Mise en place de pratiques d'hydrologie régénérative au Château de Rey

De Triple Performance
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Rémi Sisqueille, propriétaire du domaine viticole Château de Rey, dans les Pyrénées Orientales, a décidé d'intégrer les principes de l'hydrologie régénérative dans la plantation d'une de ses parcelles, afin de limiter les effets du ruissellement et de limiter les risques de stress hydrique de ses vignes sans pour autant avoir recours à l'irrigation.

Contexte

  • Ateliers : Ateliers viticole, vinicole et gîtes
  • Contexte (géographique, pédoclimatique, social…) : Le château de Rey est un domaine familial depuis 5 générations. Il est situé à 1 km de la mer Méditerranée, sur les premières terrasses après la mer. Il y a des sols argilo-calcaires avec beaucoup de cailloux et des sols sablo-limoneux.
  • Pratiques agronomiques :
    • Les sols sont couverts en hiver par des couverts spontanés composés principalement de graminées. Rémi Sisqueille n’a jamais souhaité faire du semis de couvert car depuis 2021 il ne pleut presque plus en hiver donc il faudrait irriguer pour faire lever les semis. De plus, les semis ajouteraient des interventions sur le sol ce qui n’est pas forcément bénéfique, et cela prend du temps.
    • Il fait des apports de fumier mélangé à du BRF. Avant la plantation des vignes, il y a un apport de 100 tonnes/ha et par la suite l’apport se fait sur le rang tous les 4 ans à l’aide d’un épandeur avec une dose de 30 à 35 tonnes/ha. Cela couvre le sol sur environ 3 cm d’épaisseur.
    • Il a commencé à faire cela car il paillait les haies et cela donnait un meilleur résultat avec des sols qui supportaient mieux l'humidité. Le mélange fumier et BRF permet donc un apport d’azote tout en protégeant mieux les vignes.
    • Le sol de l’exploitation est labouré. L’exploitant a essayé en 2022 et 2023 de ne pas labourer mais cela n’a pas fonctionné : en raison des faibles pluies notamment en 2023, la vigne a souffert du stress hydrique car elle n’avait pas de réserve, et il y avait donc une trop forte compétition avec les autres plantes. Dans certaines zones les argiles se sont rétractées ce qui a étouffé les racines.
    • La taille pratiquée sur l’exploitation est une taille manuelle en gobelet.
  • Cheptel : Le domaine possédait des vaches Highlands qui servaient à maîtriser les couverts végétaux et les jachères. Elles ont permis une modification de la flore avec une augmentation de la quantité de vesce et de trèfles car elles mangeaient des graines via le foin et ces graines se retrouvaient ensuite dans les bouses qui fertilisaient les sols. Ces vaches sont décédées mais seront peut-être remplacées par d’autres animaux (ovins).
  • Modes de commercialisation : La commercialisation se fait en vente directe, via des cavistes et des restaurateurs avec aussi de l’export.

Historique de l’exploitation

Historique

L’exploitation est dans la famille depuis 1875. Elle a été reprise par le père de Rémi en 1996. L’exploitation était en mauvais état à cause des différents baux précaires qui entraînaient peu d’investissement sur les vignes. Il a donc planté de nouveaux cépages et acquis de nouvelles parcelles. Rémi est revenu sur l’exploitation en 2013 après deux BTS : un en commercialisation des vins et un en viticulture et œnologie.

Changements marquants au cours des dernières années

Depuis 2021, l’exploitation met en place de l’agroforesterie avec la plantation de 1.5km de haie. Il y avait aussi eu l’implantation de 600 m de haie sèche pour les vaches. Des arbres fruitiers et aromatiques ont également été plantés comme le laurier-sauce. Puis l’objectif a été de garder les sols couverts et d’arrêter les engrais chimiques en se tournant plutôt vers le fumier, le compost et le purin d’ortie, qui a donné de bons résultats.


En 2022 l’exploitation a obtenu la certification biologique.


