Adoption du semis direct et diversification des cultures face aux défis climatiques

De Triple Performance
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Suite à l'échec de la culture du colza en 2018 (100 hectares semés, 0 récolté), Sébastien Neveux agriculteur dans l'Yonne, a dû revoir ses pratiques. C'est ainsi qu'il a adopté le semis direct du colza avec des couverts végétaux (féverole, trèfle), un semis plus précoce, des mélanges variétaux et une fertilisation localisée. Cela lui a permis de retrouver des rendements corrects de 27-28 qtx/ha.

Encouragé par ce succès, il a diversifié ses cultures avec de la moutarde (rendement d'1 t/ha après 3 ans d'essais), des légumineuses en multiplication de semences (lentilles, pois d'hiver, pois de printemps, avoine), du sarrasin, du triticale, de la cameline et de la luzerne porte-graine. Il a également investi dans du matériel de ventilation, triage et séchage pour valoriser ces productions.

Au-delà de l'aspect économique, Sébastien cherche à redonner du sens à son métier en cultivant des plantes comestibles (pois chiches, lentille, quinoa) et en favorisant les légumineuses pour une alimentation plus végétale.


Présentation

  • Nom: Sébastien Neveux.
  • Localisation : Rugny, Yonne (89).
  • Statut : Agriculteur.
  • Exploitation : EARL Les 5 épis.
  • SAU : 330 ha.
  • UTH : 1, mais Sébastien a un associé qui a 50% des parts, en 2014 ils ont regroupé les fermes de leurs pères respectifs.
  • Production : Blé (100 ha), colza (40ha), tournesol (22-23 ha), moutarde (10 ha), lentille (15 ha), pois d’hiver (10 ha), avoine (7 ha), triticale (15 ha), orge d'hiver (60 ha), orge de printemps (30 ha), luzerne (15 ha), sarrasin (5 ha en dérobée), cameline (3,5 ha en dérobée), pois chiche, fenugrec, quinoa, millet. Sébastien faisait du pois de printemps (15 ha) mais il n’en fait plus depuis l’année dernière (2023) à cause des coups de froid et de sec au printemps qui lui faisaient prendre trop de retard par rapport à ses voisins dans la vallée.
  • Sols : Argilo-calcaires superficiels (20 à 25 cm) sans réserve utile. Les sols sont plutôt sains, c'est-à-dire qu'ils s'adaptent bien au semis direct. Ils ont des bons taux d'argile et de la matière organique, du caillou, ce qui fait qu’ils se structurent très bien tout seul en ayant en hiver 3-4 jours de gel à -10°C, et là les structures sont géniales.
  • Climat : On est sur un climat qui n'est plus vraiment océanique, mais qui commence à devenir tout doucement continental. Historiquement les étés étaient secs, les hivers froids et les printemps secs à partir de juin. Il peut y avoir des gelées à -4, -5°C. L'exploitation est située dans un contexte de plateau à 310 m d’altitude.
  • Irrigation : Non.
  • Commercialisation :
    • Tournesol, pois d'hiver, pois de printemps, avoine : organismes stockeurs.
    • Pois de printemps et d'hiver, avoine, lentilles, triticale, sarrasin en multiplication de semences : Agri Obtentions.
    • Luzerne en multiplication de semence : Cérience.


Motivations

C'est en 2018, quand après avoir semé 100 ha de colza et n'avoir rien pu récolter (semis trop tardif, été très sec, attaques d’altises) que Sébastien a commencé à réfléchir à beaucoup de choses. Le climat, la façon de faire, les bonnes vieilles recettes, au bout d'un moment ne marchent plus. Les difficultés rencontrées sur la moutarde l'on également conforté dans la nécessité de changer sa façon de faire. Quand il n'y a plus de solution, quand on a la tête dans le mur, on est obligé de repenser son système.

Sébastien aime bien avoir des productions dont il imagine facilement la transformation en produits alimentaires. C’est pourquoi il fait des oléagineux, de la lentille (verte, blonde, corail), du pois chiche qui peuvent se consommer directement, et qu'il teste de nouvelles culture comme le pois chiche, le sarrasin, le millet et le quinoa. C'est intéressant intellectuellement parlant et pour lui c'est hyper important.


