Transition en ACS en polyculture élevage
Le GAEC Houdan est une exploitation agricole en polyculture élevage située à Châtillon-sur-Seine (Côte d'Or). Il a commencé sa transition en Agriculture de Conservation des Sols (ACS) il y a 20 ans et est maintenant certifié en Agriculture Biologique (AB). Thomas Houdan partage ici son expérience et ses conseils.
Contexte de la mise en œuvre
Raisons de la transition
- Ecologiques et agronomiques : Volonté de produire "plus naturellement" : avoir une production moins néfaste sur l'environnement.
Le taux de matière organique était de 3% en 2005 (limite minimale pour pouvoir réussir à produire).
- Economiques : Diminuer les coûts de production.
Découverte de l'ACS
- Beaucoup de réflexions et d'essais réalisés par nous-mêmes, nous ont menés à réfléchir à ces pratiques et à rencontrer des scientifiques comme Frédéric Thomas.
Nous avons suivi de nombreuses formations (Suisse, Belgique, sud de la France).
Formations suivies
Formation de Thomas Houdan : BTS ACSE (Analyse, Conduite et Stratégie de l’Entreprise agricole).
Organismes/ personnes de conseil pour l'ACS : Association franco-suisse Adria, Frédéric Thomas.
Les étapes de la transition en ACS
- 2003 : Rencontre avec Frédéric Thomas, réflexion pour arrêter le labour. Vente de la charrue en 2004.
- On a toujours fait des essais dans le but de chercher à s’améliorer. Essais sur des petites bandes sur différentes parcelles (le sol, le climat, ... sont différents ).
- 2005 : Achat du premier semoir TCS (seul outil qui a vraiment changé sur la ferme).
- 2016-2017 : Création d’un groupe de travail de 10-15 agriculteurs (secteur de Châtillon) : obligation de faire des essais en ACS pour faire avancer le groupe. Ca nous a permis : de trouver des contrats, des marchés un peu différents que ceux habituels car nous avions plus de pouvoir en étant 10-15 .
- 2018 : Début de la conversion en AB.
- 2021 : Officiellement en AB.
Raisons de cette conversion : principalement écologiques, mais le passage en agriculture biologique a été poussé par la crainte que les aides à la conversion diminuent et aussi par l'interdiction du glyphosate (utilisé pour la destruction de certains couverts).
Pratiques mises en place
Cultures et associations
Rotations
- Triticale (associé), blé (associé), seigle, sarrasin sont les 4 cultures principales que nous mettons en place.
- Pour ces quatre cultures, nous faisons nos semences de ferme et réalisons des tests de germination (qualité de germination) afin de déterminer la densité de semis/ha.
- Généralement 2 années de blé ou triticale mélangé à du trèfle ou de la luzerne.
Le choix de la légumineuse se fait selon les terres : en priorité le trèfle car il est plus simple à détruire.
Dans les champs où on ne peut pas faire de trèfle (trop froid, qualité du sol, etc) : semis de luzerne (super plante mais qui est difficile à détruire, ce qui pose plus de problèmes en bio).
- Le sarrasin (en culture seule) a une action nettoyante par son effet allélopathique. Il peut être mis deux années de suite s'il est très propre après la première année. Si le sarrasin est sale, on peut faire une année de seigle à la suite. Sa récolte a lieu à la mi-octobre et le semi de blé est réalisé 2 semaines après.
Essais réalisés :
- Seigle : 1ère année d'essai, pas de gros rendement. Culture sanitaire utilisée pour son pouvoir nettoyant (si forte présence d'adventices). Il n'a pas besoin de beaucoup de ressources pour pousser.
- Essai avec cameline.
Cultures associées et couverture permanente du sol
- Trèfle / blé ou luzerne / blé : pâturé par les moutons, la luzerne et le trèfle repoussent.
Nous avons semé 5 kg /ha de trèfle mais c'est trop, normalement il faudrait plutôt 2,5 ou 3 kg/ha (et à peu près pareil pour la luzerne).
Le trèfle et la luzerne sont là toute l'année, donc le sol n'est jamais à nu.
