Pâturage des ovins dans les céréales

De Triple Performance
Aller à :navigation, rechercher
Pâturage du blé par des brebis. Crédit photo : Samuel Foubert.

Retour d'expérience croisé entre Dominique Fessard (polyculteur-éleveur bovin) et Samuel Foubert (éleveur ovin) qui se sont associés en 2021 pour réaliser un essai de pâturage des céréales par des brebis. Au vu des résultats, l'essai est transformé et le partenariat va continuer en 2022 sur une plus large surface et sur triticale.

Du côté de Dominique Fessard

Contexte de l'exploitation

Dominique Fessard.
  • Production : Lait, bœufs.
  • Localisation : Rougemontiers dans l'Eure (27).
  • Exploitation : En nom propre.
  • SAU : 125ha.
  • UTH : 2.
  • Taille du troupeau : 250 têtes dont 90 vaches laitières Normandes et Prim'holstein, et 80 bœufs.
  • Sol : Argilo-humique.
  • Assolement en 2021 : 11ha de maïs ensilage, 11ha d'une association avoine/féverole, 5ha de blé tendre, 5 ha de luzerne, 3ha d'une association orge/petit pois, 3ha de soja, le reste en prairie.
  • Assolement en 2022 : 20 ha de maïs ensilage, 9,5ha d’une association orge/petits pois, 3 ha de maïs grain, 3,30 ha de triticale, 2 ha de luzerne, le reste en prairie.
  • Commercialisation : Vente du lait à Lactalis. Vente de bœufs.

Historique

Je me suis installé en 1994. Avant je produisais du lait et du blé que je vendais, et de l’orge et de la féverole que je gardais pour nourrir les animaux.


J'ai ensuite simplifié mon assolement afin de me dégager plus de temps pour m’occuper de mes enfants. Je ne faisais alors plus que du blé, du maïs et du lait. Puis quand mes enfants ont commencé à grandir, j'ai eu plus de temps et je suis revenu comme au départ. J'ai alors voulu me lancer plus sérieusement dans la réduction des phytos.


Mon revenu principal vient du lait, j'ai un objectif de 650 000 L de lait/ an à produire. Je ne vends plus de blé depuis 2 ans mais j'en produis encore, une fois récolté je le mélange aux associations, tout est pour les animaux. Pour ne pas perdre en rentabilité suite à l'arrêt de la vente du blé, j'ai essayé de mettre en place un petit atelier bœuf sur prairie, ce qui m'a permis de diminuer ma surface de blé et mon usage de produits phytosanitaires. Et maintenant pour nourrir mon troupeau j'essaie de produire depuis 2-3 ans des associations féverole / avoine et cette année orge / petit pois afin de réduire mes achats de concentré. Les aliments que j'achète pour la complémentation de la ration pour produire du lait sont non OGM.


Il y a 5-6 ans, j'ai ouvert une boutique de vente directe avec ma sœur sur l’exploitation, mais j'ai dû arrêter suite à la crise sanitaire liée au COVID et au déménagement de ma sœur.

Motivations

Je suis sensible au sujet du réchauffement climatique depuis quelques années et au problème de canicules et sécheresses à répétition qu'il engendre. Sans herbe, je ne peux pas nourrir mes animaux. Je me suis donc rapproché d'une démarche plus écologique.


J'ai appris que produire un trèfle ou une prairie avant de faire un maïs ensilage, ce n’était pas bon car ça pompe trop d’eau dans le sol. Je souhaite également réduire ma consommation de produits phytosanitaires, alors depuis 2 ans j'ai modifié mon assolement en fonction : j'ai maintenant beaucoup de prairies, car pendant 25 ans j'ai utilisé des pesticides sur mes cultures et ça a créé de la résistance sur le ray-grass. Depuis 2016 j'ai mis en place une luzerne ou un trèfle / dactyle et j'ai espoir que le ray-grass résistant soit contrôlé par les bactéries du sol.


J'ai décidé d'acheter une bineuse (houe) pour diminuer mon usage d'herbicide mais en attendant de l'avoir, il m'a fallu trouver un moyen pour désherber mon blé. J'avais vu sur des groupes Facebook que certains céréaliers faisaient pâturer des moutons chez eux, ça rentrait dans ma philosophie de faire du blé sans pesticide, j'ai trouvé ça fun et j'ai voulu essayer. C'est là que j'ai fait appel à Samuel Foubert pour réaliser un essai chez moi. Nous nous étions rencontrés quelques mois auparavant dans le cadre de travaux de groupe dans notre commune. J'ai donc naturellement pensé à lui.