Historique de l'exploitation

  • Historiquement : La rotation était colza/blé/orge et toutes les exploitations de la région étaient en polyculture élevage. Dans les années 80, avec l'arrêt des quotas laitiers et avec les changements de génération sur les fermes, l'atelier laitier a disparu.
  • 2018 : Gros échec sur le colza : 100 ha semés, 0 récolte. Début de la réflexion sur le changement de système.
  • 2019 : Installation de Sébastien et début du semis direct.
  • 2020 : Mise en place de la moutarde.
  • 2021 : Début de la multiplication de semences de pois de printemps, pois d'hiver, avoine, lentille, triticale et sarrasin en culture dérobée avec Agri Obtentions. C'est un partenaire très fort de l'exploitation.
  • 2023 : Arrêt du pois de printemps à cause des conditions trop sèches au mois de juin. Ils lèvent une semaine après les pois de la vallée et les rendements trop faibles. Il est difficile de le planter plus tôt.
  • 2024 : Mise en place d'un essai sur 4 ha avec de la luzerne entre les blés pour avoir une couverture du sol et d'une parcelle d'essai de 40 ares avec du sarrasin, du millet, du fenugrec, du quinoa et du pois chiche.


Etapes de mise en place

L'évolution du système a été progressive, le temps d'apprendre à maîtriser les nouvelles pratiques et cultures mises en place.

Semis direct et plantes compagnes

  • Suite à l'échec du colza en 2018, Sébastien a réduit la surface en colza, il est passé de 100 ha à 30 ha, en les semant 15 jours plus tôt (début août) et en développant le semis direct dans les éteules d’orge d’hiver. Le semoir de semis direct l’a fait aller sur l’Agriculture de Conservation des Sols (ACS).
  • Il a également réalisé des apports de compost.
  • Le colza est semé avec des plantes compagnes. Au départ : lentille, fenugrec, trèfle, et aujourd'hui il ne reste plus que le fenugrec et le trèfle car les lentilles n’apportent rien. Le trèfle et le fenugrec servent surtout à l’automne pour éviter les altises en faisant un peu de confusion. Sébastien utilise un mélange de semences de chez Eliard-SCP et Semental .
  • Une fertilisation localisée d'azote et de phosphore en granulés est apportée au moment du semis, ce qui permet une levée plus rapide, dans le sec. Les colzas sont plus résistants aux attaques d’altises car ils sont poussants, et ont un gros pivot et un gros collet, et là, ça se passe très bien.
  • La densité de semis va aussi jouer un rôle dans le fait d'avoir des gros colzas. Pour cela, il ne faut pas semer trop dense. Sébastien a semé 35 graines au m² et tourne à 10-12 pieds au m² dans les endroits les plus jolis.
  • Si tout cela ne suffit pas pour limiter les dégâts dus aux altises, il reste toujours la solution insecticide.
  • Au niveau du désherbage, Sébastien fait un passage de glyphosate avant le semis, des antigraminées foliaires, un post semis quand les colzas ont 2 vraies feuilles, et en début d’hiver, il passe un Kerb avec un Yago (anti dicot) pour tuer le couvert. Il aimerait bien garder le trèfle pour avoir un couvert entre le colza et le blé l’été, mais pour le moment il sécurise son désherbage.
  • La récolte a été de 27 qtx/ha.

Multiplication de semences

C'est lors d'une réunion à l’APAD Centre-Est en 2021, que Sébastien entend parler d'un multiplicateur de semences qui cherchait des producteurs. C’est comme ça qu’il s’est lancé dans la multiplication de semences de pois de printemps, pois d'hiver, avoine, lentille, triticale et sarrasin en culture dérobée avec Agri Obtentions. C'est un partenaire très fort de l'exploitation.

Couverture des sols

Sébastien a mis en place un essai en 2024 sur 4 ha avec de la luzerne entre les blés pour essayer d'avoir une couverture permanente du sol. Les sols étant superficiels, séchants, et le climat étant (normalement) sec l'été, c'est dur de garder un couvert classique vivant et d'implanter une culture dedans car le sol est archi sec.