- Les mélanges sont très intéressants et permettent d’avoir un certain équilibre du sol.
Changements lors du passage en bio
- Abandon de la culture d'orge en Bio : les résultats ne sont pas satisfaisants en agriculture biologique.
- Abandon de la culture de lentille en Bio : car la moisson prend beaucoup de temps, et car cette culture a besoin de nombreux passages (au moins 4-5) de bineuse et d'herse étrille pour la désherber.
Rappel des pratiques conventionnelles
- Utilisation de couverts végétaux, détruits mécaniquement et chimiquement lorsque nous étions en conventionnel. Par exemple, on pouvait semer un couvert féverole et moutarde avec des repousses de blé puis le détruire avec un outil à disque ou un désherbant puis semer. En agriculture biologique, nous ne le faisons plus car nous sommes en couvert permanent du sol.
- Semis-direct / semis simplifié juste après moisson.
Arrêt du labour et travail superficiel
Pas de semis direct mais un travail très superficiel, pas plus de 5 cm de profondeur (sauf avec la fraise qui est peu utilisée).
Remarque : On passe toujours sur les mêmes endroits dans les champs. On travaille en 6, 12 et 36 m pour toujours passer aux mêmes endroits.
Semences de ferme
Blé panifiable : semences de ferme en mélange de 16 variétés
Sarrazin : semences de ferme, pas beaucoup de choix de variétés
Seigle : semences pures fermières
Triticale : mélange fermier
Procédé de choix de variétés pour le blé :
- Utilisation de mélange de variétés de blés
- Pour ajouter une nouvelle variété : semis des semences individuellement, c'est à dire "pures", sans mélanges.
- Jalonnement des parcelles, pesée pour calculer les rendements, notation de tout et prise de photos comme en centre d'essais.
- Si la variété convient, ajout de celle-ci au mélange de variétés de blé de base.
Nous avons 16 variétés de blé dans notre mélange semé chaque année. On essaie d’en rajouter une à chaque fois et on laisse faire la sélection naturelle : tout est récolté et ressemé.
Avec le temps, les semences fermières s'adaptent à nos sols ce qui engendre des levées plus rapides et ce qui permet de lutter contre les adventices plus facilement. On observe également que nos blés anciens tallent de plus en plus avec le temps.
Pâturage des blés par les brebis
- Nous possédons actuellement 80 brebis.
- En 2018, destruction de couvert du type sorgho / moutarde avec des repousses de blé par les moutons.
Mise en place du pâturage des céréales
- Début du pâturage des céréales en fin d'automne
- Tant que le plateau de tallage n’est pas impacté, la céréale repousse.
Remarque : Le sarrasin et le seigle ne sont pas des espèces pâturables.
- Des essais sur le taux de pâturage ont été réalisés (image ci-contre) : La partie de droite n'a presque pas été pâturée. La partie haute a été pâturée 2 fois plus longtemps et enfin la partie de gauche (terre très voyante) a été pâturée encore deux fois plus longtemps.
Les meilleurs rendements sont obtenus sur la parcelle où les blés ne sont plus vraiment visibles et où l'on voit la surface du sol.
- Arrêt du pâturage des céréales à la reprise végétative (fin de l'hiver).
Les avantages observés de cette pratique
- Très utile pour la gestion des adventices et pour participer à la fumure des champs.
- Création d'un stress sur le blé : il se défend et se renforce.
- Favorise le tallage : meilleurs rendements : 10 q de plus dans les parcelles pâturées par rapport aux non pâturées.
- Permet d'avoir les brebis toute l’année dehors (elles pâturent même sur le gel).
Découverte de la pratique et formation
Au cours d'un stage de fin de BTS en exploitation agricole, en 2017. Un moutonnier venait faire du pâturage chez le maître de stage.
Formations suivies avec Pâturesens.
Autres informations sur la gestion de l'élevage ovin
- Vente des agneaux en coopérative (abattus dans un secteur maximum de 2h de route).
