Reconstituer « naturellement » un couvert prairial

De Triple Performance
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Reconstituer "naturellement" un couvert prairial permet de :

  • Ne pas subir mais plutôt orienter les plantes qui s’installent après une dégradation
  • Décider quoi faire à chaque stade de reconstitution du couvert
  • Chercher une alternative moins coûteuse et plus pérenne que le semis pour regarnir une prairie

Cette fiche propose :

  • de comprendre les processus impliqués dans la transition d’un sol nu jusqu’au retour d’un couvert prairial souhaité
  • de se fixer des critères d’observation sur la végétation de la parcelle à différents pas de temps
  • de concevoir, en fonction des observations réalisées, un ensemble de pratiques pour orienter la succession des espèces végétales vers ce qui est attendu.

Lorsque du sol nu est constaté, il n’est pas obligatoire de sortir le tracteur pour ressemer. Reconstituer « naturellement » un couvert fourrager qui se maintient au fil des années, c’est possible. Néanmoins, cela ne veut pas dire attendre et compter sur la seule capacité naturelle des prairies à récupérer.

Les pratiques de pâturage peuvent être un levier technique pour accompagner sereinement la succession des espèces végétales. Elles constituent ainsi une alternative au semis ou au sur-semis. La reconstitution du couvert sera peut-être plus longue, mais plus pérenne.

Surtout, elle sera sûrement plus certaine…

Définir un couvert prairial avec des caractéristiques souhaitées

Ici, on définit comme prairial un couvert végétal pérenne dans le temps, diversifié et dominé par un mélange de graminées (monocotylédones) et/ou légumineuses (dicotylédones) en proportion variable. Les caractéristiques souhaitées se définissent par rapport aux objectifs de chaque éleveur en termes de rôle de la parcelle dans le système, de besoins alimentaires du troupeau à couvrir et d’évolution attendue des végétations.

Définir la dégradation du couvert

Ici, on définit une dégradation comme une situation qui se concrétise par l’apparition de sol nu. Elle peut être le résultat d’une destruction mécanique du couvert (broyage, labour, passage de roues de tracteurs …), de dégâts d’animaux sauvages par piétinement ou fouissage (sangliers, rats taupiers...), de dommages climatiques (érosion par la pluie, sécheresse sévère …)  ; mais également de la combinaison de pratiques de pâturage ou de fauche entraînant l’épuisement des plantes (prélèvements trop fréquents par rapport à la vitesse de mise en réserve des plantes, piétinement…).

Démarche pour raisonner et piloter la reconstitution d’un couvert prairial souhaité après une dégradation selon que le fond prairial de la parcelle est dominé par des monocotylédones ou des dicotylédones.

Favoriser l’implantation des plantules

Le sol nu est un terrain favorable à l’implantation initiale et spontanée de plantules. Laisser l’ensemble des plantules s’implanter (même celles qui ne semble pas intéressantes à long terme) est essentiel pour cicatriser le couvert dans un premier temps.

Sans semis, ou en absence de colonisation par voie végétative, un passage par des plantes pionnières est inévitable. Inutile de vouloir avoir la main sur celles qui vont se développer ou non. Ce n’est qu’ultérieurement qu’il s’agira de mettre en place des pratiques pour orienter la composition du cortège végétal.

Période de germination des plantes

Les espèces ne lèvent pas en même temps voire à la même saison. Donc, il convient de maintenir les observations tout au long de l’année avant de tirer des conclusions trop hâtives en début de printemps. Par exemple, au printemps, la germination des légumineuses est plus tardive que celle des graminées. Chez les dicotylédones, certaines espèces germent toute l’année (Géraniums, Véroniques…), d’autres préférentiellement au printemps (Chénopode blanc, Renouée des oiseaux…) ou à l’automne (Vulpin des champs…).

Observer si les plantules sont des monocotylédones ou des dicotylédones

  • Les plantules qui dominent sont des monocotylédones : La succession végétale est déjà enclenchée vers un couvert prairial. Dans cette situation, si la survie des plantules et des jeunes plants est permise, la reconstitution du couvert pourra être rapide.
  • Les plantules qui dominent sont des dicotylédones : Parmi les dicotylédones on retrouve un diversité de plantes à fleurs dont certaines sont dites « rudérales » est ne sont généralement pas désirées sur le long terme dans le couvert (matricaire, véronique, capselle bourse à pasteur, bouillon blanc, chardon…). Ces espèces témoignent de l’historique de la parcelle. Elles ont comme stratégie de développement : la saturation du milieu par les graines, une implantation rapide et précoce et un cycle de vie court. Dans cette situation, la reconstitution d’un couvert prairial sera plus longue car devra passer par une succession d'espèces végétales pour atteindre l'équilibre monocotylédones/dicotylédones souhaité.
Rôle antagoniste des plantes pionnières

Même si les plantes pionnières (surtout annuelles) ne sont pas désirées sur le long terme, il s’agit tout de même de favoriser leur implantation car celle-ci permet la future implantation de plantes prairiales recherchées. En effet, l’installation d’une flore pionnière fournit une couverture temporaire qui peut faciliter la germination des graminées pérennes qui ont besoin d’obscurité pour lever mais également à la survie des plantules notamment pendant les périodes estivales en les protégeant des rayonnements directs du soleil et de la sécheresse.

