Allélopathie

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Les différentes voies de libération et les effets des substances allélochimiques, Z Zhang et al., 2020

L’allélopathie est l’ensemble des interactions biochimiques réalisées par les plantes entre elles, ou avec des microorganismes.

Définition

L’origine du mot vient du grec allelo (“l’un l’autre”) et pathos (“souffrance”, “affect”). Ainsi, cette étymologie sous-entend que ces interactions sont négatives : compétition pour les ressources, mécanismes de défense. Le sens actuel de l’allélopathie inclut également des interactions positives, comme les phénomènes de coopération ou la stimulation des microorganismes. Ces interactions se font par l’intermédiaire de composés dits allélochimiques, libérés par la plante dans son milieu. Le plus souvent, ces composés sont des métabolites secondaires et appartiennent à des familles biochimiques très variées[1].


Principes

Les composés chimiques entrant en jeu dans l'allélopathie peuvent être libérés par trois voies chez la plante :

  • les racines (exsudation)
  • les parties aériennes (lixiviation ou volatilisation)
  • la décomposition des résidus de la plante morte
Voies de libération des composés allélopathiques selon Kobayashi, (2004)[2].

L’allélopathie est principalement reconnue pour son intérêt dans la maîtrise du salissement des parcelles (effet inhibiteur sur la croissance des adventices). Elle est utilisée dans les rotations des cultures, que ce soit en interculture avec les couverts végétaux ou en culture avec le mulch, voire au travers de bioherbicides. Dans une perspective de conduite agroécologique des cultures, l’allélopathie est particulièrement intéressante car elle permet de limiter les interventions de désherbage, et jouerait parfois aussi un rôle dans la lutte contre les ravageurs et les agents phytopathogènes (pratique de la biofumigation).

Substances allélochimiques

Par types

Les substances allélochimiques conduisent à des interactions entre individus d'espèces différentes, ce sont des substances interspécifiques. On distingue les allomones, les kairomones et les synomones[3].

  • Allomones : On appelle allomone une substance produite par un être vivant et qui interagit avec un autre être vivant d'espèce différente, au bénéfice de l'espèce émettrice.
  • Kairomones : Il s'agit d'une substance produite par un être vivant et qui interagit avec un autre être vivant d'espèce différente, au bénéfice de l'espèce réceptrice.
  • Synomones : On appelle synomone une substance produite par un être vivant et qui interagit avec un autre être vivant d'espèce différente, au bénéfice réciproque de l'espèce émettrice et de l'espèce réceptrice.


Par familles chimiques

Les molécules allélochimiques sont principalement :

  • des acides phénoliques, qui peuvent perturber l’absorption minérale par la plante
  • des quinones, qui peuvent agir sur l'expression des gènes des individus cibles
  • des terpènes, connus pour inhiber la croissance de certains végétaux par l'inactivation d'enzymes de croissance.


Exemples de plantes allélopathiques

Le noyer (Juglans nigra) : il libère une substance appelée juglone, principalement à partir de ses racines, qui inhibe la croissance de nombreuses autres plantes, en particulier les cultures de tomates, pommes de terre, et certains légumes.

L’eucalyptus (genre Eucalyptus) : ses feuilles contiennent des huiles essentielles allélopathiques qui, en se décomposant, peuvent limiter la germination des plantes avoisinantes.

Le riz : certaines variétés de riz produisent des substances allélopathiques qui peuvent empêcher la croissance des mauvaises herbes dans les rizières.

L’ail (Allium sativum) : il libère des composés allélopathiques qui peuvent inhiber certaines herbes indésirables et limiter les maladies dans le sol.


Applications en agriculture

Biofumigation et glucosinolates

Les glucosinolates sont des métabolites secondaires glucidiques soufrés principalement produits par les plantes de l’ordre des Capparales dont font partie les crucifères (Brassicacea)[4].

Exemples de services et dis-services fournis par les cultures intermédiaires de crucifères sur une large gamme de pathogènes et auxiliaires, CA Occitanie, 2018


Les crucifères connues pour réaliser la biofumigation[5]
  • Moutarde brune (Brassica juncea) : elle semble avoir l'action allélopathique la plus puissante. Elle contient des teneurs élevées en glucosinolates actifs, produisant des isothiocyanates (ITC) volatils à action rapide à partir des parties aériennes et des racines. Des tests in vitro ont montré la capacité des résidus de moutarde brune à inhiber la croissance mycélienne d'Aphanomyces euteiches, un champignon pathogène du pois.

→ Consulter la fiche technique Implanter des cultures intermédiaires à effet allélopathique pour plus de détails sur la moutarde brune et son utilisation en champ.

  • Colza (Brassica napus) : il est fréquemment cité pour ses propriétés "assainissantes" dues aux glucosinolates présents dans ses graines et ses parties végétatives. Ses résidus de culture peuvent contribuer à la biofumigation en libérant des ITC à action rapide et lente, issus des parties aériennes et des racines, respectivement. Cependant, à maturité, les parties végétatives du colza contiennent de très faibles concentrations en glucosinolates actifs.
  • Moutarde blanche (Sinapis alba) : elle contient des concentrations totales en glucosinolates plus faibles que le colza et la moutarde brune, ce qui lui confère un potentiel allélopathique moins significatif. Elle produit des ITC moins volatils que le colza, suggérant une action plus lente. Les résidus de moutarde blanche pourraient ralentir la croissance mycélienne d'Aphanomyces euteiches.
  • Moutarde noire (Brassica nigra) : c'est une crucifère potentiellement prometteuse pour un effet sur le piétin-échaudage du blé, en raison de sa composition en glucosinolates.