- Nous possédons aussi une parcelle de 8 ha semée en prairie permanente : les brebis y sont mises quand elles ne sont plus dans les blés. Il peut nous arriver de faire des foins avec les champs de cultures associées (blé/triticale-trèfle/luzerne), après moisson.
- Nous avons pour objectif, dans les années prochaines, de vendre notre troupeau de moutons et de simplement faire venir un berger avec ses moutons (400).
Matériel
Semoir et outils
Aujourd'hui nous avons investi dans un semoir mais le bricolage est très bien pour ne pas faire de gros investissements au début (exemple : investissement pour bricolage de cuve à l'avant et tuyauterie à 8000€ contre achat de semoir semis direct 35-40 000€). Nous avions bricolé un semoir de semis direct avec une cuve à l'avant du tracteur, avec une soufflerie pour projeter le grain dans des tubes passant sous le tracteur (ou sur le côté), associé à un outil à disques (image ci-contre) ou à un outil à dents selon les besoins.
- 2008 : Achat du premier semoir semis direct, un Unidrill de Sulky
- 2012 : Achat du semoir Amazon Cayenna
- 3 tracteurs
- une herse étrille presque jamais utilisée
- une fraise
- un outil à disques pour détruire les chaumes après moisson (permet meilleure minéralisation en enfouissant la matière végétale)
- une herse à paille (pour accélérer le processus de décomposition des pailles)
L'outil le plus utilisé aujourd'hui est l'outil à disque (le déchaumeur).
Trieur à grain
- Nous avons notre propre installation pour trier et stocker les grains.
- 2005 : achat du trieur à grain à 20 000 € (aujourd'hui un trieur coûterait 30 000€, si on veut une équivalence). Pour une installation complète avec le stockage, le coût serait de 80 000 €.
Le retour sur investissement a été rapide (moins de 5 ans) avec des ventes de grains à des prix plus élevés.
CUMA ?
Nous ne réalisons pas d’achat de matériel en CUMA. Nous avons par contre une copropriété pour la fraise avec un ami agriculteur.
On préfère s'assurer d'avoir du matériel bien entretenu et prêt à être utilisé à n'importe quel moment et ne pas à avoir une matinée à passer sur un outil parce qu'il n'a pas été réparé avant de pouvoir l'utiliser.
Notre choix est plutôt lié à un problème social qu'économique.
Perspectives / évolution
- 2023 : Réception d’un outil à dents de marque Horsch pour simplifier le travail du sol
Résultats
Pour nous, il a fallu entre 4 et 6 ans pour voir les améliorations arriver.
Environnementaux
- Augmentation du taux de matière organique : en 1999 = 2,78 %, en 2013 = 3,2 % et en 2020 = 8,1 %.
Au début le taux de matière organique remonte très peu puis d’un coup il augmente très rapidement et on peut gagner 1 à 2% en très peu de temps. Ce changement de taux de MO se ressent sur le terrain.
Remarque : Il est possible de monter jusqu'à 12 % en France, mais sur des sols limoneux et plus profonds.
- Bilan carbone (réalisé par Soil Capital) : avant la transition il était à 200 t/an de balance positive, en 2020 à 1000 t/an puis à 2200 t/an en 2021. Nous réalisons un stockage de 5,75 t/ha de carbone contre -0,25 t /ha en moyenne en Côte d'Or (déstockage de carbone).
- Nous n'avons plus de problème d'inondation des champs depuis le passage en ACS, l'eau est filtrée directement. Les champs sont très faciles à travailler.
Sociaux
- Comme les sols sont très faciles à travailler, il y a beaucoup moins de secousses ce qui limite les problèmes de dos.
- Pas de changement de temps de travail mais travail très différent: beaucoup moins de temps dans les tracteurs mais beaucoup de temps à réfléchir, à s’informer, à essayer, à rencontrer des gens.
- Reconnaissance sociétale
Economiques
Rendement
- Les 4 à 5 premières années ont été compliquées : le passage du labour intégral au non travail du sol d’un coup a généré un déséquilibre, à cela s'est ajouté une période compliquée en terme climatique (sécheresse).