De plus, l’implantation rapide de plantes rudérales souvent à rosettes a un rôle de stabilisation et de protection du sol contre l’érosion et diminue le risque de formation de croûte de battance suite à de fortes pluies.
Ce cortège rudéral peut compromettre la succession végétale du fait, qu’une fois installée, la flore rudérale occupe l’espace et peut rentrer en concurrence pour la lumière avec les plantules des espèces prairiales attendues. Il s’agit alors de les épuiser ou plutôt de limiter leur développement au profit des jeunes plants à valeur prairiale.

Vérifier si les plantules proviennent de multiplication végétative ou sexuée

  • Par multiplication végétative, l’installation des plantules se fait à partir d’un plant « mère » encore présent sur la parcelle par l’intermédiaire de drageons issus de racine ou rhizomes (Jonc, Carex, Chiendent, brachypode penné…) ou de stolons (Agrostis stolonifère, Trèfle blanc…). Elles bénéficient des réserves de la plante mère ou des résidus de rhizome/racine. Ainsi, un recouvrement rapide et robuste des zones de sol nu peut être espéré. Ces plantules sont donc plus compétitives que celles à reproduction sexuée. Attention à une éventuelle uniformisation du couvert du fait de la concurrence à la lumière qu'elles exercent sur les jeunes plantules issues de graines.
  • Par reproduction sexuée, l’installation de plantules se fait à partir de la germination des graines présentes dans le sol. Tous les sols possèdent une « banque de graines  ». Celle-ci est constituée de semences héritées des mises à graine des années précédentes mais également de graines provenant de l’environnement autour de la parcelle (amenées par le vent et/ou les animaux, et/ou apportées via le foin et/ou le fumier…). Il n’existe pas d’observation simple à réaliser pour connaître la composition de la banque de graine présente dans le sol.

Eviter la destruction des plantules

A ce stade toutes pratiques pouvant engendrer une destruction des plantules sont à éviter (passage d'outils, pâturage en condition de faible portance, pâturage très ras…)

Faire évoluer les plants vers le couvert souhaité

Une fois que des plantules ont commencé à coloniser le sol nu, l’enjeu principal devient de favoriser la survie des jeunes plants des espèces végétales souhaitées. Il s’agit alors de leur laisser du temps pour qu’ils produisent de l’énergieen excédent par photosynthèse accumulée sous forme de réserves énergétiques dans des organes spécialisés (gaines des graminées, racines, rhizomes, graines, etc.). Ce stock d’énergie les rendra plus aptes à faire face aux futures saisons climatiques éprouvantes (sécheresse, chaleur, froid) ainsi qu’aux futurs prélèvements (fauche ou pâture).

Distinguer les espèces selon leur sensibilité

Il n’est pas nécessaire de devenir un expert en botanique mais il semble indispensable de savoir distinguer les espèces par leur fonctionnement annuel. Cela permet d'identifier leur période de sensibilité et ainsi programmer des pratiques qui favorisent ou non leur survie.

Différence de période de sensibilité entre les plantes.

  • Chez les dicotylédones annuelles et bisannuelles, c’est au début de la période de pousse ainsi qu’à la mise en place de la floraison que le niveau de réserve est le plus bas.
  • Chez les graminées, c’est au début des périodes de pousse (début de printemps, début d’automne) que les plantes sont les plus sensibles.
  • Chez les espèces dont le mode de reproduction est basé sur la multiplication végétative, c'est un stade feuillu qui indique le moment à partir duquel la plante devient capable de se développer sans puiser dans ses réserves racinaires. (Chardon : 6-8 feuilles, chiendent rampant : 3-4 feuilles…).

Contrôler la proportion de plants pionniers

  • Pour épuiser les plants que l'on ne souhaite pas à l'avenir, le prélèvement des feuilles doit s'opérer au moment où leurs réserves sont les plus basses. Ce prélèvement leur impose alors de puiser à nouveau dans les réserves, et provoque par un effet cumulatif un affaiblissement (retard à la repousse, diminution de la productivité), voire une mortalité. Ainsi, les interventions doivent être suffisamment espacées pour laisser le temps aux plantes de produire de nouvelles pousses avant un nouveau prélèvement, mais suffisamment rapprochées pour les empêcher une reconstitution complète de leurs réserves.
  • Pour limiter le développement de jeunes plants que l'on ne souhaite pas à l'avenir, leur floraison peut être bloquée. En effet, une fois la hampe florale prélevée (par fauche ou pâture), les dicotylédones ne relanceront plus de floraison sur la saison. Cela stoppe leur croissance, contrairement aux graminées elles n’ont pas la capacité de taller. C’est à ce moment là qu’il est possible de jouer sur la compétition interspécifique, notamment pour la ressource lumineuse, en laissant les espèces que l’on souhaite voir se développer prendre le dessus.