Objectifs

  • J'ai pour objectif de diminuer mon usage de pesticides et tout particulièrement de fongicides. J'ai donc mis en place 4 variétés de blé pour éviter la rouille jaune et l'oïdium. Le fait que les moutons mangent les 3 premières feuilles des blés permet de diminuer les maladies. C’est une technique de nos grands-parents, les feuilles malades sont mangées et il n’y a plus que des feuilles nouvelles saines qui repoussent.
  • Faire déprimer (faire pâturer les céréales au stade tallage par des animaux) les céréales par des ovins a plusieurs objectifs :
    • Mieux faire taller les céréales.
    • Réduire la pression des bio-agresseurs (adventices, maladies fongiques et insectes).
    • Rappuyer le sol.
    • Economiser le passage d'un raccourcisseur.

Du côté de Samuel Foubert

Samuel Foubert.

Contexte de l'exploitation

  • Production : Brebis (viande).
  • Localisation : Hauville, dans l'Eure (27).
  • Exploitation : En nom propre.
  • Taille du troupeau : 60 brebis Roussin de la Hague.
  • Commercialisation : Vente directe de caissettes aux particuliers.

Historique

Pour plus d'infos sur l'activité de Samuel Foubert, consultez l'article qui lui est consacré : Elever des ovins en plein air et sans terre.

Motivations

Je vis dans une région céréalière, il y a donc beaucoup de couverts végétaux et de cultures disponibles. Ne voyant pas l'intérêt d'enfermer mes brebis, j'ai pris le parti de choisir une race rustique et de les élever en plein air toute l'année. Cette façon de faire m'épargne beaucoup de temps et m'évite pas mal de frais. Quand Dominique Fessard m'a contacté pour faire pâturer mes brebis sur son blé, j'ai dit oui tout de suite car je trouvais l'idée intéressante.

Objectifs

  • Diversifier les ressources alimentaires du troupeau dans une période où il y a moins de couverts végétaux à pâturer.
  • Tester de nouvelles façons de faire pâturer ses brebis.
  • Promouvoir le pâturage de plaine en plein air toute l'année.

Étapes de mise en place de l'essai

Les discussions ont commencé peu de temps avant Noël 2020 et la mise en place s'est faite en février 2021.

Cet essai, a été encadré par le Réseau des CIVAM Normands.

Conditions de l'essai

  • Parcelle de blé tendre d'1 ha, semée début novembre 2020 (semis tardif à cause d'une moisson tardive due aux conditions humides de l'année) à une densité 150 kg/ha, mélange de 4 variétés.
  • Précédent : maïs ensilage.
  • Culture suivante : maïs (après un couvert colza-vesce semé à la volée).
  • Fertilisation :
    • 1er passage : 40 m³ de lisier de bovins.
    • 2ème passage : 60 unités d’azote minéral début avril.
  • Pas de traitement (IFT = 0).

Modalités de pâturage

Bande témoin entre 2 paddocks. Crédit Photo : Samuel Foubert.
  • Entrée des brebis le 06/02/2021 le ventre vide (plusieurs heures d’attente entre la sortie du couvert où elles pâturaient et leur entrée sur le blé). Le blé était au stade 3 talles.
  • La parcelle a été divisée en paddocks :
    • J1 : 1150 m² sur 24h, pluie : 13 mn depuis la veille.
    • J2 : 1725 m² sur 26h, pas de pluie, T°<0°C (début de la vague de froid).
    • J3 : 2205 m², pas de pluie, T°<0°C.
    • J4 : 2550 m², pas de pluie, T°<0°C.

Des bandes témoin ont été mises en place pour pouvoir faire des comparaisons.

Un des points de vigilance pendant les 4 jours de pâturage a été le piétinement par les brebis. La limite à ne pas dépasser dans le cadre de l’essai était : pas de trace de patte de plus de 15 cm de profondeur.



Pendant toute la durée du pâturage nous n’avons jamais constaté de trace de plus de 10cm de profondeur. Les deux premiers paddocks ont été pâturés en conditions humides sur des surfaces plus petites : ils ont donc été nettement plus marqués que les deux derniers paddocks (qui ont été pâturés après le début du gel donc en conditions plus portantes).


Blé juste après pâturage. Crédit Photo : Samuel Foubert.


S'il y a des problèmes de ray-grass sur une parcelle, il faudrait la faire déprimer tôt, sinon ça peut le favoriser car il a une croissance rapide.

Résultats

Les conditions météo ont été très changeantes durant ce test ce qui nous a permis d'apprendre beaucoup de choses en peu de temps.

Au lendemain du pâturage

Il a plu 13 mm dans la nuit du 1er jour de pâturage, si bien qu'au lendemain matin la zone pâturée était un champ de boue où l'on ne voyait plus le blé. Nous étions un peu en stress. Suite à cela, il y a eu des gelées jusque - 8°C les jours suivants. Le sol était donc plus portant et les paddocks n'ont pas finis en terrains de boue.

