Epandre le digestat
L’épandage du digestat est encadré par des règles, depuis l’élaboration du plan d’épandage jusqu’aux obligations réglementaires des installations de méthanisation :
- Distances et périodes d’interdiction,
- exigences de stockage et de qualité,
- plafonds d’apport en azote
l’épandage est aussi lié à des enjeux environnementaux — volatilisation, émissions de N₂O, lixiviation — et les moyens de les limiter, ainsi qu'à des enjeux techniques et économiques du matériel et du pilotage des apports pour optimiser la valorisation agronomique du digestat.
Règles d’épandage du digestat
Principe général
Tout comme pour les autres produits résiduaires organiques, l’épandage du digestat est possible en agriculture s’il présente un intérêt agronomique et si l’usage dans les conditions préconisées ne représente pas un danger pour l’Homme, les végétaux, les animaux et l’environnement.
Plan d’épandage
Une étude préalable, dont le contenu est défini par le régime ICPE (voir Tableau 2.2), doit être réalisée pour analyser la valeur agronomique des matières à épandre et pour obtenir une caractérisation des sols.
Cette étude débouche sur un plan d’épandage qui identifie les parcelles d’épandage, les localise sur une carte, renseigne sur l’exploitant et les prêteurs de terres impliqués dans l’épandage, et fait figurer les quantités d’azote qui seront épandues par surface.
Les ICPE soumises à autorisation et à enregistrement doivent en plus indiquer dans le programme prévisionnel annuel le système de culture, la nature et les teneurs d’azote, les doses maximales admissibles par effluent, par sol et par culture ainsi qu’un calendrier prévisionnel d’épandage. Un cahier d’épandage enregistrant les pratiques de fertilisation azotée réalisées pour chaque parcelle ou îlot cultural doit être tenu par l’exploitant pour retracer les opérations effectivement mises en place.
Pour les installations soumises à autorisation, un bilan agronomique annuel doit présenter un état des lieux quantitatif et qualitatif des matières épandues et synthétiser les éléments contenus dans le plan d’épandage. Ces installations doivent également respecter des seuils en termes d’innocuité d’après l’arrêté du 2 février 1998 relatif aux émissions de toute nature des ICPE.
Distance d’épandage
Le tableau 2.3 précise les distances imposées pour l’épandage des digestats, selon le régime et la rubrique de l’installation de méthanisation ainsi que les règles d’épandage sur les terrains pentus, applicables en mai 2021.
| Déclaration et enregistrement
2781-1 Enregistrement 2781-2 (sans boues urbaines) |
Autorisation et enregistrement
2781-2 (Avec boues urbaines) |
Autorisation
2781-1 |
Autorisation
2781-2 (sans boues urbaines) | |
|---|---|---|---|---|
| Habitation |
enfouissement immédiat |
enfouissement immédiat |
effluent odorant
effluent non odorant
enfouissement immédiat |
effluent odorant
effluent non odorant |
| Points de prélèvement d’eau potable(1) | 50 m |
pente < 7%
pente > 7% | ||
| Lieux de baignade | 200 m |
| ||
| Zones piscicoles et conchylicoles | 500 m en amont |
| ||
| Cours d’eau et plans d’eau |
bande de 10m enherbée ou boisée en bordure de cours d’eau
pente > 7% (3) |
pente < 7%, déchets non fermentescibles et enfouis immédiatement (2)
pente < 7%, déchets fermentescibles
pente > 7%, déchets solides et stabilisés
pente > 7%, déchets non solides ou non stabilisés | ||
(1) Voir les dispositions particulières à chaque captage d’eau potable protégé par un périmètre de protection
(2) Attention, en zones vulnérables, il convient de suivre les préconisations spécifiques qui sont plus strictes
(3) si pente > 7% : interdit pour les digestats liquides en enregistrement, sauf s’il est mis en place des dispositifs prévenant tout risque d’écoulement et de ruissellement vers les cours d’eau (bande enherbée, boisée…)
L’épandage doit être effectué par un dispositif permettant de limiter les émissions atmosphériques d’ammoniac (pendillards, enfouissement direct, enfouissement rapide après l’épandage,…). Dans ce contexte, l’usage de la buse palette est proscrite.
Par ailleurs, conformément à la Directive Nitrates, l’épandage est interdit :
- sur les sols pris en masse par le gel ou enneigés
- sur les sols inondés ou détrempés
- sur les sols non utilisés en vue d’une production agricole
- pendant les périodes de forte pluviosité.