Depuis trois ans, Rémi Sisqueille a commencé la taille physiologique d’abord sur une partie de l’exploitation, puis sur la totalité de l’exploitation il y a deux ans. Il a bénéficié des conseils de Louis Modat, un autre viticulteur du département. Cette méthode s’adapte aux flux de sève et permet de limiter l’impact des maladies et d’améliorer la qualité de la récolte.


Ces dernières années, de nouveaux cépages ont également été plantés sur l’exploitation : Cinsault, Counoise, Carignan Blanc, Xarello, Tourbat (Malvoisie du Roussillon). Ce sont des cépages peu présents dans le département, qui sont des cépages dits “oubliés”. Auparavant ils n’arrivaient pas à maturité, mais ils donnent désormais des vins beaucoup plus dans l’air du temps avec notamment moins de structure pour les vins rouges et aussi un degré d’alcool moins élevé.

L’objectif est de faire évoluer les vins grâce aux cépages et de s’adapter au changement climatique.


La plantation de nouveaux cépages est aussi liée à un problème de maturité des raisins : sur des cépages comme la Syrah il y avait un décalage important entre maturité technologique et phénolique. Cela donnait des raisins avec un degré d’alcool potentiel déjà très élevé (16°) alors que les pépins montraient que le raisin n’était pas encore mûr.


Ces problèmes ont aussi entraîné un changement dans les modes de vinification. Auparavant, des délestages étaient effectués sur les vins rouges pour extraire davantage de couleur dans les rouges. Aujourd’hui, Rémi Sisqueille privilégie les mouillages, qui consistent à arroser le chapeau de marc avec le jus du bas de cuve sans extraire trop de tanins, ce qui permet d’éviter les tanins verts.

Les taux de soufre ajoutés ont aussi diminué. Les niveaux actuels sont proches du cahier des charges Demeter, avec moins de 70 mg/L de soufre.


Au niveau des fermentations, un soin particulier est apporté à la préparation des levains. Par ailleurs, pour les vins blancs, certaines cuvées passent désormais par une fermentation malolactique, facilitée par la faible quantité d’acide malique due aux fortes chaleurs. Cela permet aussi de limiter l’ajout de soufre.


Pour l’élevage des vins, des amphores en grès sont utilisées pour les cépages qui ont une plus forte tendance à s’oxyder, comme les Grenaches. Le grès étant un matériau réducteur, il va permettre d’élever les vins au moins un an sans évolution aromatique.  


La manière de planter les vignes a aussi changé. Avant 2020, les parcelles plantées faisaient en moyenne 2 ha, et depuis, les plus grandes parcelles plantées font 1 ha. L’objectif est de recréer des clos avec des arbres et des haies, pour ramener de la fraîcheur et pour casser les vents chauds qui accentuent le stress hydrique. Par exemple l’année dernière, quinze jours de tramontane par fortes chaleurs (35°C) ont abîmé la récolte. En 2019, il y avait aussi eu un épisode de canicule qui avait brûlé des vignes dans la région, dans des zones plus éloignées de la mer.

Ces parcelles font une trentaine de mètres de long, et ont aussi pour objectif de lutter contre les ravageurs. En effet, depuis quelques années un nouveau ravageur est présent sur les parcelles : Cryptoblabes, un lépidoptère. Ce vers de la grappe est extrêmement compliqué à limiter en agriculture biologique, il ne meurt pas lors des épisodes de gel et n’est pas spécifique de la vigne donc il est présent à la fois dans les parcelles et autour. Le fait d’avoir de petites parcelles entourées de haies va permettre de favoriser la biodiversité notamment les chauves-souris et les mésanges, pour limiter naturellement les ravageurs.

Pour lutter contre l’Eudémis, un autre lépidoptère, le domaine utilise la confusion sexuelle.

Motivations des agriculteurs

Éléments déclencheurs de la mise en place de pratiques d’hydrologie régénérative

La principale motivation de Rémi Sisqueille est l’adaptation de son exploitation au changement climatique et notamment à la difficulté de gérer les ressources en eau dans la région.

En effet, ces dernières années il a constaté une forte diminution des précipitations. Avant 2020, les précipitations totales étaient d’environ 600 à 700 mm sur l’année.