Légumineuses et autres cultures

La diminution de surface en colza a libéré 70 ha qu'il faut bien combler. Il y a quatre ans, Sébastien a décidé de faire de la moutarde IGP "Moutarde de Bourgogne". Elle était à 1900 €/t (ça motive). Mais ce n’est pas une culture simple car elle est sensible au gel et a les mêmes problématiques que le colza, c'était un nouveau challenge.

Il y est donc allé tout doucement, au départ 5 ou 6 ha pendant 3 ans, puis cette année (2024) 10 hectares. Il lui aura fallu 3 ans pour maîtriser la culture. Ce n’est que depuis cette année qu’il arrive à avoir un rendement correct : 1 t / 1,1 t (dans la plaine Dijonnaise, ils font jusqu'à 2 t). Il l'a vendue 1500 €/ha ce qui est bien par rapport au type de terre et au secteur. Ca lui fait à peu près le même chiffre d'affaires qu'un colza à 35 qtx/ha.

Donc la moutarde, c'est la deuxième culture qui lui a montré qu'il faut : un itinéraire technique, apprendre, comprendre et suivre ses cultures, écouter les conseils, mais aussi les adapter à son contexte. Ça a permis de rajouter une culture, mais c'est encore un oléagineux, comme le colza, ce n'est donc pas très enrichissant pour le sol. C'est pourquoi Sébastien teste d'autres cultures que les oléagineux et essaie d'intégrer des légumineuses dans sa rotation : lentille, pois d'hiver et de printemps, pois chiche, fenugrec, luzerne, et d'autres cultures : avoine, sarrasin, millet, quinoa, ... Mais ce n'est pas simple, ça demande de comprendre les cultures, de savoir comment on va les mettre en place, comment on va fonctionner. Ce ne sont pas des recettes, ça demande d'essayer pendant 1 ou 2 années avant de trouver son système.

Focus sur son essai d'autres cultures

Dans sa logique de tester des cultures, cette année il a semé sur 40 ares du :

  • Sarrasin en multiplication de semences.
  • Millet car il a un débouché intéressant avec l’oisellerie.
  • Fenugrec pour faire de la semence pour ses couverts.
  • Quinoa (sans saponine) qui est une pseudo-céréale très bonne pour la santé, riche en protéines, qui a plein de vertus.
  • Pois chiche.

Mais Sébastien a eu un accident qui l’a empêché de suivre ses cultures de fin mai jusqu’au 15 août. Le fenugrec et les pois chiches ont reçu un petit désherbage post-semi / pré levée et il y a eu un passage de soufre sur l’ensemble de la parcelle. Il n’y a rien eu d’autre (pas d'engrais, pas de traitement).


Rotation

Sébastien a mis en place 3 triennales sur 9 ans : colza/blé/orge puis 3 ans après tournesol/blé/orge puis 3 ans après légumineuse/blé/orge.


Cette rotation est adaptée au contexte de la parcelle. C'est-à-dire que sur une parcelle qui est en pente, vallonnée et irrégulière, Sébastien ne va pas mettre de légumineuse car c'est compliqué à récolter, il passe alors sur une avoine. Les parcelles très caillouteuses vont être mises en luzerne semence pour qu’elles se reposent pendant 3 ans et enrichissent le sol en MO et minéraux.


Assolement 2023-2024

Sébastien arrive à faire ses têtes d’assolement sur  1/3 de la surface. On sécurise plus sa production avec des cultures d’hiver que de printemps car on évite les risques de sécheresse.


Bilan

Grâce au passage à l'agriculture de conservation des sols, Sébastien a pu continuer à faire du colza et introduire de nouvelles cultures dans son assolement, qui ont des débouchés intéressants et qui sécurisent ses revenus.

Niveau herbicides

Le désherbage du colza a fortement été allégé. Avec cet itinéraire, il n'y a pas de problème d’adventices.