Après quelques jours, les blés sont très bien repartis et au final c'est sur la parcelle piétinée qu'ils ont été les plus beaux et les moins sales ! Il ne faut donc pas avoir peur du 1er coup d'œil.


Avant la moisson

La moisson a été retardée à cause de l'humidité exceptionnelle de l'année. Les relevés ont alors été réalisés 1 mois environ avant la moisson (l’idéal aurait été de les faire quelques jours avant).

  • Hauteur du blé : Le blé pâturé est en moyenne plus haut que le blé témoin (92cm en moyenne pour le blé pâturé et 85 cm pour le témoin). La différence était visible à l’œil nu en observant la parcelle.
  • Tallage du blé :Le pâturage du blé a favorisé le tallage. 4 talles en moyenne sur les blés pâturés contre 3 sur la bande témoin. Ce plus fort tallage se traduit par un plus grand nombre d’épis sur la partie pâturée avec 174 épis par zone de mesure (2 rangs sur 1 mètre), contre 140 épis sur la bande témoin.
  • Poids des épis : 293g en moyenne sur la zone pâturée contre 248g sur la bande témoin. Le plus grand nombre de talle sur la partie pâturée a induit un plus faible remplissage des grains.

Cet essai a été suivi par le Réseau des CIVAM Normands, vous trouverez tous les résultats dans ce compte rendu :

Rapport du Rapport du Réseau des CIVAM Normands de l'essai pâturage blé

Intrants

  • Aucun passage d'herbicide, d'insecticide et de fongicide n'a été réalisé car les adventices et les feuilles atteintes par des insectes ou maladies ont été prélevées par les brebis.
  • Les blés pâturés étant plus grands que les non pâturés, l'économie du raccourcisseur n'a pas été possible.
  • Un apport de lisier (40 m³) et un d’azote (60 U) ont quand même été nécessaires.

L'objectif de supprimer les phytos est atteint.


Résultats de l'essai au 21/07/2021 : A gauche : autre parcelle (méteil) / Au milieu : bande témoin / A droite : partie pâturée par les moutons. Crédit photo : réseau des CIVAM Normands.

Bilan

Pour Dominique

Quand après le premier jour de pâturage j’ai vu que la parcelle était un champ de boue j’ai eu un peu peur, mais je me suis dit que si les blés ne repartaient pas, et bien tant pis je ferais un maïs ensilage au printemps. Au final le blé pâturé et piétiné est plus haut, plus beau, plus doré et a plus d’épis que le non piétiné. En plus, le paddock piétiné a été magnifiquement propre comparé aux autres. Il y a plus d’adventices sur la partie qui a été pâturée pendant le gel alors que c'était celle qui était la moins abimée après le passage des animaux. Normalement c’est une parcelle homogène, alors que là on voyait une nette différence niveau adventices entre les zones piétinées et non piétinées.

En résumé j'estime ma récolte entre 60 et 63 qx/ha pour le blé pâturé par les moutons. Mes voisins en conventionnel ont fait 70/75 qx/ha, donc c'est pas trop mal. Il a reçu uniquement de l'azote chimique et du lisier, 0 pesticide, donc je ne suis pas perdant dans l'affaire. Je suis satisfait car il est meilleur que le blé témoin. Mais il me faut maintenant attendre août 2022 pour connaître mon résultat sur 2021 car je clôture au 31 mars.

Le pâturage a aussi été efficace contre le ray-grass, mais je n’ai pas encore assez d’expérience pour dire que c’est vraiment efficace ailleurs que sur les parcelles piétinées jusqu’à la boue. Pour les parcelles non piétinées, il faudra peut-être que je fasse un désherbage mécanique avec ma houe rotative pour avoir un blé bien propre partout.

Au début quand je me renseignais sur des solutions pour réduire l'usage des phytos, je trouvais ça aberrant de faire pâturer ses cultures mais au final, je suis agréablement surpris du résultat !

Pour Samuel

Je suis content car ce type d’essai permet de faire parler de cette pratique et peut-être qu'elle me permettra à l’avenir de développer de nouveaux partenariats avec des agriculteurs. C'est très formateur car ce sont des pratiques dont on entend parler sur Facebook, mais qu’on ne voit pas autour de nous. Quand on voit les essais faits par d’autres ça a l’air facile, mais quand on le met en place sur le terrain c’est différent. On tâtonne.

Pour les brebis, d’un point de vue alimentaire, c’était pas forcement idéal car il n'y avait pas beaucoup à manger, mais ça m’a permis d’allonger le temps de retour sur d’autres parcelles et donc de limiter le risque parasitaire. Peut-être à l’avenir il faudrait tester avec une culture plus développée. Mais il ne faut pas non plus pénaliser la culture.

Investissements

Pour Dominique

Je n'ai eu aucun investissement à faire pour accueillir les brebis, Samuel a géré seul les paddocks.