Dispositifs de stockage : capacité et emplacement
Les ouvrages de stockage du digestat doivent avoir une capacité suffisante pour permettre le stockage de la quantité de digestat (brut ou liquide et solide en cas de séparation de phase) produite sur une période correspondant à la plus longue période pendant laquelle son épandage est soit impossible, soit interdit ; sauf si l’exploitant ou un prestataire dispose de capacités de stockage sur un autre site et qu’il est en mesure d’en justifier en permanence la disponibilité.
En régime ICPE de déclaration et d’enregistrement, cette période ne peut être inférieure à quatre mois.
Compte tenu des contextes climatiques, des calendriers d’épandage en zones vulnérables, des assolements et des pratiques d’épandage, il est souvent préconisé de disposer, au moins pour les digestats liquides, d’une capacité de stockage de 6 mois.
Les aires de stockage des digestats :
- doivent êtres distantes d’au moins 35 m des puits et forages de captage d’eau extérieurs au site, des sources, des aqueducs en écoulement libre, des rivages et des berges des cours d’eau, de toute installation souterraine ou semie-enterrée utilisée pour le stockage des eaux destinées à l’alimentation en eau potable, à des industries agroalimentaires, ou à l’arrosage des cultures maraîchères ou hydroponiques. La distance de 35 m des rivages et des berges des cours d’eau peut toutefois être réduite en cas de transport par voie d’eau
- ne peuvent pas être situées dans le périmètre de protection rapproché d’un captage d’eau destiné à la consommation humaine.
Il est recommandé que la distance d’implantation de l’entreposage vis-à-vis des tiers soit au moins égale à 50 m.
Qualité des matières épandues
L’arrêté ministériel, qui régit les activités des sites en déclaration, précise que l’exploitant doit disposer d’analyses des digestats sans en préciser la nature ni la fréquence.
Pour les sites en enregistrement (2781-1), au moins une analyse par an a minima doit être réalisée sur les teneurs en azote global et azote minéralisable.
Il est recommandé néanmoins que l’exploitant réalise au minimum une analyse des paramètres agronomiques à chaque période d’épandage (matière sèche (%), matière organique (%), pH, azote global, azote ammoniacal (en NH4), rapport C/N, phosphore total (en P2O5), potassium total (en K2O)).
Les digestats ne font l’objet d’analyses en termes d’innocuité que si les installations sont classées en autorisation. L’arrêté d’autorisation précise alors la nature et la périodicité des analyses à effectuer.
On peut rappeler que pour les activités de méthanisation, toute utilisation de sous-produits animaux (lisier endogène inclus) nécessite un agrément sanitaire. Le règlement n°142/2011 fixe les exigences concernant les normes de transformation des sous-produits animaux traités ainsi que les conditions d’utilisation des digestats qui en résultent.
Il définit également des limites en matière microbiologiques pour les digestats des installations classées en autorisation :
- pour Escherichia coli et pour Enterococcaceae :
- sur 5 échantillons de 1 g chacun, au moins 4 échantillons doivent contenir au maximum 1 000 bactéries et un échantillon maximum peut contenir entre 1 000 et 5 000 bactéries
- en cas de non-conformité, une nouvelle conversion est demandée.
- Pour Salmonella :
- sur 5 échantillons de 25 g chacun, aucun ne doit présenter de bactéries
- en cas de non-conformité, les digestats doivent être manipulés (compostés) ou éliminés conformément aux instructions de l’autorité compétente.
Plafonds d’apport de digestat et d’azote
Pour les unités traitant des boues urbaines et soumises à enregistrement ou à autorisation, les apports de digestats ne doivent pas dépasser 30 tMS/ha/10 ans.
Pour les autres unités soumises à autorisation, les apports de digestats pâteux ou solides ne doivent pas dépasser 30 tMS/ha/10 ans.
En accord avec la Directive Nitrates, les quantités d’azote épandues ne doivent pas dépasser 170 kg d’azote organique provenant des effluents d’élevage par hectare et par an.
Le respect de l’équilibre de la fertilisation azotée à la parcelle peut toutefois conduire à limiter les quantités pouvant être épandues à des niveaux inférieurs à 170 kg N/ha.
