Mise en place de haies fourragères pour le pâturage des ovins
Romary Courtois, éleveur ovin et porcin dans l'Allier, partage avec nous son expérimentation de pâturage de haies fourragère par ses brebis.
Présentation
- Nom : Romary Courtois.
- Statut : Agriculteur.
- Nom de la ferme : Ferme de Conflant.
- Localisation : Couzon, Allier (03).
- Formation : Ingénieur mécanique et méthode de production. BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole) spécialisé en bio.
- Autres activités : Administrateur et membre du bureau du CEN (Conservatoire d’Espaces Naturels) de l’Allier. Ancien bénévole à la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux). Cet engagement naturaliste l'a amené à l’agriculture.
- Productions : Ovins viande, porcs, méteil pour nourrir les brebis.
- Cheptel :
- 150 brebis Charollaises et Charmoises en bio. Son système est très extensif. L’exploitation compte 50 ha, dont 40 ha tout en herbe et 10 ha en culture de méteil (avoine, triticale et pois fourrager) permettant ainsi à Romary d'être 100% autonome sur l'alimentation des brebis. Elles sont élevées en pâturage tournant et en plein air toute l'année, sauf pour la saison des agnelages au printemps, où elles rentrent 15 jours en bâtiment. Le taux de chargement en brebis est faible, il pourrait avoir plus de bêtes, mais il préfère la sécurité avec les années de plus en plus sèches et les problèmes d’herbe qui en découlent. Il vend son surplus de foin à ses voisins. Les agneaux sont vendus pour leur viande.
- 350 porcelets /an pour engraissement en bio. Son système est mené à l'inverse de son élevage ovin. Là, il est en intensif, hors sol et il achète 100% de ses aliments. Par moment il est partagé sur cette idée de hors sol, il n’assume pas toujours, par rapport à ses idées sur les aspects biodiversité et climat MAIS c’est bien aussi de ne pas réduire l’agriculture à 1 système extensif paysan face aux enjeux climatiques qui arrivent.
- 150 brebis Charollaises et Charmoises en bio. Son système est très extensif. L’exploitation compte 50 ha, dont 40 ha tout en herbe et 10 ha en culture de méteil (avoine, triticale et pois fourrager) permettant ainsi à Romary d'être 100% autonome sur l'alimentation des brebis. Elles sont élevées en pâturage tournant et en plein air toute l'année, sauf pour la saison des agnelages au printemps, où elles rentrent 15 jours en bâtiment. Le taux de chargement en brebis est faible, il pourrait avoir plus de bêtes, mais il préfère la sécurité avec les années de plus en plus sèches et les problèmes d’herbe qui en découlent. Il vend son surplus de foin à ses voisins. Les agneaux sont vendus pour leur viande.
- SAU : 50 ha.
- UTH : 1.
- Label : Agriculture Biologique.
- Sol : Sablo-limoneux, avec une partie en pentes exposées au Sud qui craignent la chaleur, avec très peu d’herbe mais les arbres y sont à peu près verts. Et une autre partie en prairies de fond au bord d’une petite rivière.
- Environnement : Domaine bocager.
- Mode de commercialisation : Coopérative SICABA qui travaille avec Biocoop pour les agneaux et la coopérative CIRHYO pour les cochons.
Motivations
Romary et sa femme sont des naturalistes actifs au sein de la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) et du CEN (Conservatoire d’Espaces Naturels) de l'Allier, et ça faisait longtemps que Romary voulait agir et potentiellement aller dans l’agriculture. Il est donc parti sur cette idée d’avoir son propre conservatoire de la biodiversité. Il a donc cherché un domaine préservé pour s'installer, le faire vivre et essayer d’en vivre.
L’Allier est une terre d’élevage et de bocage. Ce dernier a une vraie valeur écologique et représente le meilleur compromis entre agriculture et biodiversité. Traditionnellement, pour des raisons de meilleure valorisation de l'herbe, le système d’élevage y est mixte : bovins et ovins. Quand Romary a repris le domaine sur lequel il est installé, il n’y avait presque plus de clôtures adaptées. C’était idéal de pouvoir partir d'une page blanche pour tout recréer.
