Guide des plantes bio-indicatrices inspiré par Didier de la Porte
Il y a 150 millions d'années, la graine, phénomène capital dans l'évolution du monde végétal, n'existait pas. Elle est très récente dans l'évolution de la planète. Au moment où le pollen féconde l'ovule, la graine entre en dormance. De ce fait, lorsque la plante a produit sa graine, elle ne s'est pas encore reproduite.
Ce qui nous amène à la question suivante : quelle est la réelle reproduction des plantes ? C'est la levée de dormance !
Une autre question intéressante est de comprendre qu'est-ce qui fait pousser les plantes ? Ce sont les levées de dormance ! Et donc depuis 150 millions d'années d'évolutions, les critères de levée de dormance se sont énormément diversifiés et complexifiées. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui en France on a 7 000 espèces de plantes et 7 000 combinaisons de critères de levée de dormance. En arrivant à décoder les critères, il est possible de savoir ce qui se passe dans notre sol. Les conditions qui lèvent la dormance de la plante dans le sol indiquent l’action de celle-ci dans le sol.
Ce guide rédigé par MSV Normandie dans le cadre du GIEE "Zéro Désherbage" reprend un schéma créé par Didier de la Porte de la Ferme du Château. L'objectif est de vous fournir une liste, facilement utilisables sur le terrain, des plantes bio-indicatrices afin de pouvoir établir un diagnostic de l’état de votre sol. Cependant, il est nécessaire de suivre une méthodologie facile à prendre en main mais permettant d’assurer que votre diagnostic soit représentatif de votre planche/bloc de culture.
Méthodologie
Pour réaliser les inventaires botaniques, vous devez vous munir d'un quadrat de 0,5 m², du guide des plantes bio-indicatrices que vous pouvez trouver sur cet article et idéalement d'un smartphone pour utiliser Pl@ntNet si vous avez du mal à identifier certaines plantes spontanées.
Pour une planche ou un bloc de culture, il est conseillé de réaliser trois inventaires à des localisations différentes afin d'avoir une bonne représentation. En ce qui concerne la localisation des inventaires botaniques, vous avez deux options :
- Choisir aléatoirement la localisation des prélèvements. Pour ce faire, vous pouvez lancer votre quadrat aléatoirement sur votre planche et réaliser l'inventaire à l'endroit où est tombé le quadrat.
- Définir les zones homogènes sur votre planche. Une zone homogène correspond à une zone du sol présentant des caractères physico-chimiques distincts du reste de la planche. Par exemple, si vous observez qu'une partie de la planche est envahie par une plante en particulier, vous pouvez la définir comme une zone homogène. Autrement, une zone homogène peut être définie si vous avez observez que vos légumes poussent moins bien sur cette partie. Si vous observez que votre planche arbore une communauté homogène de flore spontanée, il est préférable de choisir aléatoirement la localisation des quadrats.
Une graine lève car dans son environnement immédiat, les conditions de levée de dormance correspondent à ce qui est décrit dans sa génétique mais ça ne veut pas dire que si vous voyez un pied d'ortie au milieu d'une parcelle de 10 hectares de prairies permanentes que l'ortie est indicatrice de tout ce qui se passe sur la parcelle. Généralement, si vous avez un mètre carré d'ortie au milieu d'une parcelle de 10 hectares de prairies permanentes ou de prairies de fauche, vous allez trouver une pièce de machine cassée enterrée à cet endroit, car l'ortie germe pour absorber le fer en excès. Donc ce diagnostic est valable uniquement sur l'endroit où pousse la plante.
Par conséquent, si vous trouvez plusieurs espèces indicatrices des mêmes conditions, il y a de fortes chances que votre sol présente les caractéristiques mentionnées par le schéma.
Pour établir un bon diagnostic, il faut non seulement tenir compte de l'espèce mais aussi tenir compte de la densité des espèces. Le tableau ci-dessous vous aidera à mettre une valeur d'abondance :
Comment interpréter le schéma et établir un diagnostic de mon sol ?
Le schéma est divisé en 5 zones :
1) En haut, ce sont les sols acides.
2) En bas, ce sont les sols calcaires.
3) Le milieu, délimité par un ovale et des tirets, correspond à un sol équilibré.
4) A gauche, ce sont les sols contenant une proportion élevée de matière organique azotée.
5) A droite, ce sont les sols contenant une proportion élevée de matière organique carbonée.
Légende & symboles
Si le nom de l'espèce est accompagné par un chiffre (x), cela veut dire que l'espèce est présente x fois sur le schéma. Par exemple, le fumeterre est précédé du chiffre trois. Ce qui signifie que le fumeterre est présent sur 3 zones distinctes : en excès de nitrates, avec une bonne richesse en nitrates et dans les sols équilibrés. Comment interpréter la présence du fumeterre ? Si votre planche est fortement recouverte par du fumeterre alors votre sol est en excès de nitrates tandis que si vous retrouvez seulement quelques pieds au sein d'une communauté diversifiée alors votre sol est équilibré.