- Depuis, l'EBE a une croissance positive d’année en année.
- Les mauvaises années, on obtient de meilleurs résultats qu’en conventionnel. Les bonnes années on a de moins bons résultats car les systèmes en conventionnel sont fait pour exploiter un potentiel en situation idéale.
Coûts de production
- La moyenne d'EBE de la ferme sur les 13 dernières années est de 480 €/ha contre 320 €/ha pour la moyenne CER nord Côte d'Or (Bio et conventionnel mélangé).
- 200 € de charges opérationnelles en moyenne sur 13 ans, contre 459 € pour la moyenne CER.
- Beaucoup moins de charges liées aux intrants (aussi pendant la période en conventionnel).
Remarque : Prendre en compte la conversion en Bio depuis 2018.
- Rendement espéré avant passage en bio : 80 q en blé.
Aides financières ?
On trouve des primes au stockage du carbone mais il n'existe pas de subventions ou de label pour valoriser les pratiques réalisées en ACS.
Bilan
Ce qui n'a pas été anticipé
- Cette année la densité de semis de trèfle était trop importante à cela s'est ajouté la pluie tous les 3-4 jours, la conséquence a été que le trèfle a pris le dessus sur le blé.
- Nous avons réalisé des essais de culture : lentilles et cameline mais nous n'avons pas pu les récolter. Elles peuvent bien pousser dans le sud de Dijon mais pas chez nous car il n'y a pas assez de soleil.
Nos ressources en cas de doutes/questionnements
- Discussion avec des scientifiques, des personnes informées (Frédéric Thomas).
- Un organisme de formations en Suisse : Adria.
- Des voisins en ACS.
A quel moment avons-nous considéré notre transition achevée ?
Nous pourrions considérer notre transition terminée depuis longtemps puisque cela fait 20 ans que nous avons commencé. L'agriculture de conservation des sols offrant une multitude de possibilités, il est difficile d'en atteindre le potentiel maximal.
Peut-être que l'on peut estimer sa transition terminée quand les résultats économiques augmentent, que l'appréhension se dissipe et que l'on a réduit la charge de travail.
Conseils à celui qui voudrait se convertir en ACS
Etapes clés
- Aller rencontrer ceux qui utilisent ces pratiques : échanger et observer leur travail.
- Sur les réseaux d'ACS (association d’ACS, BASE par exemple et groupes Facebook) et le bouche à oreille.
- Aller voir ailleurs, aussi dans des régions différentes, car on peut trouver des choses auxquelles on n'a pas pensé dans des endroits avec des contraintes différentes. Ne pas hésiter à aller dans des régions avec des sols difficiles à cultiver.
- Il faut vraiment discuter pour voir si ça peut nous plaire, nous motiver. C’est difficile mentalement, il faut vraiment être motivé pour le faire et chercher chaque année à s’améliorer.
- Travailler avec un technicien indépendant pour se détacher des coopératives. Ne pas être dépendant d’une coop pour pouvoir être plus autonome et travailler avec plusieurs pour faire jouer la concurrence (même si ce n'est pas forcément simple pour tout le monde).
- Produire des semences de ferme avec des variétés anciennes : moins de rendement mais plus de rusticité et de résistance.
- Achat d'un semoir. Ne pas trop investir dans le semoir SD : ce n'est pas forcément le plus indispensable. Acheter un semoir semis-direct en dernier si on en a les moyens. Il est possible de faire sans : nous, nous mettions une cuve à l'avant et une herse à paille à l'arrière pour semer. Il est possible de semer à la volée (avec le semoir à engrais) et de passer un outil à dents superficiel pour recouvrir les graines.
- Faire des essais et être précis (mettre des jalons, tester sur bandes, peser, etc…). Pour gagner en confiance en soi et mieux maîtriser la technique.
- S'écouter et être bien dans ses bottes (ne pas trop écouter les autres), ne pas avoir d'appréhension.
- Avoir une petite assise financière pour démarrer.
- Faire des formations (qui pour la plupart sont remboursées).
Sources
Interview de Thomas Houdan réalisée le 02/12/2021.