SCEA de Lissy
Ferme en agriculture de conservation biologique
David Roger

Suite au constat de mort progressive de ses sols, David Roger agriculteur en Seine-et-Marne a décidé d'accélérer sa transition vers des pratiques de conservation des sols telles que l'ABC.
Découvrez le portrait de sa ferme avec son itinéraire technique.
Présentation
Contexte
- Nom : David Roger.
- Localisation : Lissy, Seine-et-Marne (77), au cœur du plateau de la Brie.
- Statut : Agriculteur.
- Exploitation : SCEA de Lissy.
- SAU : 148 ha.
- UTH : 1.
- Cahier des charges : Agriculture Biologique.
- Production : Blé, orge, lentille, féverole, épeautre, pois, triticale, luzerne.
- Type de sol : Limoneux profonds.
- pH : 8.
- MO : 2,2%.
Historique
- 2002 : Installation de David Roger sur 148 ha.
- 2017 : Transition à l'Agriculture Biologique (AB), motivée par la nécessité d’enrayer l'dégradation des sols.
- 2023 : Passage en Agriculture Biologique de Conservation (ABC) avec une approche sans labour.
Motivations
Les motivations de la transition vers l'Agriculture Biologique viennent d’un constat d’une mort des sols nécessitant des apports massifs d’intrants. Avec en plus l’ambition de restaurer la fertilité naturelle en utilisant les sols comme un partenaire actif dans le système de production.
Aujourd’hui, l’exploitation vise une autonomie totale en fertilité et cherche à démontrer qu’une Agriculture Biologique performante peut répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire.
Mise en œuvre
Après être passé en Agriculture Biologique, la SCEA de Lissy entreprend d’essayer le non labour. Cette décision est due à 5 ans de préparation, avec des expérimentations menées en collaboration avec Arvalis, AgroParisTech et le GAB. Ainsi qu’à une participation à des cycles de formation à l’étranger, notamment en Suisse, où il a suivi les travaux de M. Bonvoisin et s’est abonné aux publications du FiBL Suisse.
En automne 2023, la ferme atteint une limite dans le travail des sols. A cause de l’érosion, d’une diminution de la matière organique ainsi qu’une baisse de l’activité microbienne. Et décide d’accélérer sa transition vers des pratiques de conservation.
Cependant, des difficultés ont été rencontrées. La transition vers l’AB a été comparée à « apprendre un nouveau métier », nécessitant de repenser entièrement les rotations et les pratiques culturales. Il y a aussi eu un manque d’expérience partagée avec d’autres agriculteurs en ABC.
Pratiques agricoles innovantes
Rotation longue
On observe une rotation longue et diversifiée. En effet, la ferme met en œuvre une rotation de cultures sur 14 ans, visant à maximiser la fertilité des sols et réduire les maladies et adventices :
- 2 ans de prairies temporaires (mélange luzerne-trèfle).
- Blé d’hiver → orge de printemps → lentilles → féverole → grand épeautre.
- 2 ans de prairies temporaires.
- Blé d’hiver ancien → blé de printemps ancien → lentille → petit épeautre → méteil (pois-triticale).
L’exploitation est plus précisément sur deux fois 7 ans. Avec une alternance de 2 ans de cultures de printemps et de 2 ans de cultures d’hiver pour réguler les adventices.
La luzerne présente pendant 2 ans perçoit une fauche de nettoyage au mois de mai de l’année N+1. Elle est ensuite compostée avant d’être épandue. Cela permet de faire un apport d’engrais sur d’autres cultures, sachant qu’une fauche permet de récolter 200 T de matière sèche.
De plus les engrais verts occupent une place stratégique dans la rotation. L’utilisation d’engrais verts est systématique entre chaque culture pour enrichir les sols en carbone et matière organique, ainsi que pour nettoyer le sol des différentes adventices :
- Blé et orge : Trèfle blanc sous couvert à 25 €/ha.
- Orge et lentille : Mélange d’avoine, moha, niger, tournesol et trèfle d’Alexandrie (50 €/ha).