Les indications entre parenthèses donnent une information supplémentaire sur l'état de votre sol et les conditions nécessaires à la levée des plantes spontanées. Par exemple, le fumeterre est suivi d'un (b+), ce qui veut dire que le fumeterre est à la fois riche en nitrates et en oligo-éléments (Magnésium, Calcium, etc.).
Les signes du zodiac, c'est pour représenter des graines dont la levée de dormance est favorisée par les signes du zodiac mentionnés.
De la matière organique azotée (C/N < 10) à de la matière organique carbonée (C/N > 30) : une évolution inéluctable du sol perturbé vers la forêt
Les successions écologiques ou l'évolution de la communauté végétative vers la forêt est représentée sur le guide : lorsqu'on se dirige vers la droite, les espèces recensées sont indicatrices de sols forestiers. Ainsi, vous retrouvez des espèces présentes sur des sols avec un C/N élevé > 30, typique des sols forestiers. A l'inverse, les espèces présentes sur la gauche de la feuille sont typiques de sols perturbés avec un C/N avoisinant 10.
A savoir que les terres forestières ne sont pas des terres à légumes car trop riches en carbones. En forêt, les arbres nécessitent moins d'éléments solubles qu'en culture. Ils obtiennent leurs oligo-éléments grâce à leur profond enracinement.
A cela s'ajoute que :
- La dégradation des litières, est donc la minéralisation de l'azote, est beaucoup plus lente.
- Il n'y a quasi aucune exportation de matières organiques mais beaucoup de restitutions végétales ligneuses.
- Il n'y a pas d'annuelle, non pas par manque de lumière mais pour des raisons de nourriture. En effet, les plantes annuelles vivent sur des sols ayant une forte vitesse de minéralisation de l’azote organique.
Quels sont les plantes permettant d'évaluer le type de matières organiques et comment modifier le C/N ?
Les ronces, plantes facilement reconnaissables, sont un bon moyen pour identifier les sols avec des C/N supérieurs à 40.
Il est aussi possible d’évaluer la nature des matières organiques présentes dans votre sol via deux espèces de véroniques. La véronique à feuille de lierre est caractéristique de sols riches en matières organiques carbonées et minéralisables ou se développe une bonne vie microbienne aérobie. Cependant, il faut faire attention à ne pas apporter trop de matières organiques carbonées au risque de basculer vers un sol forestier qui n’est pas adapté à la culture des légumes. Il faut donc apporter de la matière organique azotée, tel que des engrais verts détruits jeunes (avant épiaison pour les graminées et avant floraison pour les dicots). A l'inverse, la véronique de Perse nous renseigne que le sol est composé principalement de matières organiques azotées. Il serait préférable d'apporter de la matière organique carbonée pour augmenter votre C/N.
Sol équilibré : les conditions optimums pour la croissance des légumes
La zone délimitée par les tirets représente les sols :
- Riches en matières organiques ayant un C/N favorisant la croissance des légumes.
- Une forte activité microbienne aérobie.
- Des sols riches en bases (Magnésium, Potassium, Calcium, Cuivre, Bore, etc...).
- Une forte porosité.
- Une bonne rétention hydrique.
- pH neutre.
La zone la plus fertile et la plus active pour les plantes est la zone de rencontre des horizons humifère et minéral, où se fabrique parfois du complexe argilo-humique. L'agriculture, à depuis toujours utilisé cette zone de rencontre pour implanter des cultures, zones très riches et biologiquement actives. Historiquement, les maraîchers cultivaient sur des marais asséchés, ce qui permettait d'avoir un sol enrichi en matières organiques. Les pratiques mises en place sur la Ferme du Château ont pour objectif de tendre vers cette zone.
Quelles sont les plantes permettant d'identifier un sol équilibré
Dans la zone neutre, on peut observer qu'il y a moins de plantes spontanées car le sol est équilibré et ne ramène pas de vivaces, tel que le liseron des haies. Cependant, il existe plusieurs espèces indiquant que le sol est équilibré. A commencer par le mouron blanc qui lève sa dormance en présence d'un humus stable équilibré et une bonne vie microbienne aérobie. Le rôle du mouron blanc est de réorganiser l'azote sous une forme organique non lessivable. Le plantain lancéolé est une bonne espèce indicatrices de forte activité biologique et associée à des sols poreux.
La luzerne tachetée pousse sur des sols riches en bases et en humus stable. L'apparition de luzerne tachetée indique que le sol est riche en matières organiques. Ou encore, le géranium colombin indique une matière organique stable dont le C/N est équilibré.