Période d’épandage
En accord avec la Directive Nitrates, le tableau 2.4 fixe les périodes minimales pendant lesquelles l’épandage des fertilisants de type II est interdit. Ces périodes diffèrent selon l’occupation du sol pendant ou suivant l’épandage et s’appliquent en zone vulnérable.
Ces périodes d’interdictions peuvent être renforcées au niveau régional.
| Occupation du sol pendant ou suivant l’épandage
(culture principale) |
Périodes minimales d’interdiction d’épandage des fertilisants de type II |
|---|---|
| Sols non cultivés | Toute l’année |
| Cultures implantées à l’automne ou en fin d’été (autres que colza) | du 1er au 31 janvier(1) |
| Colza implanté à l’automne | du 15 au 31 janvier(1) |
| Cultures implantées au printemps non précédées par une CIPAN, une culture dérobée ou un couvert végétal en interculture | du 1 juillet au 31 janvier(2) |
| Cultures implantées au printemps précédées par une CIPAN, une culture dérobée ou un couvert végétal en interculture |
Le total des apports avant et sur la CIPAN, la dérobée ou le couvert végétal en interculture est limité à 70 kg d’azote efficace par ha |
| Prairies implantées depuis plus de six mois dont prairies permanentes, luzerne | du 15 novembre au 15 janvier (3) |
| Autres cultures (cultures pérennes, cultures maraîchères et cultures porte-graines) | du 15 décembre au 15 janvier |
(1)Dans certaines régions, l’épandage est autorisé à partir du 15 janvier
(2) En présence d’une culture, l’épandage d’effluents peu chargés en fertirrigation est autorisé jusqu’au 31 août dans la limite de 50 kg d’azote efficace/ha. L’azote efficace est défini comme la somme de l’azote présent dans l’effluent peu chargé sous forme minérale et sous forme organique minéralisable entre le 1 juillet et le 31 août.
(3) L’épandage des effluents peu chargés est autorisé dans cette période dans la limite de 20 kg d’azote efficace/ha.L’azote efficace est défini comme la somme de l’azote présent dans l’effluent peu chargé sous forme minérale et sous forme organique minéralisable entre le 15 novembre et le 15 janvier.
Enjeux environnementaux et technico-économiques liés à l’épandage de digestat

Volatilisation de l’azote ammoniacal
L’ammoniac émis dans l’atmosphère est un précurseur de particules fines reconnues pour leurs effets négatifs sur la santé. Le digestat est riche en azote ammoniacal (sous forme d’ammonium). De l’ammoniac (NH3) est émis par le digestat à partir de l’ammonium (NH4+), en contact avec l’air (NH4+ + HO- → NH3 (gaz) + H2O).
La concentration en NH3 de l’air ambiant étant beaucoup plus faible que celle du digestat, il y a transfert d’ammoniac du digestat vers l’air, et ce d’autant plus que la concentration en azote ammoniacal du digestat est élevée.
Ce phénomène est immédiat dès l’épandage et s’estompe rapidement avec la diminution de la concentration en NH4+ du digestat. La volatilisation est très variable mais peut atteindre plus de 50 % de l’azote ammoniacal épandu.
Il est favorisé par :
- les températures chaudes
- le vent
- l’absence de pluies dans les 24h suivant l’épandage (la pluie permettant l’infiltration de l’ammonium dans le sol)
- le pH du sol et/ou le pH du digestat élevés.
L’enfouissement des digestats permet de réduire drastiquement la volatilisation, même s’il est superficiel ; en revanche, il doit être pratiqué le plus rapidement possible après l’épandage car la majorité des émissions ont lieu durant les premières heures après l’épandage.
Pour un enfouissement immédiat la réduction des émissions d’ammoniac est de 90 %. Pour un enfouissement dans les 4 heures suivant l’épandage, elle tombe à 45-65 %. Au-delà et dans les 24 heures elle tombe encore à 30 %.
Emission de protoxyde d’azote
Nitrification
La nitrification est l’oxydation de l’ammonium (NH4+) en nitrate (NO3-). Elle s’effectue en conditions aérobies dans un délai pouvant aller de quelques jours à quelques semaines. Le processus libère de l’azote gazeux sous forme de N2O et de NO.
Dénitrification
La dénitrification est le processus de transformation de l’azote nitrique (NO3-) en azote gazeux N2 sous l’action de certaines bactéries. Dans des conditions spécifiques (faibles valeurs de pH du sol par exemple), l’enchaînement des réactions chimiques est incomplet et conduit à la production de formes intermédiaires d’oxyde d’azote dont le protoxyde d’azote N2O.