- Féverole et grand épeautre : Association complexe incluant moutarde, radis chinois, lin, trèfle d’Alexandrie et vesce (80 €/ha).
Ces pratiques assurent une couverture permanente des sols, limitant l’érosion et favorisant l’activité biologique.
Non labour
De plus, il n’y a plus de labour sur l’exploitation. Cela permet d’éviter un bouleversement au niveau du sol, la vie micro-organique peut continuer à proliférer. En effet une étude de Jean-François Vian (ISARA Lyon) a démontré que le labour détruisait 65% de la population de vers de terre dans le sol. L’arrêt du labour a aussi permis des échanges plus faciles d’air et d’eau avec le sol. Les champs sont plus sales mais plus beau. Pour gérer le salissement des parcelles, une rotation est mise au point en alternant cultures d’hiver et de printemps, une mise en place de prairies temporaire ainsi que du désherbage mécanique.
Itinéraire technique
L’assolement de l’exploitation est sur 14 ans. Mais plus exactement sur deux fois 7 ans.
Luzerne et trèfle blanc
- Reste en place 2 ans.
- Fissuration (Actisol Demeter).
- Semis direct avec un semoir à disque (Horsch express).
- Densité, 25kg/ha de luzerne, 2kg/ha de trèfle.
Blé derrière luzerne
- Début septembre : Scalpage de la luzerne.
- Mi-septembre : Fissuration et en fonction de la réussite re-scalpage ou non.
- Mesure du Potentiel RedOx, il faut que le sol ne soit ni réduit, ni oxydé (méthode Husson). Pour cela on mesure l’intensité électrique du sol.
- Semis du blé sans labour, avec un semoir Horsch express à 350-400 grains/m².
- Normalement pas de désherbage, on peut avoir besoin d’un outil rotatif pour accélérer la minéralisation.
Couvert entre le blé et l’orge
- Semis au stade tallage du blé de trèfle blanc nain (3kg/ha), présent pendant la moisson qui va servir d’engrais.
- En mars, semis avec la herse étrille. On sème alors un trèfle blanc sous couvert de blé.
Orge de printemps
- Destruction du couvert avec un scalpeur rotatif Celli tiger 280 bio.
- Semis de l’orge début mars à 350 grains/m².
Couvert entre l’orge et les lentilles
- Fissuration juste derrière le passage de la moissonneuse batteuse.
- Composition : Avoine brésilienne, moha, niger, tournesol, trèfle d'Alexandrie.
- Régulé en février par le passage d’un rouleau FACA.
Lentilles
- Destruction du couvert par un Celli tiger 280 bio.
- Semis direct avec semoir Horsch express à 300 grains/m².
Couvert entre les lentilles et les féveroles d’hiver
- Fissuration juste après le passage de la moissonneuse batteuse.
- Composition : Orge, triticale (20kg/ha), avoine, tournesol, niger (10kg/ha) permettant un apport de carbonne et de matière organique.
Féverole d’hiver
- Destruction du couvert par un Celli tiger 280 bio.
- Semis avec semoir Horsch express à 30 grains/m².

Couvert entre la féverole d’hiver et le grand épeautre
- Fissuration juste après le passage de la moissonneuse batteuse. Puis semis direct.
- Composition : Repousse de féverole, trèfle d'Alexandrie (5kg/ha), trèfle incarnat (3kg/ha), gesse (7kg/ha), fenugrec (5kg/ha), lin (1kg/ha), tournesol (3kg/ha), moutarde d'Abyssinie (1kg/ha), radis chinois (1kg/ha).
Grand épeautre
- Semis avec semoir Horsch express à 200 kg/ha.
Fin des 7 premières années. Pour la deuxième partie, les cultures identiques aux premières sept années auront les mêmes ITK.
Blé de printemps
- Semis avec semoir Horsch express à 200 kg/ha.
Couvert entre les lentilles et le petit épeautre
- Fissuration après le passage de la moissonneuse batteuse. Puis semis direct avec un semoir Horsch.