Cette zone convient bien pour la majorité des légumes. Cependant, les légumes gourmands en azote auront des rendements plus élevés lorsque le sol est composé majoritairement de matières organiques azotées.
Des sols perturbés et composés de matière organique azotée en excès
En maraîchage classique, les sols sont recombinés car :
1) Il y a des interventions fréquentes, tel que le labour, sur le sol toute l'année.
2) Il y a des déconstructions, des oxydations et des fortes exportations d'oligo-éléments.
3) Il y a de fortes exportations de matières organiques, il y a aussi de fortes importations via des apports d'engrais organiques en grande quantité ou des engrais chimiques.
4) Souvent c'est un milieu avec une forte irrigation. L'irrigation joue énormément sur la flore.
Les pratiques employées en maraîchage classique, vont atteindre la faune du sol, tels que les décomposeurs. C'est donc globalement un milieu très faible en diversité végétale et la plupart des plantes qui sont dans les systèmes maraîchers sont des plantes issues de milieux extrêmes. Ce sont des plantes qui viennent de zones inondables, des bords de rivières ou des zones de vasières d'estuaire donc des zones qui sont sales et riches en matière organique asphyxiées. Par exemple, le biotope primaire du rumex, est les estuaires de l'Atlantique.
Les plantes indicatrices d'un sol souvent mis à nu créant un fort risque de lessivage
Les plantes indicatrices d'un sol affecté par une asphyxie provoquant la présence de nitrites
Un des critères de levée de dormance retenu est l'hydromorphisme et l'asphyxie du sol. Il y a des plantes qui sont caractéristiques de sol asphyxiés. Le rumex et le plantain majeur sont des exemples parfait de ce type de sol. Les espèces présentes dans cette zone ont la capacité de corriger les déséquilibres en absorbant les nitrites pour métaboliser les protéines alors que les nitrites sont normalement toxiques pour les plantes. Une fois que les nitrites sont métabolisés dans les feuilles de la plante, le rumex libère de l'azote, profitant au reste de la végétation. Le rôle de ces plantes est de nettoyer le sol des nitrites.
Si vous trouvez une forte abondance de chénopode blanc, de morelle noire ou de liseron des champs, votre sol court le risque d'une hyper minéralisation, avec des excès d'éléments libérés N,P, K, une forte diminution voire la disparition des champignons et la déstabilisation du complexe du sol.
Le géranium disséqué indique que la matière organique est trop azotée, or, le géranium à feuilles rondes indique que le sol est en train de basculer en excès de nitrites. Il est donc préférable d'augmenter le C/N de votre sol via des amendements carbonés dès lors que vous voyez une forte levée de géranium disséqué.
Les plantes indicatrices d'un sol affecté par la présence de nitrites provoqués par des piétinements
Les plantes indicatrices d'un sol compacté par un travail du sol durant un temps humide et/ou d'un sol hydromorphe
Les nitrites sont aussi retrouvés dans des milieux asphyxiés par l'eau, tels que les marais. Si une planche est envahie de renoncule rampante, de renouée persicaire ou d'agrostis stolonifère , il y a de fortes chances que le sol soit hydromorphe.
Il est possible de drainer les sols hydromorphes avec un Actisol, un décompacteur à dents souvent nommé "canadien".
Un des leviers employé sur la Ferme du Château est de laisser certaines plantes spontanées, comme la sétaire pied de coq, terminer son cycle de vie afin de corriger le sol. La sétaire pied de coq germe dans des sols compactés par le travail du sol et ayant une majorité de matières organiques azotées. Laisser cette plante spontanée terminer son cycle de vie va ramener de la matière organique carbonée au sol.
Les plantes indicatrices d'un sol compacté et déstructuré
Les espèces présentes dans cette zone germent pour décompacter les sols et ramener de la porosité. Lorsqu'on arrache une plante figurant dans cette zone, on observe que le sol possède une texture grumeleuse.
Les plantes indicatrices d'un sol acide
Les espèces représentatives d'un sol acide sont localisées en haut de la page.
Cas particuliers : ortie, coquelicot et jonc glauque
Puisqu'il est possible de retrouver les trois espèces dans une multitude de sol, celles-ci ont été recensées dans le tableau en bas à droite du schéma. Par exemple, l'ortie n'est pas une plante indicatrice d'un milieu précis. Le rôle de l'ortie est de réguler la matière organique et l'excès de fer.
Schéma pour les plantes bioindicatrices des prairies
Tout comme le schéma pour les plantes spontanées présentes sur les systèmes maraîchers, il est possible d'effectuer un diagnostic de votre prairie en utilisant le schéma ci-contre :