Faibles dans les sols bien drainés, les pertes d’azote par dénitrification peuvent être beaucoup plus importantes lorsque les conditions du sol sont favorables à ce processus : anoxie liée à un excès d’eau temporaire, abondance d’azote sous forme nitrique et présence de matières organiques labiles.

Les pertes directes d’azote sous forme de N2O par nitrification et dénitrification sont généralement estimées à 1 % de l’azote apporté en moyenne.
Emissions directes
En plus des émissions dites «directes», c’est-à-dire des émissions issues des processus de production de N2O dans les sols, il existe aussi des voies de production du N2O dites «indirectes», il s’agit d’émissions de N2O à partir de :
- nitrate ou nitrite dissous dans les eaux et entraînés vers les nappes phréatiques ou vers les eaux superficielles par ruissellement
- dépôt d’ammoniac ou de NOX qui, dissous dans l’eau, se transforme en NH4+ et alimente ainsi à nouveau les processus de nitrification et dénitrification. Il peut aussi être transformé en nitrate, lixivié, et contribuer aux émissions indirectes de N2O.
Lixiviation des nitrates
La lixiviation des nitrates contribue à la contamination nitrique des eaux, à l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques et aux émissions de N2O indirectes comme décrit ci-avant.
La lixiviation est l’entraînement d’éléments minéraux dissous (principalement des nitrates NO3-) par la percolation de l’eau vers la profondeur. La quantité de nitrates entraînée au-delà de la zone accessible aux racines dépend :
- de la lame d’eau drainante
- de la quantité d’azote nitrique présente (et donc du stock d’azote minéral restant dans le sol après la récolte des cultures) et de sa répartition dans le profil de sol
- du type et de la profondeur du sol
- de la couverture du sol et de la capacité du couvert à valoriser l’azote résiduel.
Le taux de lixiviation annuel varie :
- de 0-5% de l’azote apporté (situation d’intercultures courtes ou d’intercultures longues avec culture intermédiaire, en sols non filtrants de type limons profonds)
- jusqu’à 30 % (intercultures longues sans culture intermédiaire, sols filtrants de type sable)
- avec des situations intermédiaires à 10 ou 20 % (par exemple sols argilo-calcaires moyens, avec alternances cultures d’hiver et de printemps sans culture intermédiaire).
Pour un apport de 150 kg d’azote par ha, ce sont donc entre 0 et 45 kg d’azote qui peuvent être perdus par lixiviation.
Pour un apport de 150 kg d’azote par ha, ce sont donc entre 0 et 45 kg d’azote qui peuvent être perdus par lixiviation.
Enjeux techniques et économiques de la maîtrise des flux d’azote
Maîtrise des apports, limitation des pertes
Dans le cadre de la conduite d’une culture, on cherche à optimiser les apports d’azote par rapport aux besoins des plantes. Pour cela il faut tenir compte des objectifs de rendement pour la culture, des sources et puits d’azote du système et des pertes éventuelles dans l’eau ou l’air.
Pour l’apport de digestat, la détermination de la quantité d’azote apportée, réellement disponible pour la plante, nécessite analyses et calculs. En effet dans le digestat, l’azote est présent sous une forme minérale (ammoniacale) et sous une forme organique. L’azote du digestat disponible pour la plante est la somme de l’azote ammoniacal non perdu dans l’eau ou l’air et de la fraction de l’azote organique minéralisé.

Cet azote disponible est très variable selon les digestats (substrat d’origine et mode de traitement). C’est pourquoi une analyse agronomique du digestat doit être faite avant chaque période d’épandage.
Par ailleurs, le calcul de la dose d’azote fournie par le digestat nécessite l’utilisation de coefficients Kéq de référence. Pour ce qui concerne les pertes d’azote vers l’eau et l’air provenant de digestats, certaines peuvent être limitées par les pratiques d’épandage : quantités épandues, conditions, matériel.
Pour ce qui concerne les pertes d’azote vers l’eau et l’air provenant de digestats, certaines peuvent être limitées par les pratiques d’épandage : quantités épandues, conditions, matériel.
Coût d’épandage
Il existe divers équipements pour l’épandage du digestat.
Le coût d’un chantier d’épandage de digestat brut ou liquide avec une tonne à lisier est très variable. Il est dilué par l’augmentation du volume d’activité de la tonne. Il augmente en fonction de l’éloignement, et surtout la part du coût lié au transport devient de plus en plus significative avec l’éloignement.