Ce type d’intervention est délicat car il risque d’affecter par la même occasion les réserves des autres jeunes plants que l’on

souhaite conserver.

Si les pratiques mises en place entraînent une mortalité rapide des pionnières, la succession stagne et revient indéniablement

en arrière, au stade 1.

La destruction des jeunes plants de dicotylédones à reproduction végétative par mécanisation peut avoir un effet multiplicateur en disséminant des fragments de rhizomes ou racines qui pourront être à l’origine de nouveaux plants.

Combien de temps prends la succession ?

Il n’y a pas de réponse unique et simple à cette question. Il est important de déterminer tôt son objectif c’est-à-dire l’état de végétation souhaité. Le temps qu’on s’accorde pour y parvenir peut-être largement réduit si on met en place des stratégies de gestion adaptées à chacun des stades de la reconstitution. Comme nous l’avons vu plusieurs facteurs influencent ce temps de succession : l’origine de la perturbation, le type de reproduction des plantules, la proportion de monocotylédones/dicotylédones dès le stade plantules, la mise en place de pratiques, dès le stade jeunes plants, qui oriente le passage d’une flore pionnière à une flore graminéenne. Si les pratiques sont adaptées, dès la première saison les résultats peuvent être concluants…

Faire évoluer les plants vers le couvert souhaité

Lorsque le cortège floristique se stabilise, que les pionnières ont laissé leur place, que les plants sont devenus adultes, plusieurs étapes sont nécessaires pour raisonner les pratiques à mettre en place afin de faire évoluer la végétation vers le couvert prairial souhaité.

Analyser le fonctionnement actuel de la prairie

A ce stade, il s’agit d’observer le fonctionnement de la prairie. On peut enrichir les critères habituels de caractéristiques (productivité et valeur nutritive) par des critères moins habituels mais tout aussi intéressants : aptitude au report sur pied, précocité

et profil annuel de la croissance, rapidité de mise en réserve énergétique, précocité de l’épiaison, etc.

Vérifier si les objectifs sont atteignables sur la ferme

Il est important de vérifier rapidement si l’objectif fixé est atteignable dans les conditions pédoclimatiques particulières propres à chacun : certains sols ne pourront par exemple pas nourrir des plantes exigeantes, certaines expositions ne pourront pas héberger des flores précoces, certains climats ne seront pas compatibles avec une précocité ou une productivité élevée, etc.

Concevoir des pratiques pour orienter la flore

Pour faire évoluer une flore prairiale installée, le pilotage par des pratiques adaptées se fait avec un peu d’inertie, les changements étant un peu plus lents que sur les premiers stades de colonisation.

Illustration par un cas concret

© S.Mihout - SCOPELA - (photo prise au printemps)

Origine de la perturbation :

Ancienne culture de melon

Caractéristique du couvert recherché par l'éleveur

Couvert herbacé diversifié et équilibré (ni trop riche, ni trop azoté) pour des brebis et des jeunes agneaux à la fin du printemps

Qu'observe-t-on ?

  • Stade de développement du couvert  : majorité des individus au stade jeunes plants et quelques individus au stade plantules.
  • Composition du couvert : dominance de dicotylédones pionnières non souhaitées à l'avenir (chardons, cardères), mousse, jeunes plants de monocotylédones (mélange de graminées).
  • Type de reproduction : Chardon : végétative et sexuée

Cardère et graminées : sexuée

  • Fonctionnement des espèces : Le chardon et la cardère sont des plantes bisannuelles. Elles élaborent leurs rosettes la premières année et développent une tige florale la seconde.

Que faire à ce stade ?

L’objectif est de limiter le développement des chardons et cardères au profit des graminées et légumineuses. Pour cela :

  • Maintenir les observations de levée des plantules tout au long du printemps. Observer également les germinations automnales.
  • Éviter toute pratique qui détruirait les jeunes plants et ferait inévitablement revenir l’avancée de la succession au stade de sol nu.
  • Mettre les plantes en rosette en concurrence avec l’herbe au printemps dès que les jeunes plants de fourragères (graminées et légumineuses) seront plus développés.
  • Favoriser la mise en réserve des graminées et des légumineuses en pratiquant un pâturage en tri qu’en fin de printemps (= jouer sur la période, la durée et la fréquence du prélèvement)
  • Garder de la biomasse sur pied afin de protéger les jeunes plantules de la sécheresse estivale
  • Réaliser un pâturage facultatif à l’automne pour valoriser les repousses des graminées sans faire raser afin d’assurer un bon démarrage de l’herbe au printemps et de laisser une biomasse qui reste en concurrence pour la lumière dès le début du printemps suivant pour limiter l’implantation de nouvelles plantes non désirées.

Annexes

Des ressources pour aller plus loin

Cette fiche fait partie de la collection d’outils techniques éditée par le réseau Pâtur’Ajuste mettant en valeur les savoir-faire des éleveurs autour de la valorisation des prairies naturelles et des parcours dans les systèmes d’élevage.

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Sources


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