Historique
- Formations : En 2004, il obtient son diplôme d'ingénieur en mécanique et méthode de production. Mais il se rend compte que ce n'est pas fait pour lui. Il décide alors de se lancer dans l'agriculture grâce au soutien moral et financier de sa femme, qui a un salaire fixe. Sans ça, il n'aurait pas pris le risque de s'installer et il y a longtemps qu'il aurait arrêté. En 2005, il obtient son BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole) spécialisé en bio.
- Installation : Fin 2007, Romary s'installe en location sur un domaine à Couzon (près de Moulins). Les propriétaires étaient intéressés par l’agroécologie et son projet les a convaincus. Ils l’ont beaucoup aidé et lui ont même vendu des parcelles pour qu’il puisse monter ses bâtiments et sa maison.
- Choix des élevages :
- Ovins : Pour des raisons de coûts trop élevés de mise en place des bâtiments et de l'achat d'un troupeau de vaches, Romary est plutôt parti sur un élevage ovin, car il avait par ailleurs quelques connaissances sur le sujet. Mais 50 ha pour 150 brebis ce n’est économiquement pas viable (150 brebis = 100 agneaux à vendre chaque année à 120€/bête = 12000€ de CA en sachant qu’il a chaque année entre 30-35000€ de charges de structure). Une solution aurait été de trouver plus grand, mais il n’avait pas envie de courir à droite et à gauche pour avoir des hectares. Il voulait faire simple. Comme il est seul sur la ferme, la vente directe n’était pas envisageable, donc dans cette configuration, et vues ses terres pauvres, la solution qui lui restait c’était de faire du hors sol comme activité complémentaire.
- Porcins : Au départ il s’est orienté sur de la volaille, mais lors d'un stage, il a rencontré un collègue qui commençait le cochon bio et qui l'a convaincu de se lancer lui aussi. De plus, une filière bio se créait avec une coop près de chez lui, il a donc fait le choix de partir dans l'engraissement de cochons plutôt que dans la volaille. Le technicien de la coop l’a formé, car au début il n’y connaissait rien. L’engraissement est une activité simple : acheter des porcelets, les nourrir, les soigner et les revendre. Tout est organisé, c’est une solution de facilité. L'élevage hors sol se développe beaucoup dans les régions avec des petites terres difficiles comme on peut en trouver dans l’Allier, c’est une solution pour s’en sortir.
Le fourrage ligneux
Se lancer dans l'agroforesterie fourragère a été une opportunité. Avoir un système herbager sur des terres sableuses (pauvres) est assez compliqué car le sable est très séchant, il vaut mieux avoir des terres argileuses pour faire de l’herbe. Il a notamment 2 parcelles problématiques par temps sec où il n'y a souvent pas d'herbe de juin à octobre.
Les arbres étant quand même bien verts sur ces parcelles, il a essayé de trouver une solution. En 2018, il fait venir Sylvie Monier de la Mission Haie Auvergne dans l’idée de planter des arbres pour faire de l’ombre et favoriser la pousse de l’herbe, mais Sylvie lui conseille plutôt de planter des arbres à fourrage ligneux.
Il a aussi été soutenu par ses propriétaires qui voulaient un projet agroforestier pionnier dans l’Allier.
C'est ainsi qu'il s'est lancé dans ce projet expérimental.
Etapes de mise en place
- 2018 : Initiation du projet.
- 2019 : Premières plantations.
- Romary utilise le terme de "planche fourragère" pour parler de ces haies fourragères. Cette forme linéaire a été choisie pour ne pas perdre les aides surfaciques au niveau de la PAC, tout en profitant des bénéfices de l’arbre, comme il est considéré dans un système agroforestier. Après une étape de décompactage du sol, Romary a fait les trous à la bêche et planté à un rythme de 50 arbres par jour. En 10 jours, les plantations étaient faites. Suite à la plantation, le succès est mitigé car les conditions de terres sont mauvaises et il a fait très sec. Mais ça a motivé Romary pour aller planter dans de bonnes parcelles. Il a commencé par le plus dur.
