208,45 €/t.
- Chiffre d'affaire : 1229,86 €/ha.
- Marge brute : 749,66 €/ha.
Luzerne
En 2023 la surface était de 41,19 ha.
- Les coûts (€/ha) :
- Semences : 161,23 (80,62 à l'année).
- Engrais : 28,98.
- 1ère coupe :
- Rendement : 2,73 t/ha.
- Prix de vente : 60 €/t.
- 2ème coupe :
- Rendement : 1,36 t/ha.
- Prix de vente : 60 €/t.
- 3ème coupe :
- Rendement : 1,27 t/ha.
- Prix de vente : 60 €/t.
- Primes PAC MLC : 122,75 €/ha.
- Chiffre d'affaire : 444,35 €/ha.
- Marge brute : 363,73 €/ha.
Prime à ajouter : Environ 180€/ha/an soit environ 500€ de produits à l'ha en 2023.
Prairie
En 2023 la surface était de 18,35 ha.
- 1ère coupe :
- Rendement : 4,17 t/ha.
- Prix de vente : 35 €/t.
- 2ème coupe :
- Rendement : 0,93 t/ha.
- Prix de vente : 35 €/t.
- 3ème coupe :
- Rendement : 1,25 t/ha.
- Prix de vente : 35 €/t.
- Chiffre d'affaire : 222,21 €/ha.
- Prime PAC bio : 287,74 €/ha.
- Coût Certification AB : 29,86 €.
- Marge nette : 480,08 €/ha.
Culture | Total des
charges |
Chiffre
d'affaire |
Marge
brute |
Chiffre d'affaire
avec paille |
Marge brute
avec paille |
Marge
nette |
Produit
net |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Orge d'Hiver | 548,16 € | 1 371,81 € | 823,65 € | 1 478,01 € | 929,85 € | 726,85 € | 44 424,86 € |
Blé | 480,19 € | 1 229,86 € | 749,66 € | 573,16 € | 25 689,19 € | ||
Prairie | 222,21 € | 480,08 € | 8 809,50 € | ||||
Luzerne | 80,62 € | 444,35 € | 363,73 € | 339,90 € | 14 000,41 € | ||
Colza | 433,51 € | 838,84 € | 405,33 € | 172,33 € | 9 439,10 € | ||
Orge de Printemps | 381,22 € | 665,25 € | 284,03 € | 111,03 € | 4 875,29 € | ||
TOTAL | 107 238,36 € |
Les investissements
- 1 semoir = 100 000 €, ils en ont acheté 3 avec la CUMA.
- 1 trieur car ils produisent leur propre semence de ferme, il a été acheté à plusieurs.
Pour la mise en place de l'ACS, ils n'ont perçu aucune aide, mais ils ont perçu une aide de la région à hauteur de 80% pour planter les haies.
Les conseils de Maxime
- Il ne faut pas aller trop vite pour faire du couvert permanent, il faut d’abord apprendre à gérer un couvert pour se faire la main et après y aller progressivement sur le permanent, car on peut vite se faire surprendre.
- Faire des essais et voir comment ça évolue.
Perspectives
Ils continuent leurs essais de courbes de réponse à l’azote, car "moins on en met, mieux on se porte" économiquement parlant.
Ils n'ont pas encore envisagé de stratégie par rapport à un éventuel retrait du glyphosate, ils comptent sur les syndicats pour que le retrait soit repoussé le plus longtemps possible.
Vidéo
Source
Interview de Maxime Schivre réalisée le 01/08/2024.
Cette page a été rédigée en partenariat avec le projet SOL Couvert et grâce au soutien financier de l'OFB dans le cadre du Plan Ecophyto II+.
Annexes