Adaptation de la fertilisation : un levier pour limiter les pressions en bioagresseurs - retour d'expérience (Christophe Saulières - Aglae)
Retour d'expérience de Christophe Saulières, dans le cadre du projet Aglae. Il nous présente comment il adapte sa fertilisation pour limiter les pressions en bioagresseurs.
Motivations
J’ai décidé d’adapter la fertilisation à l’échelle de mon système pour apporter « la bonne dose au bon endroit et au bon moment », et ainsi répondre au mieux aux besoins des plantes à chaque stade clé de leur développement. Je souhaitais optimiser ma conduite d’un point de vue des résultats techniques (rendement et qualité) et économiques (charges d’intrants et de mécanisation).
C’était également pour moi un levier à mobiliser et à combiner à d’autres mesures prophylactiques afin de limiter les pressions en bioagresseurs sur ma culture, ainsi que pour limiter le risque de verse, notamment sur orge.
L'exploitation
- Localisation : Castres (81)
- SAU : 160 ha
- Grandes cultures : 80 ha de céréales à paille, 32 ha de colza, 11 ha d’ail, 37 ha de féverole, luzerne, pois, tournesol, maïs grain
- UTH : 1
- Irrigation : non irrigué, HVE 3
- Sol : Sols argilo-calcaires
- Travail du sol : Labour tous les 2 ans
Mise en pratique
Mise en place depuis 2015.
Adaptation de la fertilisation : ma façon de faire
Exemple sur la culture du blé
Je base ma stratégie de raisonnement sur quatre principes :
- Un calcul de ma dose prévisionnelle avec la méthode du bilan.
- Un fractionnement en trois ou quatre apports.
- Un bon positionnement du 1er apport : généralement fin février / début mars, après mon intervention de désherbage.
- En cours de culture, l’ajustement de la dose prévisionnelle aux besoins réels de la plante : initialement avec le N-Tester, et désormais avec la modulation intra-parcellaires par satellite.
Le fractionnement des apports pour une alimentation maitrisée de la céréale (exemple 2020)
1er apport avec ammo 33.5 le 15/03 (65 U N)
J’attends généralement le plus possible pour réaliser ce 1er apport, mais cela dépend aussi des conditions de semis, de l’état végétatif des plantes et du précédent. Selon l’état des céréales lié aux conditions de l’année, je peux être amené à faire un apport supplémentaire plus précoce (soit 4 apports en tout), comme en 2019 avec une intervention le 15/01. J’apporte dans ce cas un maximum de 30 U de N afin de tenir jusqu’à épi 1 cm voire 1 nœud, tout en limitant la disponibilité de l’azote pour les adventices.
2ème apport avec sulfate d’ammo 21 + 57 S le 03/04 (20 U N)
Je réalise le 2ème apport avec du sulfate d’ammo car c’est la manière la plus simple d’apporter du soufre. C’est un passage supplémentaire comparé à un apport de soufre liquide au désherbage, mais je trouve que les unités sont plus importantes et beaucoup mieux assimilées et valorisées par la culture à cette période. J’apporte au maximum 100 kg/ha. C’est surtout l’intérêt du soufre qui est recherché pour cet apport.
3ème apport avec ammo 33.5 le 01/05 (65 U N)
Cet apport permet d’étaler et mieux répartir la dose totale apportée, et limite le risque de lessivage qui serait fort si l’azote était apporté d’un coup en quantité trop importante. Ce dernier apport est piloté en fonction du potentiel de rendement de la parcelle, du contexte climatique de l’année, et de l’état végétatif du blé. J’ai recours à ces formulations car je mise sur une stratégie simple et peu coûteuse, avec des engrais basiques et pas très « techniques ». Cela me permet aussi de gérer plus facilement mes stocks car j’utilise les mêmes engrais sur céréales à paille, colza et ail.
Epandeur d'engrais avec guidage GPS
Crédit photos : AL Fuscien.
Stratégie de fertilisation azotée en fonction des besoins du blé
La modulation intra-parcellaire par satellite (mise en place depuis 2019)
Pour les apports « épi 1 cm » et « dernière feuille étalée/Gonflement », une cartographie satellite permet d’ajuster les doses d’azote et de moduler les apports à l’échelle de la parcelle.
1. Je commence par observer le stade de la culture et les conditions météo pour définir la date prévisionnelle de l’apport, tout en prenant en compte mon organisation du travail.
2. Je commande la carte une semaine avant la date prévue de l’apport (coût : 6 à 12 €/ha), en précisant la formulation que je souhaite utiliser.