- Essences : Cette 1ère planche fait 270 m de long sur 3 rangs, ce qui représente quasiment 580 arbres et arbustes. Le choix des essences s'est fait dans la continuité de l’environnement autour. Il n'avait pas envie de bambou ou de paulownia. Il a planté des tilleuls, ormes, chênes pubescents, beaucoup de mûriers qui pour le coup n'est pas une essence locale, mais qui est intéressante car très prolifique et résistante à la chaleur et à la sécheresse. Le souci c'est que les mûriers gèlent au printemps et les pluviométries peuvent être importantes. Il a aussi mis de la vigne, qui est très intéressante pour les animaux car prolifique et très résistante à la perturbation (coupe). C'est une vigne qui a des feuilles énormes mais qui ne donne pas trop de raisin, les brebis adorent. Des troènes ont également été plantés, ils sont intéressants pour la sècheresse mais peu productifs. Il s’est fourni chez plusieurs pépiniéristes.
- Protection : La bande est clôturée pour protéger les arbres des brebis, mais il a mis plusieurs barrières en bois à différents niveaux pour leur permettre un accès au moment du pâturage.
- 2020-21 : Plantation d'une 2ème planche fourragère qui est un doublon de la 1ère. Cette plantation a été l'occasion de faire un redécoupage de parcelles dans la longueur avec le schéma agroforestier : planter des alignements d’arbres isolés pour faire de l’ombre, améliorer le stockage d’eau en hiver et l’apport en nutriments.
- 2023 : 1er essai de pâturage. Les arbres étant longs à l'implantation, il n’a pas pu les faire pâturer dès leur plantation. Dans un 1er temps, Romary a ouvert toutes les barrières, donc les bêtes y sont vite allées, elles y sont restées 10 jours. Les brebis broutant à 80cm/1m, il y avait des tiges trop hautes pour elles, alors pendant encore 3-4 jours, Romary leur a apporté à la main le reste des branches qui leur étaient inaccessibles. Il a tenté un système de plesse, mais les brebis ont trop abîmé les arbres. Il vaut mieux faire ça à l’automne, pas quand les bêtes sont dans la parcelle. A terme il va tester de recéper et/ou trogner les arbres et il prélèvera des branches à la scie tous les matins et les donnera aux brebis comme un affouragement complémentaire. Il ne va pas faire rebrouter/tailler cette planche fourragère tous les ans, il va voir s’il peut y revenir 1 année sur 2 ou 3.
- 2024 : Romary est en train de monter un nouveau projet de plantation en linéaires : sur 2 rangs espacés de 25 m, par tronçons avec des arbres de haut jet, de la trogne, du buisson. Il va essayer plusieurs choses et il s'en servira pour nourrir ses bêtes. Il veut pouvoir passer entre les arbres avec ses engins pour faire son foin ou ses cultures. Il veut aussi mettre quelques fruitiers (pommiers et poiriers non greffés) pour favoriser la biodiversité, mais ça n’est pas très productif en termes de fourrage. Pour ce projet il se fait accompagner par Mannaïg De Kersauson d'OCO qui est un intermédiaire de financement participatif travaillant en lien avec l’Association Française d’Agroforesterie (AFA). L'objectif est de planter une parcelle par an, sur 8 au total.
Bilan
Romary n’a pas le sentiment que ses haies fourragères soient un plus en termes de biodiversité, mis à part pour quelques insectes car l’herbe y est haute. Pour avoir un impact sur la biodiversité, il faut des espaces libres de toute intervention humaine, en libre évolution.
La haie bocagère par contre est intéressante pour ça, car on ne l’exploite pas. Une aubépine va fleurir, faire des graines qui vont être disséminées par les oiseaux un peu plus loin, qui vont pousser, d’autres vont mourir,... et il y a de la diversité d’espèces. C’est vraiment un outil qui améliore la biodiversité.
L'avantage certain c'est un apport en vert à la saison sèche. Mais aussi une diversification de la ressource.
2 agneaux ont fait de l’entérotoxémie et sont morts. Ils étaient au foin (à l’herbe pauvre) et sont passés sur les ligneux : des ormes et tilleuls qui sont très forts en protéines. Il aurait fallu changer leur alimentation plus progressivement en leur donnant quelques branches chaque jour et ne pas lâcher les bêtes directement dans la haie fourragère. Cet affouragement ne remplacera pas la botte de foin quand on a plus d’herbe, car les vaches ou les brebis ont besoin d’un gros volume fourrager, c’est plus un complément, comme les betteraves en hiver. Ça leur fait "du vivant" en période où elles ne mangent que du foin.