C'est un bon échange de services gagnant/gagnant.

Pour Samuel

Je n'ai eu aucun investissement à faire car j'avais déjà tout le matériel nécessaire : les clôtures et le quad.

Conseils

De Dominique

  • Il faut avoir une bonne volonté car la transition n’est pas facile. Il faut être déterminé.
  • Faire des essais ! Plus on a de retour d’expérience, plus on apprend vite. Là on a appris plein de choses en 1 semaine car chaque paddock était différent (surfaces et temps de pâturage) et avec un climat compliqué (2 jours de pluie, suivis de 2 jours de gel). Ca fait 6 ans que je fais des expérimentations dans mes champs pour réduire les phytos : modification de mon assolement, les associations, la plantation d'1km de haies, l'achat d'une bineuse,... J'ai rencontré le pâturage sur ma route et ça a bien marché. J'apprends au fur et à mesure et je sais que l'arrêt des pesticides ne se fera pas en un clin d'œil.
  • Le choix du créneau pour y aller est capital, mais c’est assez délicat. Je pense qu'il ne faut pas trop réfléchir non plus, on a attendu le stade 3 talles et on y est allés sans tenir compte de la météo.
  • Il faut bien avoir en tête que la diminution des phytos implique des rentrées d'argent moins importantes, mais c'est compensé par moins de factures car j'ai économisé le coût des phytos, du carburant car je n'ai pas sorti le tracteur et même des antibios pour mes animaux (4000€ pour 250 bovins) car comme je leur donne des céréales, elles produisent moins de lait, donc elles sont moins sensibles aux maladies. Mais pour maintenir mon objectif de 650 000L/an, j'ai dû augmenter le nombre de laitières, on capitalise. Il faut trouver le bon équilibre pour garder de la rentabilité. Pour réduire les phytos, le pâturage de moutons est idéal.
  • A faire ainsi, je prends moins de risques par rapport aux aléas climatiques. En 2016, je visais les 90 qx/ha, mais je me suis pris la grêle et je n'ai fait que 43 qx/ha. J'étais assuré pour 87 qx/ha, et malgré cela, je n'ai été remboursé qu’à hauteur de 60 qx/ha. J'ai dû travailler mon lait pour pouvoir payer les factures liées à la culture, ce n'est pas logique. Maintenant, en mettant moins d'argent dans mes cultures, j'en suis pour moins de ma poche en cas de pépin. Le mouton ça ne coûte rien. On prend moins de risques en partant dans ces systèmes. De toute façon, maintenant il y aura toujours des problèmes climatiques et le rendement en blé va diminuer, donc autant s'y préparer.

De Samuel

  • Se renseigner avant de se lancer dans un pâturage. Je ne me lance pas comme ça sans réfléchir. Je veux avoir un minimum de notions, d’appuis plus ou moins techniques sur ce qu’il faut faire ou éviter de faire. Pour le pâturage du blé on peut mettre la culture à 0 si on agit trop tard ou si on laisse trop piétiner, ça peut aller vite.
  • Attention à la complémentation minérale. Sur couverts végétaux, il n'y a pas de problème, mais le blé n'étant pas un super aliment il faut veiller à leur équilibre alimentaire.
  • Bien adapter la taille des paddocks sur blé au nombre de brebis et à ce qu’elles ont consommé la veille, sinon il y a risque pour le blé. Le pâturage de blé c’est ce qui demande le plus de surveillance. Sur un couvert ce n’est pas grave mais sur le blé c’est risqué.
  • Ne pas avoir peur de la baisse de rendement, car au final la marge peut être identique entre un conventionnel et un qui fait pâturer. La baisse de rendement est contre balancée par le gain en intrant et les passages évités.
  • Ne pas avoir peur de l’aspect visuel du blé au 1er coup d'œil après le pâturage. Le blé repart vite, il est plus sain et plus propre.

Perspectives

  • Nous allons continuer notre collaboration !
  • Avec les contraintes réglementaires pesant sur la protection insecticide du colza (arrêt du phosmet), Samuel aimerait tester le pâturage du colza et est à la recherche de volontaires, donc nous vous lançons un appel ici : si vous faites du colza et que le pâturage vous intéresse, n'hésitez pas à vous manifester dans la zone de commentaires en bas de page ou en contactant directement Samuel ici.

Vidéo


Si cet article vous a plu, n'oubliez pas de l'applaudir en cliquant ci-dessous. Pour rester informé des évolutions qui lui seront apportées, cliquez sur "Suivre". Et si vous voulez partager votre expérience avec la communauté autour de ce sujet, cliquez sur "Je le fais".

Pour aller plus loin

Sources

Annexes



Cultures évoquées

Bio-agresseurs évoqués

Auxiliaires évoqués

Partager sur :