Développer un atelier brassicole pour valoriser sa production céréalière
L'EARL du Moulin située en Ardèche pratique une agriculture durable depuis plusieurs années. Suite à un violent épisode de gel en 2014, cette ferme traditionnelle de polyculture-élevage a décidé de se diversifier en développant une production moins sensible aux aléas climatiques. Depuis 2017, François Lambert produit donc des bières sur la ferme, permettant à la fois de pérenniser une partie du chiffre d'affaires et de valoriser les céréales.
Parcours
François reprend l’exploitation de ses parents en 2005. Lors de la reprise de l’exploitation, l’atelier viticole était déjà largement prépondérant : 7,5 ha et demi de Saint-Joseph étaient alors produits. L’exploitation était également composée d’une quinzaine de vaches allaitantes, des céréales et quelques parcelles fruitières. En 2005, à la reprise de l’exploitation, François abandonne l’atelier arboricole car a très peu d’affinités avec cette culture dont la rentabilité est limitée. Il développe alors l’atelier de vaches allaitantes et la viticulture qui est la production la plus adaptée à la commune.
Présentation de l'exploitation
L'EARL du Moulin, en bref
L'EARL du Moulin est une ferme familiale traditionnelle ardéchoise de polyculture-élevage, impliquée dans une agriculture durable et pratiquant la lutte raisonnée.
La ferme est composée de divers ateliers :
- Viticulture (10 ha): 9ha de Syrah, 1ha de Viognier, parcelle test de Sauvignac.
- Elevage bovins allaitant de race Limousine : troupeau d'une quinzaine d'animaux. Les broutards sont envoyés à l'abattoir et commercialisés en vente directe.
- Grandes cultures : 10ha d'orge, 5 ha de seigle, 1ha de blé, 4 ha de sorgho fourrager, colza, triticale.
- Prairies temporaires composées d'un mélange de légumineuses (2ha)
- Atelier brassicole : production de 15 000L de bières chaque année
L'agriculture durable
L'EARL du Moulin produit en agriculture durable : tous les déchets ou coproduits sont réutilisés sur la ferme. En effet, la production de céréales permet de produire la bière, les drêches de bières nourrissent les vaches qui produisent de la matière organique réutilisée en amendements sur les parcelles viticoles et céréalières.
Contexte pédoclimatique
- Sols peu épais : 25 cm de terres arables constitués de granite sableux (très bonne terre à vigne mais nettement moins adaptée aux grandes cultures).
- Vallée du Rhône : beaucoup de vent, parfois violents
- Épisodes de grêle récurrents
- Les rendements en céréales de la région ne sont pas très élevés
Produire de la bière sur la ferme
Les motivations
- 2014 : les vignes ont subi un fort épisode de gel. Cet évènement a poussé François a développer une autre activité sur la ferme, moins dépendante des aléas climatiques. Il brassait déjà sa bière en amateur et a donc décidé de se former professionnellement dans l’objectif de développer un atelier brassicole sur la ferme.
- 2017 : la brasserie des Sarments est créée. Les céréales de l’exploitation sont transformées pour faire de la bière. Les vieux locaux de cave ont été réinvestis et réhabilités pour produire les bières directement sur la ferme. Cette activité représente à peu près 25% du chiffre d'affaire de l’exploitation et permet d'augmenter la résilience de l'exploitation face aux aléas climatiques.
Se former à brasser la bière
La formation est la première étape dans la création d'une brasserie à la ferme.
- Bagage technique initial : bac pro viticulture-œnologie et un BPA en polyculture-élevage.
- Formations complémentaires suivies : stages en brasserie et formation d'une semaine à l'Institut français de la bière et du maltage à Vandoeuvre les Nancy.
Le fait d’avoir un bagage technique en vinification et œnologie a beaucoup aidé pour initier la production des bières sur la ferme.
La formation a été financée par l'exploitation, les fonds VIVEA n'ayant pas pris en compte la formation suivie.