L’épandage sans tonne peut aussi être une option intéressante pour le digestat brut ou liquide. L’intérêt est de réduire le poids des machines épandant sur le champ et donc de mieux préserver le sol. Le coût de la mise en œuvre est très variable et souvent supérieur à celui d’une tonne à lisier, en particulier s’il ne repose pas sur des édifices d’acheminement préexistants (par exemple réseau d’irrigation). Dans ce cas, il nécessite un ravitaillement par camion ou tonne à lisier, avec une lagune, un caisson ou une tonne à lisier, pour stocker temporairement le digestat à proximité des parcelles à épandre. Par ailleurs, la manipulation de la pompe et du tuyau sur le champ nécessite un peu plus de manutention que l’épandage par tonne à lisier seule.
Tassement du sol
L’importance du tassement dépend du volume à épandre, du type de matériel (épandage avec/sans tonne, taille du tracteur, largeur des pneus), de la période d’intervention (portance du sol), de la nature du sol et de la topographie, qui permet le passage plus ou moins facile du matériel.
Piloter les apports de digestat
La valeur fertilisante d’un digestat l’année de son apport correspond à la quantité d’éléments fertilisants du digestat qui est absorbée par la culture. Il ne s’agit jamais de la totalité des éléments fertilisants du digestat.
En particulier, la disponibilité de l’azote et du soufre dépend de nombreux facteurs. Pour le potassium et le magnésium, sous forme soluble dans les digestats, l’efficacité est proche de l’engrais de référence de valeur fertilisante équivalente, et pour le phosphore cette efficacité dépend de l’origine et du traitement du produit.
Plus précisément pour ce qui concerne l’azote, sa part minérale, constituée essentiellement d’azote ammoniacal, est immédiatement disponible pour les cultures ou perdue par volatilisation ou lixiviation. L’azote organique du digestat, quant à lui, se libère progressivement par minéralisation (voir Figure 4.1). Cette minéralisation est plus ou moins rapide et importante selon les digestats.

Dans le calcul de la dose d’azote à apporter sur les cultures, la contribution du digestat, prise en compte dans le paramètre Xa, est déterminée grâce à sa composition et à un coefficient Keq, tel que :
Xa (digestat) = %N (digestat) x Keq x Q (digestat)
Avec
Xa : quantité d’azote efficace amenée par le digestat
%N : teneur en azote total du digestat (% par unité de volume ou de masse)
Keq: coefficient d’équivalence engrais minéral efficace
Q : volume ou masse de digestat épandue par hectare
Pour connaître la teneur en azote total du digestat, il convient de réaliser des analyses au plus proche de la date d’épandage pour prendre en compte les éventuelles transformations au stockage.
Le Keq sert à estimer la part d’azote du digestat disponible l’année n, prenant en considération l’azote minéral présent dans le digestat au moment de l’épandage et l’azote organique minéralisable dans l’année, ainsi que les pertes (volatilisation, lixiviation).
Il est donc lié à la culture et à la période d’apport (conditions d’épandage et climat après apport).

Mais le comportement des digestats, et donc le Keq, sont liés à leur composition, au type de biomasse méthanisée, et aux variations interannuelles du climat (température, pluviométrie), d’où une certaine variabilité annuelle de la disponibilité réelle de l’azote.
En pratique, la quantité de digestat à apporter est limitée, dans les zones vulnérables, par le plafond de 170 kg d’azote organique d’origine animale par ha de SAU par an. Elle est aussi limitée pour les apports sur CIPAN et CIVE. Enfin elle peut être limitée par les besoins en autres éléments nutritionnels, tels que P ou K
Apporter au meilleur moment
Les coefficients d’équivalence diffèrent selon la période à laquelle le digestat est épandu et selon les besoins des cultures, liés à leur développement. Ils mettent en évidence les cultures et les périodes qui valorisent le mieux les apports de digestats bruts. On peut en tirer les recommandations exposées dans la Figure 4.3.

Pour du digestat solide
Il est conseillé de favoriser l’enfouissement avant l’implantation d’une culture pour permettre une meilleure valorisation du phosphore. Attention, car il perd de la masse au stockage. C’est pourquoi, si les conditions météo et la période sont adaptées, il est conseillé d’épandre régulièrement et de limiter la durée de stockage.