- Composition : Crucifère : 1kg de radis chinois, 2kg de moutarde d'Abyssinie, 1kg de moutarde blanche étamine, 2kg de phacélie.

Petit épeautre
- Destruction du couvert avec un Celli tiger 280 bio.
- Semis direct à 120kg/ha.
Couvert entre le petit épeautre et le pois triticale
- Fissuration après le passage de la moissonneuse batteuse. Puis semis direct.
- Composition : Phacélie 7kg/ha.
Pois-triticale
- Destruction du couvert avec un Celli tiger 280 bio.
- 90 grains/m² de pois et 90 grains/m² de triticale en semis direct.
Performances et rendements
Les rendements obtenus démontrent l’efficacité des pratiques mises en place :
- Blé après luzerne : 80 qtx/ha (400 €/t).
- Grand épeautre : 60 qtx/ha (900 €/t).
- Orge de printemps : 58 qtx/ha (450 €/t).
- Lentilles : 22 qtx/ha (1600 €/t).
- Féverole : 43 qtx/ha (500 €/t).
- Blé de printemps sans gluten : 20 qtx/ha (1600 €/t).
- Méteil pois-triticale : 40 qtx/ha de pois + 20 qtx/ha de triticale (450 €/t chacun).
- Petit épeautre : 30 qtx/ha (1600€/t).
Les engrais verts représentent un coût moyen de 3 500 € par an (31,81 €/ha), mais leur impact sur la fertilité compense largement cet investissement.
| Blé d’hiver | Coûts/ha |
| Semences | 75 € |
| Vinaigre blanc | 5 € |
| Semis | 25 € |
| Désherbage | 15 € |
| Moisson | 100 € |
| Total | 220 € |
Investissements et mécanisation
En agriculture biologique classique
- Houe rotative : 10 000 € (60% d’aide).
- Herse étrille : 25 000 € (60% d’aide).
- Bineuse optique : 40 000 € (60% d’aide).
- Trieur de grains : 70 000 € (60% d’aide).
En agriculture biologique de conservation des sols
- Fissurateur : 20 000 € (auto-financé).
- Scalpeur rotatif : 30 000 € (aide de 30%).
Tout le matériel a été acheté neuf.
Bilan et perspectives
Comparaison avec le système bio classique
- Entre l’Agriculture Biologique classique et l’ABC, on observe une baisse des dépenses. En effet au niveau du carburant on a une baisse de 50% grâce à la suppression du labour (passage de 25 L/ha à 8 L/ha).
- La main d’œuvre est optimisée grâce aux outils performants et au semis direct.
Bilan environnemental et économique
- Amélioration des sols : Augmentation progressive de la matière organique et de la fertilité. Avec un taux de MO/argile de 13% et l’objectif est d’être en 17% et 24%.
- Stabilité des rendements tout en réduisant les intrants.
- Biodiversité accrue avec une meilleure régulation des adventices.
Points de vigilance :
- La réussite repose sur une observation permanente des sols et un ajustement constant des pratiques.
- Les rotations complexes nécessitent une planification rigoureuse.
| EBE moyenne basse | 72386 € (2021) |
|---|---|
| EBE moyen | 99765 € (2023) |
| EBE moyenne haute | 159759 € (2022) |
Perspectives
- L’objectif de l’exploitation est d’atteindre une autonomie en fertilité.
- De plus à long terme, stabiliser des rendements comparables à l’agriculture conventionnelle.
- Enfin la SCEA de Lissy aimerait promouvoir une agriculture biologique performante comme solution pour la souveraineté alimentaire.
Conclusion
La SCEA de Lissy est un modèle d’innovation agricole. Grâce à une stratégie réfléchie et des pratiques agroécologiques, David Roger démontre qu’il est possible de concilier performance économique, résilience environnementale et durabilité. Son parcours inspire d’autres agriculteurs en quête d’alternatives viables pour l’avenir.
Sources
La version initiale de cet article a été rédigée par Vianney Roger, étudiant à l'école d'ingénieur UniLaSalle, suite à l'interview de David Roger le 10/12/2024.