Produire une bière de A à Z sur l’exploitation
L'objectif de la brasserie des Sarments est de proposer des bières réalisées à partir de matières brutes produites sur la ferme :
- l’orge est cultivée directement sur la ferme et maltée dans des malteries locales
- des essais de houblon sont en cours mais l’itinéraire technique n’est pas encore abouti
Produire du houblon sur la ferme
François recherche actuellement un itinéraire technique pour produire du houblon adapté à la région : la ferme étant située en Vallée du Rhône, il y a beaucoup de vent et cela rend difficile la production de cette plante pérenne qui peut monter à 7m de haut.
L’essai mis en place est inspiré de la conduite de la vigne : le houblon est palissé à 2 m de hauteur et court ensuite à l’horizontal.
N'ayant pas encore la capacité de produire la totalité du houblon sur la ferme, François s'en procure de deux manières :
- Récolte sur un houblon centenaire chez un ami d’un village voisin, cette récolte permet de faire 2000 L de bières.
- Achat auprès de houblonnières en Alsace.
Produire de l'orge sur la ferme
Soucieux de proposer des bières en accord avec les principes de l'agriculture durable et de la lutte raisonnée mis en place sur la ferme, aucun produit chimique n'est utilisé pour produire l'orge.
L'orge d'hiver étant plus adaptée aux terrains de l'exploitation, la variété d'orge produite est Maltes.
Conduite de l'orge :
- Variété produite : Maltes
- Orge d'hiver sur 2 rangs
- Travail du sol :
- Labour avant semis
- Essais de semis sans labour avec des résultats plutôt satisfaisants : passage d'un cultivateur puis du semoir avec herse rotative (la terre est donc grattée sur 5-10 cm).
- Semis au mois d'octobre : la surface semée est augmentée d' 1/3 pour s'assurer de couvrir les besoins de l'atelier brassicole. Cela a permis l'an dernier de limiter les dégâts d'un orage de grêle qui a entraîné la perte de 30% de la récolte.
- Désherbage mécanique à la herse étrille au mois de mars.
- Apport d’azote fractionné en 3 passages :
- Un apport en février-mars
- Un apport en avril à l’épiaison
- Un 3ème apport si nécessaire
- En 2021, un seul apport a été réalisé car les sols étaient tellement secs qu'il n'a pas été possible de faire un apport en avril comme prévu et le temps pluvieux du mois de mai n'a pas permis de rentrer sur les parcelles pour réaliser l'apport.
- Récolte au mois de juillet
- Après les moissons : semis de moutarde pour décompacter le sol grâce à ses racines pivots et l'utiliser en engrais vert. Broyage de la moutarde si elle repart.
Trouver les recettes adéquates
Il a fallu environ 1 an à François pour mettre en place ses 3 premières recettes. Il faut garder en tête que les recettes sont en constante évolution car elles doivent s'adapter aux produits utilisés. La brasserie des Sarments s'impose d'acheter du houblon 100% français et il y a régulièrement des pénuries donc il faut savoir s'adapter aux produits bruts à disposition et à leur qualité.
En 2021, François propose une large gamme de bières produites sur la ferme : bières blanches, blondes, ambrées, vieillies en fût de chêne, aux fruits...
La gamme de bières est complétée chaque année par de nouveaux tests de recettes.
Commercialisation
- 15 000 litres de bières sont produits à l'année.
- La quasi-totalité de cette production est écoulée en vente directe et en circuit court, avec un intermédiaire au maximum.
- Les 3/4 de la commercialisation vont se faire en dépôt vente en magasins de producteurs, cela représente 45% du chiffre d'affaires de l'atelier brassicole.
- Le reste de la production est vendu sur les marchés.
- Une partie de la production est vendue en fûts pour des évènements festifs ou manifestations.
- En 2020, la brasserie a décroché un contrat avec une entreprise livrant des repas à domicile, cela a permis d'écouler 4 000 litres de bières à une époque où la vente de fûts de bières étaient bloquées puisqu'aucun évènement n'était autorisé.
Quels investissements ?