Pour du digestat brut ou liquide
Les capacités de stockage sont déterminantes. Plus elles sont importantes, plus l’agriculteur est libre d’épandre au moment le plus opportun en fonction des besoins des cultures et de la météorologie. C’est pourquoi il est conseillé de bien dimensionner le stockage pour l’hiver (6 mois minimum).
Gérer la matière organique
Gérer la matière organique fraîche
Lors du processus de digestion, les microorganismes se nourrissent de la matière organique fraîche et la minéralisent. Celle-ci est donc fortement réduite dans le digestat par rapport aux matières premières qui entrent dans l’unité de méthanisation. Or l’apport de matière organique fraîche est essentiel pour le maintien ou l’amélioration de l’activité microbiologique des sols (fertilité biologique). Ainsi il est conseillé de compléter les apports de digestat avec un engrais vert. Les CIVE (Cultures Intermédiaires à Vocation Énergétique) qui laissent en place un système racinaire conséquent après récolte jouent en partie ce rôle d’apport de matière organique fraîche.
Gérer les pouvoirs fertilisants et amendement du digestat
Le digestat brut peut être géré comme un engrais complet, avec un pouvoir fertilisant et un pouvoir amendant.
La séparation de phase en revanche produit une fraction solide et une fraction liquide avec des propriétés très différentes.
La fraction solide concentre la matière organique ainsi que le phosphore, et avec eux le pouvoir amendant.
La fraction liquide concentre l’azote sous forme ammoniacale ainsi que le potassium, et avec eux le pouvoir fertilisant.
La séparation de phase permet ainsi une gestion agronomique différente selon les besoins des parcelles avec notamment une séparation temporelle des épandages pour l’amendement (fraction solide) ou la fertilisation (fraction liquide).
Utiliser le matériel adéquat
Pour une meilleure régularité de l’épandage
La régularité de l’épandage, caractérisée par une bonne répartition transversale (régularité sur la largeur de travail) et longitudinale (répartition dans le sens de l’avancée du tracteur) du digestat sur la parcelle, est essentielle pour obtenir des rendements homogènes sur la parcelle.
Pour les digestats solides, une bonne répartition longitudinale repose sur l’alimentation régulière des moulins ou hérissons.
Pour cela plusieurs équipements sont possibles, avec a minima un fond mouvant à barrette, auquel on peut ajouter un système de réglage de la vitesse d’avancement, ou encore une porte guillotine. Des équipements plus coûteux permettent de gagner en précision : fond poussant, système de débit proportionnel à l’avancement (DPA), équipement de pesée continue.

Pour les digestats bruts ou liquides, la régularité de l’épandage passe d’abord par une bonne homogénéisation avant épandage, pour bien répartir les éléments fertilisants. La répartition longitudinale de l’épandage est assez bonne et plus précise que pour des digestats solides. Pour une répartition longitudinale et transversale optimale, il faut que l’alimentation de l’équipement d’épandage soit régulier, notamment grâce à un broyeur/répartiteur. Deux broyeurs/répartiteurs sont nécessaires pour des rampes d’épandage de grande largeur (à partir de 15 m).
Le fonctionnement est encore amélioré avec des équipements complémentaires tels que le débit proportionnel à l’avancement ou DPA, le guidage satellite, la coupure de tronçon et la mesure instantanée de la teneur en azote du digestat.
Pour éviter les pertes par volatilisation
La part ammoniacale des digestats bruts ou liquides est conséquente, causant des risques importants de volatilisation de l’azote. Ainsi, avec un épandage à la buse palette, 40 à 90 % de l’azote ammoniacal est perdu dans les 6 heures suivant l’épandage.
Afin de limiter ces pertes et pour maximiser la valorisation du digestat, l’utilisation de buses palette est fortement déconseillée. Des solutions alternatives existent et sont présentées dans le Tableau 5.1 ci-après.

Ces matériels spécifiques ont un coût non négligeable : 35 à 50 000 euros pour une rampe à pendillards 12-15 m ou un enfouisseur 6 m avec système de modulation de débit (DPA).
Cependant, lorsqu’on intègre l’économie d’engrais générée par la réduction des pertes d’azote ammoniacal, les coûts d’épandage deviennent similaires à ceux d’une buse palette.
Enfin, du matériel d’acidification des digestats peut également être utilisé pour limiter la volatilisation. En effet, dans un milieu acide, l’azote est favorisé sous la forme NH4+ et non sous sa forme gazeuse (NH3).