Niveau insecticides

Sébastien effectue plusieurs traitements contre la petite et la grosse altise, les charançons du bourgeon terminal et des siliques. Par contre, il ne traite plus contre les méligèthes car ses colzas sont suffisamment poussants pour y résister.

Pour la moutarde, il ne peut pas faire l’impasse sur l’anti méligèthes car la moutarde n’a pas la même dynamique que le colza en termes de floraison.

Niveau fongicides

Un passage de fongicides à la chute des pétales sur colza et moutarde. Cette année il a dû adapter son programme parce qu'avec toute la pluie qu'il y a eu, il y avait de la rouille blanche sur la moutarde, alors qu’il n’y en a pas d’habitude.

Au niveau de sa parcelle d’essai

  • Le fenugrec a eu un super rendement (26 qtx/ha).
  • Les pois chiches ont eu quelques attaques d’insectes, la récolte au jour de l'interview n’était pas encore faite.
  • Le millet, la récolte au jour de l'interview n’était pas encore faite.
  • Le sarrasin, la récolte au jour de l'interview n’était pas encore faite.
  • Le quinoa a très mal levé, il a été re-semé 3 fois, au final, il doit avoir 15 ou 20 pieds de quinoa dans sa parcelle qui est devenue très sale. Les semences utilisées étaient peut-être trop vieilles car elles dataient de 2017. Mais il va encore le tester pendant 2-3 ans. Ce n’est pas un échec, mais un apprentissage.


Opportunités rencontrées

Travailler avec un multiplicateur de semences, lui a permis d'avoir accès à plusieurs avantages comme avoir :

  • Accès à un conseil technique, une personne vient sur l'exploitation et on peut échanger avec elle, c'est agréable.
  • Des solutions de débouchés pour les nouvelles cultures.
  • Un prix un peu plus rémunérateur.

Certes, il y a des contraintes supplémentaires de logistique, de stockage, de qualité de travail car il faut que la parcelle soit propre et mener la culture correctement, il y a des insecticides à faire en plus pour sécuriser la culture. Donc, c'est un peu plus d'efforts mais ça ramène un peu de marge brute que Sébastien a pu réinvestir dans l’équipement, les bâtiments, la ventilation, le triage et le séchage.


Conseils de Sébastien

  • "C'est la réflexion issue de la remise en cause de la culture du colza et le changement de pratiques qui en a découlé qui m'a permis de pouvoir conserver le colza et de m'ouvrir à d'autres cultures. Ce n'est pas qu'une question de génétique, de protection phyto, de matériel, c'est aussi et surtout les solutions que l'on met en place sur la ferme, l'itinéraire technique que l'on est capable de déployer, la réflexion que l'on est capable de mener, la remise en cause qu'on est capable d'avoir qui a permis tout cela. Tout est possible dès lors que l'on prend le temps de changer notre façon de faire.
  • Face aux évolutions climatiques, tester de nouvelles cultures est une opportunité car on va devoir rebattre les cartes, ce qui marchait, risque de marcher moins bien voire plus du tout, donc il faut tester pour trouver de nouvelles cultures pour ne pas aller dans le mur."


Perspectives

  • L’année prochaine, Sébastien va retirer 30 ha de sa société pour monter une nouvelle société avec un autre associé pour atteindre 65 ha de cultures pour la multiplication de semences avec Agri Obtentions. Ces 65 ha seront menés en Agriculture Biologique.
  • Rendre les légumineuses moins ringardes aux yeux des consommateurs pour éviter l’appauvrissement du bol alimentaire des Français.
  • Sébastien aimerait faire du chanvre parce que la Chanvrière de l'Aube n'est pas très loin (45 km) mais cette culture est compliquée en termes d'organisation du travail. C'est une culture qui est super intéressante car bas intrants, elle nettoie et a énormément d'avantages. Le seul souci, c'est qu'elle se récolte au mois de septembre. Ce sont des chantiers assez lourds où  il faut être 3-5 agriculteurs et pour le moment il n’y a qu’un seul voisin qui serait intéressé par en faire. Elle nécessite également des investissements : faucheuse, presse, andaineur.


Sources

Interview de Sébastien Neveux réalisée le 16/09/2024.


Annexes





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