Investissements en 2017
- Réhabilitation d'un bâtiment déjà existant : mise aux normes électriques et eau, aménagements des pièces, carrelages...
- Achat de matériel pour le brassage : cuves inox, salles de brassage.
- L'investissement est resté modéré car tout le matériel de brassage est manuel et non automatique. C'est, d'une part, une volonté économique mais également une volonté d'utiliser un matériel simple qui ne tombe pas trop en panne. Cependant, ce matériel est plus physique et nécessite d'être toujours présent lors des travaux sur la bière.
Investissements en 2020
En 2020, la brasserie des Sarments a du s'agrandir pour adapter sa capacité de production à la demande.
- Achat d'un nouveau bâtiment agricole qu'il a fallut réhabiliter.
- Achat de nouveau matériel de brassage : cuves en inox.
- La salle de brassage achetée en 2017 a été conservée et installée dans le nouveau bâtiment.
L'achat de ce bâtiment permet également à François de développer son activité de vinification à la ferme et de rassembler le travail du vin et de la bière dans un même lieu.
L'ensemble du matériel de la brasserie a coûté 70 000€, financé par :
- un emprunt de 40 000€
- un autofinancement à hauteur de 30 000€
Impacts de la création d'un atelier brassicole
Bilan économique
La production de bières permet de mieux valoriser les céréales et produits bruts de l'exploitation mais la marge dépend vraiment de l'axe de commercialisation choisi. Elle est en général de 40% sans compter le temps de travail.
La production de bières réalise un chiffre d'affaires de 30 000€ environ. En plein développement de cet atelier, la Brasserie des Sarments a pour objectif un chiffre d'affaires de 80 000€ dans 2 ans.
Temps de travail
Jusqu'à maintenant le brassage de la bière était principalement réalisé le weekend ou au coup par coup. François brassait alors 1 500 litres en un peu plus de 24h et n'avait qu'un travail de surveillance la semaine, cela n'impactait donc pas le reste de l'activité réalisée la semaine. Avec le développement de la production, la fabrication demande davantage de temps, François embauche donc désormais des salariés pour la mise en bouteilles et l'étiquetage pour se libérer un peu de temps de travail.
Bilan
Avantages
- Pérennisation d’une partie du chiffre d'affaires.
- Les céréales sont mieux valorisées par la production et la vente de bières que par la vente en coopérative.
Points de vigilance
Certaines difficultés et points de vigilance ont été relevés par François lors de la mise en place de son atelier brassicole :
- Il paraît de plus en plus difficile de faire malter l'orge dans les malteries de la région lorsque l'on n'est pas labellisé bio. La place en malterie est restreinte et les productions bio semblent être préférées aux productions non certifiées. Cela représente un frein lorsqu'on souhaite travailler avec des artisans locaux.
- Les pénuries de houblon en France sont récurrentes : il y a de plus en plus de demandes pour du houblon local alors qu'il y a 10 ans, la moitié des brasseries se fournissaient au Etats-Unis, en Australie, Royaume-Uni ou Allemagne. La production de houblon français n'a cessé de décroître depuis les années 1980, passant de 2 000ha de production à seulement 750ha en 2017. Des filières de houblon commencent malgré tout à se monter en dehors de l'Alsace, le bassin de production principal, donc il est possible d'en trouver, parfois à des coûts un peu plus élevés mais qui permettent de travailler avec des produits locaux.
- Savoir adapter les recettes aux produits utilisés.
Conseils pour se lancer dans la production de bière
- Commencer en "Gypsy Brouwer" : louer des locaux à la journée dans une brasserie pour connaître les matériels de brassage existants, les essayer et trouver ce qui convient à notre système.
- Ne pas négliger la partie commerciale et administrative qui représente plus de temps que le brassage en lui même.
Annexes
- Cet article a été rédigé suite à un entretien avec François Lambert réalisé le 22/05/2021.
- Pour suivre toutes l'actualité de la brasserie des Sarments : https://brasserie-des-sarments.com/