On peut utiliser un acide organique (acide lactique), inorganique (acide nitrique, sulfurique ou phosphorique) ou encore ajouter des microorganismes qui produisent un acide (bactéries lactiques par exemple).
L’acidification peut être réalisée au stockage ou lors de l’épandage :
- le digestat peut être pompé vers une cuve de traitement où une dose d’acide est ajoutée
- l’acide peut être ajouté directement dans l’ouvrage de stockage (où il doit y avoir un système d’agitation) juste avant la reprise du digestat pour son épandage
- le digestat peut être acidifié en continu dans un système directement monté sur l’épandeur. Dans ce cas, le digestat est épandu de manière standard et un réservoir d’acide supplémentaire est placé devant le tracteur. Le dispositif est équipé d’un mélangeur statique et d’un dispositif de dosage de l’acide.
Plusieurs points de vigilance sont à souligner concernant cette pratique :
- la manipulation de l’acide est dangereuse
- des modifications qualitatives des odeurs peuvent être générées
- la technique entraîne des dépenses énergétiques supplémentaires
- la technique peut entraîner une acidification marginale du sol (à corriger par un chaulage)
Pour éviter le tassement
Les apports à l’aide d’une tonne à lisier sont souvent assez préjudiciables pour les sols.
Il est conseillé de :
- choisir un montage de pneus tenant compte du poids total de la tonne
- surveiller le poids total de la tonne afin d’éviter des surcharges
- utiliser un système de télégonflage, qui permet l’adaptation de la pression de l’air à l’intérieur des pneumatiques d’un véhicule afin d’améliorer ses performances en fonction du type de surface rencontré.
L’épandage sans tonne est une solution qui permet un trafic moins impactant sur la parcelle et un besoin en traction moindre (100-120 chevaux) :
- il peut être réalisé à l’aide d’un automoteur ou d’un tracteur muni d’un pendillard
- il préserve la structure du sol donc permet de valoriser le digestat sur céréales en sortie d’hiver
- il permet un débit de chantier important allant de 50 à 130 m³/h.

En revanche, il nécessite un parcellaire proche du point de pompage (fosse de stockage, camion, tonne ou caisson en bord de champ), un réseau d’alimentation (tuyaux) et une pompe.
Pour ces raisons, il est peu adapté aux parcellaires petits et éclatés et le chantier peut être rendu difficile par l’existence d’obstacles (arbres, poteaux).

Vidéos
Epandage de digestat brut ou liquide avant semis de maïs avec enfouissement
Epandage de digestat brut ou liquide sur prairie de fauche après la première coupe
Sources
- Sophie Carton et Quentin Bulcke. L'utilisation des digestats en agriculture. [03/11/25]. https://projet-methanisation.grdf.fr/cms-assets/2022/06/Utilisation-des-digestats-en-agriculture-web_compressed.pdf
- ADEME, AILE, Solagro, Trame. Septembre 2011. La Méthanisation à la ferme - Guide pratique
- ADEME. Janvier 2019. Réaliser une unité de méthanisation à la ferme
- APESA (coordinateur), BIOMASSE NORMANDIE, RITTMO. Janvier 2015. Le cadre réglementaire et juridique des activités agricoles de méthanisation et de compostage, Étude réalisée pour le compte de l’ADEME
- Arvalis (coordinateur), ADEME, CTIFL, Terres Inovia, IFV, ITAVI, IDELE, IFIP.2020. Guide GES’TIM+
- Chambre Régionale d’Agriculture de Lorraine. Mai 2019. Fiche Technique Digestats de méthanisation : Optimiser le retour au sol pour profiter des bénéfices agronomiques et économiques - Résultats d’essais et suivis d’exploitations - Bilan de 4 années
- Chambre d’agriculture de Lorraine. Octobre 2019. Guide pratique pour les porteurs de projet et les conseillers - Digestats de méthanisation : Optimiser le retour au sol pour profiter des bénéfices agronomiques et économiques
- Comifer. Mai 2013. Calcul de la fertilisation azotée, Guide méthodologique pour l’établissement des prescriptions locales
- CPE Artois Picardie. Unités de méthanisation : Épandage des digestats, Guide méthodologique. Edition 2020
- Doublet S., Leclerc B., Couture C. et Berger S. Décembre 2004. Qualité agronomique et sanitaire des digestats issus de méthanisation - Rapport final
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