Ce système impose l'installation de beaucoup de clôtures.
Difficultés rencontrées
Il a eu des ratés sur ses plantations de la 2ème bande car il a fait un gros paillage sans arroser les arbres. 80% des arbres sont morts, il a replanté l’année d’après et là il arrose.
Opportunités rencontrées
Romary a regroupé 2 parcelles car il aime le travail en bandes, en grandes longueurs. Pour ça il a arraché 100m de haies sur le petit côté des parcelles, et a replanté 400m de haie dans la longueur. La DDT (Direction Départementale des Territoires) a validé le projet (il faut lui demander une autorisation avant d’arracher une haie).
Il est possible de modifier le bocage pour l’adapter à l’outillage d’aujourd’hui. Lorsque l'on travaille en bande, les chantiers (semis, moisson, fauche,...) ne sont pas pénalisés par la haie, du moment qu’on a de grandes longueurs on évite pas mal de demi-tours.
Les relations avec les autres agriculteurs
Il y a de l’interrogation de la part de ses voisins, mais un agriculteur est opportuniste et est prêt à changer ses pratiques s'il observe des résultats bénéfiques.
Même si certains pensent qu’il s’amuse, il est quand même respecté car il est toujours là après 15 ans et parce qu'ils voient qu'il est travailleur et qu'il entretient bien son domaine.
Il partage volontiers ce qu'il fait avec ses voisins qui ont aussi envie de tester des choses comme lui.
Les investissements
- Son installation initiale a été financée par la NEF, banque coopérative indépendante, engagée et militante.
- Achat des arbres pour une planche : 1400€/HT pour 580 arbres + autant pour les clôtures et barrières.
- Son nouveau projet de plantation en 2024 s’évalue à environ 11000€ HT pour 900 arbres :
- Achat des arbres : 2000€ HT.
- Accompagnement technique par l’AFA : 3500€ HT.
- Clôtures : 3000€ HT.
- Protections et paillage : 2500€ HT.
Les aides
- En 2019 : Romary a perçu une aide à la plantation via la Mission Haie Auvergne grâce à un partenariat avec la Fondation Yves Rocher qui avait un budget pour financer des projets de reforestation. L'aide perçue était de 1500€. Il n'a pas perçu d’aide de la PAC pour le projet plantation, mais il a planté sous forme de haie pour ne pas perdre d’aide surfacique.
- Pour le projet 2024 : Le Fond AFTER de l’AFA (alimenté par OCO pour le projet de Romary) finance la plantation à hauteur de 12,25€ HT /arbre.
Conseils
- Se faire accompagner par un technicien sur les essences d'arbres et sur la plantation. Seul c’est trop compliqué ou alors c’est pour faire de l’expérimental avec 20-30 arbres.
- Soigner la plantation : Décompactage, préparation du sol avant plantation, planter à la bonne période. Bien pailler, arroser, protéger contre les chevreuils.
- Être patient car c’est une culture longue. Il faut attendre 4-5 ans avant de pouvoir faire quelque chose avec. C’est un investissement sur l’avenir.
- Attention : Il faut largement anticiper ses commandes d'arbres chez les pépiniéristes car ils sont en flux tendu suite à une forte demande liée au Pacte en faveur de la haie annoncé par le gouvernement.
Perspectives
- Finaliser le projet de plantation d'une parcelle tous les ans pendant 8 ans.
- Il a une petite parcelle (4000 m²) sur laquelle il veut implanter un verger. Mais c’est ça ne se fera que s’il arrive à avoir un peu de financement.
Sources
Interview réalisée le 27/09/2023.
Pour aller plus loin
- Agroforesterie fourragère
- Haie
- Trogne
- Arbres et buissons fourragers dans l’alimentation des ruminants - Agridea
- Les arbres, une ressource fourragère au pâturage pour des bovins laitiers ? - AFPF
- Arbres fourragers - Quelle est leur valeur alimentaire et quelles espèces privilégier ? Web-agri
- Gérer et Valoriser les haies bocagères - AFA
- Arbres, haies et bandes végétalisées dans la PAC 2015-2023 - AFA
- De la forêt à l'agroforesterie - AFA
- Arbres fourragers - Jérome Goust - Edition Terran
- Les formations de l'Association Française d'Agroforesterie avec Adrien Messean.