3. Je reçois les fichiers 4 jours après ma commande en moyenne, comprenant :
- Un fichier de synthèse en PDF (unités à apporter, schéma de répartition dans la parcelle…)
- Un fichier de données collectées au champ en PDF (volume de biomasse, niveau de photosynthèse…)
- Un fichier spécifique de paramétrage de la console en .php.
4. Je charge le fichier sur une clé USB. Dès que la clé USB est mise dans la console du tracteur, tout se fait ensuite automatiquement (téléchargement de la carte, lancement dès que le tracteur approche du champ, et apport avec modulation dès que le tracteur avance dans le champ).
Equipements
J’ai investi dans un épandeur d’engrais avec guidage GPS, coupures tronçons (72 tronçons sur 24 mètres) et DPAE. Pour cet investissement, j’ai reçu un soutien financier dans le cadre du FEADER Occitanie. Il m’a coûté 16 500€.
Les autres leviers que j'utilise pour réduire la pression en bioagresseurs
- Rotation longue.
- Alternance de cultures.
- Labour (pour vulpie tous les 2 ans).
- Décalage de la date de semis.
- Mélange variétal.
- Efficience de l’utilisation de produits phyto.
Mon analyse de la combinaison de leviers que j'utilise
L’adaptation de la fertilisation, au-delà de l’amélioration de mes résultats techniques et des économies réelles réalisées (encore plus vraies sur mon assolement composé de petites parcelles et/ou en pointe), contribue à limiter la pression maladie, même si cela est difficile à quantifier sur le court terme.
Sur les 3 dernières années, je n’ai réalisé qu’une seule intervention fongique, avec un IFT compris entre 0.67 à 1. Contre la verse sur orge, j’ai réduit mon utilisation de raccourcisseurs (1 année sur 5 environ et non plus systématiquement), ce qui me permet de perdre un point d’IFT. Je pense que le raisonnement de la fertilisation, combiné à d’autres leviers, contribue à anticiper la pression en bioagresseurs et à limiter mon recours aux produits phytosanitaires.
Intérêts
- Stratégie simple, et modulation facile d’utilisation.
- Optimisation du temps et de l’organisation du travail, amélioration du confort de travail.
- Diminution des charges liées aux intrants qui compensent l’investissement matériel (pas de réduction de la marge nette).
- Meilleure qualité du blé.
- Pas de verse sur orge et plus de recours systématique à des raccourcisseurs.
- Combiné à d’autres leviers, contribue à limiter la sensibilité des plantes aux bioagresseurs et donc à limiter le recours aux produits phytosanitaires.
Points de vigilance
- Bien suivre l’évolution des stades des cultures pour commander les cartes au bon moment (anticiper ses apports).
- Piloter sa stratégie en fonction des passages pluvieux pour une bonne assimilation azotée.
Mes conseils pour réussir
Le raisonnement de la fertilisation est simple à mettre en place, il n’y a pas de prise de risque.
Pour la modulation à partir des données informatiques, c’est vraiment très facile, il faut seulement savoir télécharger un fichier sur une clé. Pour le reste tout se fait tout seul, donc on ne peut pas se tromper. Il n’y a pas besoin d’avoir des connaissances en informatique ou en machinisme poussées. Par contre, il faut savoir anticiper ses apports.
Mes perspectives
Je suis très satisfait de la démarche et souhaiterais qu’à l’avenir, les modélisations sur céréales à paille s’inspirent des modèles sur colza. Ceci me permettrait d’affiner mes premiers apports et d'optimiser le développement de la céréale encore plus tôt dans le cycle, pour optimiser son potentiel de rendement.
L'avis du comité d'experts
Evaluation selon la grille d'analyse ESR.
Reconception vis-à-vis des phytos
La protection intégrée nécessite une combinaison de l’ensemble des moyens disponibles qui obligent à une reconception des systèmes pour les rendre moins dépendants des produits phytopharmaceutiques. Cela passe ainsi par une approche privilégiant la prévention et la prophylaxie pour placer les cultures dans les meilleures conditions tout en défavorisant les bio-agresseurs.
Agriculteur membre du réseau DEPHY Ferme, animé par la Chambre d’Agriculture du Tarn.
Auteurs de la fiche : Anne-Laure Fuscien et Ghislain Perdrieux.
Date d'édition : 2021.
Annexes et liens
- Fiche Aglae éditée par la Chambre d'Agriculture Occitanie https://occitanie.chambre-agriculture.fr/agroenvironnement/agroecologie/aglae/tous-les-temoignages/adaptation-de-la-fertilisation-un-levier-pour-limiter-les-pressions-en-bioagresseurs/
Matériel évoqué dans ce retour d'expérience
Cultures évoquées
Bioagresseurs évoqués dans ce retour d'expérience