En 2021 et 2022 il n’a pas plu durant l’hiver et sur l’année il y a eu moins de 500 mm de précipitations. Puis en 2023, il y a eu autour de 200 mm de pluie, sachant que la moitié est tombée au cours de deux orages dont un avec de la grêle.

Les parcelles sont situées sur des zones de vallon avec des dénivelés de quelques mètres. Pour autant, sur une même parcelle, les vignes situées en haut peuvent souffrir de stress hydrique pendant que celles du bas sont inondées en cas de fortes pluies.

Contre le stress hydrique, l’irrigation n’était pas une solution souhaitée pour le domaine car cela entraîne la formation d’un système racinaire superficiel au lieu de mieux développer le système racinaire pour chercher de l’eau en profondeur, et en cas de restrictions d’eau dans les prochaines années les vignes ne survivraient pas.

C’est ce qui a amené Rémi Sisqueille à son projet de gérer la ressource en eau avec de l’hydrologie régénérative.

Anomalies de températures et de précipitations à Canet en Roussillon
Changement annuel des précipitations à Canet en Roussillon


Hydrologie régénérative

Date de mise en œuvre

Rémi Sisqueille s’est informé grâce à des conférences sur Youtube et en échangeant avec des collègues, puis il a contacté Alain Malard (conseiller indépendant en Hydrologie Régénérative) en 2024. En mai, un premier rendez-vous a eu lieu pour faire un tour complet de l’exploitation, un jour de pluie. L’objectif était de voir quelles étaient les parcelles sur lesquelles il était plus urgent de mettre en place de l’hydrologie régénérative.

Mise en place de l’hydrologie régénérative

Noue à redents

Alain Malard et son associé se sont occupés de faire des relevés topographiques à l’aide d’outils de géomètre pendant deux jours et demi.

Un prestataire s’est occupé de l’aménagement des parcelles avec la création de ruisseaux et de noues.

Les noues ont été dimensionnées par Alain Malard et font 60 cm de profondeur. Quand elles sont pleines, elles se déversent dans un fossé.


Cette année, une parcelle totalement en hydrologie régénérative avec plantation des vignes en courbes de niveau a été créée.

Rémi Sisqueille a mis en place des noues à redents et des drains français.

Les drains ont été positionnés pour que l’eau qui s’écoulait sur un chemin au centre du bassin versant puisse arriver jusqu’à la parcelle située en bas du bassin versant. Auparavant cette eau passait sur la parcelle via trois passages et créait des ornières. Pour éviter cela, une fascine constituée de cannes de roseaux placées perpendiculairement à la pente a aussi été installée en amont de la parcelle.

Fascine constituée de cannes de roseaux

Pour la nouvelle parcelle, après les relevés topographiques et la création de noues, il y a eu une fissuration à 1m10 de profondeur en suivant les courbes de niveau de la parcelle. Cela devrait permettre de casser les semelles de labour, potentiellement présentes sur la parcelle.

Puis la plantation a aussi été effectuée en suivant les courbes de niveau.

Plantation des vignes en suivant les courbes de niveau avec Vitisat

Dans une autre parcelle déjà plantée dans le sens de la pente, une fissuration en pointillé suivant les vignes (donc perpendiculairement aux courbes de niveau) a été faite. Cette technique consiste à passer dans le sens de la pente sur les parcelles avec la sous-soleuse et relever après avoir descendu 50 à 60 cm de dénivelé, puis replanter un peu plus loin. Cela permet de créer une fissure verticale dans le sol, interrompue régulièrement ce qui crée des zones où l’eau est stockée temporairement avant de s’infiltrer, au lieu de s’écouler directement vers le bas. Cette technique permet d’améliorer la gestion de l’eau sur les parcelles où les vignes ne sont pas plantées en suivant les courbes de niveau, sans avoir à les replanter.

Fissuration en pointillé sur une parcelle

Les investissements

Financiers

La préparation du terrain a coûté 3500€ HT (pour 1,10 ha) : bulldozer pour ripper et de pelleteuse pour création de noues.