L'allélopathie des adventices sur les plantes cultivées

  • L'avoine sauvage (Avena fatua) réduit significativement la croissance des feuilles et des racines de blé grâce à ses exsudats racinaires.
  • L'avoine rude (Avena strigosa) a démontré un effet dépressif sur la croissance de diverses adventices, notamment une réduction de la biomasse et du recouvrement.


L'allélopathie des plantes cultivées sur les adventices

  • Le tournesol (Helianthus annuus) a un fort potentiel allélopathique sur de nombreuses adventices, sur la germination et la croissance de la moutarde blanche (Leather, 1983)[6].
  • L'armoise annuelle (Artemisia annua) produit l'artémisinine, une molécule aux propriétés phytotoxiques avérées, qui inhibe la croissance des mauvaises herbes, tant en laboratoire qu'au champ[7].


L'allélopathie des plantes cultivées sur d'autres plantes cultivées

Elle peut venir des effets des résidus de culture en surface ou enfouis dans le sol, de la rotation des cultures, des pratiques culturales, etc.

La luzerne (Medicago saliva L.) est autotoxique et allélopathique, la hauteur et le poids frais de la luzerne sont plus faibles sur un sol issu d'un champ de luzerne que sur un sol issu d'un champ de sorgho. Les composés allélopathiques du sol sous luzerne sont impliqués dans l'inhibition de la croissance.

Les extraits aqueux de résidus de riz (Oryza sativa) en décomposition dans le sol inhibent la croissance de la radicule de laitue


Effets insecticides

Devakumar et Parmar, (1993), ont découvert que plus de 300 plantes sont capables de réduire un grand nombre d'insectes. Au Maroc, Fahad et al,. (2012) ont réalisé une étude sur l’effet insecticide des exsudats racinaires de Mandragora autumnalis Bertol (mandragore), sur Ceratitis capitata. La forte concentration des extraits aqueux et éthanolique des racines de mandragore (30g/20ml et 20g/ml), attribuent des perturbations au niveau du système digestif, se traduisant par un gonflement de l’abdomen avec un blocage des excréments au niveau de l’anus, ce qui induit la mort de Ceratitis capitata[8].

Hydrolyse et principaux produits de dégradation des glucosinolates.

Effets nématicides

Les crucigères (Brassicacea) sont connues pour avoir un effet nématicide lors de leur décomposition. Cette décomposition libère des isothiocyanates biocides qui, sous l’action de l’enzyme myrosinase, affecte les nématodes parasitaires.


Limites

Bien que l'allélopathie présente un potentiel prometteur pour la gestion des cultures, son application à grande échelle en agriculture se heurte à plusieurs limites.

  • Dans les conditions réelles, il est extrêmement difficile de séparer les effets allélopathiques des effets de la compétition pour les ressources[6]. Les deux phénomènes interagissent et influencent la croissance des plantes, rendant difficile l'isolation de l'impact spécifique de l'allélopathie.
  • La diversité des molécules allélopathiques produites, les niveaux de concentration de ces molécules selon les espèces et les cultivars, et la sensibilité des agents pathogènes à ces molécules rendent difficile la prédiction et la généralisation des effets allélopathiques[5].
  • Les facteurs environnementaux tels que le climat, le type de sol et les pratiques culturales influencent fortement l'expression de l'allélopathie. Par exemple, la texture du sol, le pH, la matière organique et les niveaux d'azote peuvent affecter la rétention et la dégradation des composés allélopathiques.
  • L'allélopathie ne se limite pas à une interaction plante-plante, elle implique également les micro-organismes du sol. Les composés allélopathiques peuvent affecter non seulement les agents pathogènes ciblés, mais aussi les micro-organismes bénéfiques, ce qui peut avoir des conséquences imprévues sur la santé du sol[6]. Il est essentiel d'évaluer l'impact global des pratiques allélopathiques sur l'écosystème du sol. Davantage de recherches sont nécessaires pour identifier les composés allélopathiques spécifiques, leurs modes d'action, leur persistance dans le sol et leur impact sur les différents organismes du sol.


Annexes


  1. C Aubertin, 2018, https://dicoagroecologie.fr/dictionnaire/allelopathie/
  2. Gfeller et Wirth, (2017)
  3. Académie de Montpellier [page consultée le 25/10/2024] https://tice.ac-montpellier.fr/ABCDORGA/Famille6/PHEROMONES.htm
  4. Potentiels de régulation biotique par allélopathie et biofumigation et dis-services produits par les cultures intermédiaires multiservices de crucifères, L Alletto et al., 2018, https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/3rdf2018-actes-1_cle415433.pdf
  5. 5,0 et 5,1 Un autre regard sur les successions de culture : Comprendre et utiliser l’allélopathie pour améliorer la gestion des cultures dans la rotation, R Reau et al., 2019, https://agroparistech.hal.science/hal-02314710/document
  6. 6,0 6,1 et 6,2 Effets allélopathiques d'une couverture d'avoine et leurs impacts sur la macrofaune du sol, Marie-Emilie EVENO, 2000, https://agritrop.cirad.fr/476940/1/ID476940.pdf
  7. L’allélopathie: un phénomène controversé, mais prometteur, J. WIRTH et al., Agroscope, 2012
  8. L’allélopathie : utilisation en agriculture biologique et son impact sur l’environnement, K El assri et al., 2021, https://www.researchgate.net/profile/Hassnae-Azoughar-2/publication/372079580_L'allelopathie_utilisation_en_agriculture_biologique_et_son_impact_sur_l'environnement/links/64a3ffa58de7ed28ba744ff4/Lallelopathie-utilisation-en-agriculture-biologique-et-son-impact-sur-lenvironnement.pdf
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