La plantation en courbe de niveau est trois à quatre fois plus chère que la plantation en ligne droite. Avant de faire de l’hydrologie régénérative, la plantation était faite à la main et coûtait environ 20 centimes du pied. Pour planter en suivant les courbes de niveau, Rémi Sisqueille a dû faire appel à Vitisat, un prestataire spécialisé dans la plantation avec suivi GPS, ce qui lui coûte environ 80 centimes du pied (4000 pieds sur 1,10 ha).

Le domaine n’a pas construit de mares car le coût aurait été trop important.

Temps de travail

La plantation n’a pas pris plus de temps puisque c’est une plantation mécanique donc plutôt rapide.

Le temps de travail supplémentaire est d’une journée pour creuser les noues et de deux jours et demi avec trois personnes pour mettre en place la fascine en amont de la parcelle et remplir les drains de cailloux. La création des redents a également pris environ une demie journée.

Avez-vous perçu des aides (PAC, région, département,...) ?

Le domaine n’a pas reçu d’aides. Il existe apparemment des aides de l’Agence de l’eau (notamment un financement de 70% des projets), mais il faut que le projet soit porté par des communautés de communes ou des PSE.

Il a obtenu un taux d’emprunt préférentiel à la banque (Crédit Agricole), qui trouvait le projet intéressant et l’a soutenu.

Bilan

Résultats observés

A la date de l’interview il était trop tôt pour constater les résultats sur la nouvelle parcelle, tout juste plantée. On constate cependant déjà une baisse substantielle du ruissellement et également une meilleure répartition de l’eau. Une plus grande quantité d’eau est stockée dans la parcelle et ce stock est réparti de façon plus homogène que précédemment.

Il est encore trop tôt pour constater une différence au niveau de la biodiversité de l’exploitation.

Difficultés rencontrées

La difficulté principale a été d’obtenir une date de chantier avec Vitisat, et de se synchroniser pour aller chercher les pieds de vigne chez le pépiniériste (en Espagne).

Le fait de planter en suivant les courbes de niveau a été vu comme une remise en question du système classique de plantation.

Cela entraîne aussi une certaine crainte pour le travail du rang qui pourrait être plus compliqué. Pour éviter d'abîmer les plants tant qu’ils ne seront pas matures, Remi envisage de travailler la parcelle au cheval.

Opportunités

Les employés et les saisonniers sont heureux de travailler sur ce projet et dans les nouvelles parcelles. Pour Rémi, ces méthodes en agroécologie participent à l’attrait du domaine pour le recrutement des saisonniers.

La vente directe est aussi l’occasion de partager ce projet aux clients. Le projet a également permis d’obtenir des articles sur le domaine dans la presse.

Points de vigilance

Il faut faire attention au timing car les différentes prestations peuvent être compliquées à organiser dans le temps. Ce sont aussi des travaux qui doivent être réfléchis bien en amont de la plantation.

Perspectives

Des essais sont réalisés avec différents porte-greffes. Sur une des parcelles, deux porte-greffes différents ont été plantés en 2022. Il est encore trop tôt pour constater une vraie différence mais l’un semble un peu plus vigoureux que l’autre.

Rémi Sisqueille mène une réflexion sur le matériel végétal utilisé dans ses plantations. Après plusieurs années à utiliser du matériel végétal sélectionné, il se tourne désormais vers la sélection massale, en plantant des pieds issus de ses propres vignes, sélectionnés sur trois ans.

Il modifie aussi la manière de greffer les plants en choisissant une greffe à l’anglaise, plus respectueuse de la circulation de la sève, au lieu de la greffe oméga. Les porte-greffes choisis seront quatre clones du porte-greffe 110 Richter.

Un des objectifs est aussi de privilégier la greffe sur place, notamment en récupérant les porte-greffes présents dans les anciennes parcelles. Ces porte-greffes qui étaient auparavant coupés pour ne pas prendre de place sont désormais taillés et ébourgeonnés en vue d'une future greffe d’ici un ou deux ans.

Pour ces essais, Rémi Sisqueille fait partie du Civam Bio 66, pour pouvoir échanger avec d’autres viticulteurs. Il est aussi suivi par la Chambre d’Agriculture.

Source

Retour d'expérience rédigé à la suite d'un entretien avec Rémi Sisqueille en mai 2025