Activation des défenses naturelles grâce au jus de luzerne en arboriculture et maraîchage

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Illustration article jus de luzerne.jpg

Guy et Sébastien Vanlerberghe ont testé le jus de luzerne sur pommiers et tomates afin de stimuler leurs mécanismes de défense naturelle, et de limiter l'impact de mauvaises années sur leurs productions.


Voir aussi le webinaire : Fertiliser les cultures avec l'extrait de luzerne

Contexte

  • Localisation : Rosières , sud de l'Oise, en région Hauts-de-France, c'est à que travaillent Guy et Sébastien Vanlerberghe dans une exploitation agricole aux multiples ateliers de productions.
  • SAU : 204 ha.
  • UTH : 2.
  • Production : Luzerne (30 ha), grandes cultures (64 ha) : blé, blé-féveroles, épeautre-lentilles, orge de printemps, sarrasin), pomme à cidre (110 ha avec parcours ovins).
  • Cheptel : 400 brebis de race Shropshire.
  • Cahier des charges : Agriculture Biologique
  • Climat : T°moy = 11,4°C, pluviométrie = 700 mm.

Face à l'évolution climatique, l'augmentation des stress hydriques et thermiques, l'arrivée de nouveaux ravageurs exotiques et une augmentation du nombre de cycles de reproduction annuelle des ravageurs déjà existants (hoplocampe, carpocapse), les pommiers ont fort à faire pour se maintenir en bonne santé tout en garantissant une bonne productivité. Guy et Sébastien ont alors l'idée d'asperger les plantes avec des plantes. Plus précisément, d'utiliser la luzerne transformée en jus pour en asperger les pommiers de manière à améliorer leur capacité à activer l'ensemble de leur mécanisme de défense naturelle, donc à sécuriser les rendements lors de mauvaises années. L'idée n'est donc pas de chercher à produire davantage les bonnes années, mais de chercher à produire de manière plus régulière, quelle que soit l'année climatique.

Etapes de la préparation du jus de luzerne

La récolte

Taarup.

La luzerne est récoltée au stade bourgeon/premières fleurs. L'objectif est de récupérer une matière verte riche en azote, en oligo-éléments et en triacontanol (alcool gras retrouvé dans la cuticule des feuilles de luzerne). Ce cocktail permet à la fois un effet booster pour la plante qui reçoit l'application et une nutrition complète en oligo-éléments.

Techniquement, la récolte doit être fine, le but est de fragmenter la matière le plus finement possible. Initialement, la récolte se faisait de manière classique avec une ensileuse. Puis par la suite, avec un Taarup (performance estimée à 20-25% d'obtention du jus de la plante en plus). Ils se sont ensuite tournés vers un broyeur à hachoir (performance estimée à 40-45% d'obtention du jus de la plante). Il est possible de réaliser 4 récoltes par an, la première récolte autour du 10-20 avril, puis toutes les 6 semaines.

Broyeur à hachoir.

La transformation

Presse à vis.

Aussitôt récoltée, aussitôt transformée, la plante récoltée renferme de nombreuses molécules volatiles. Cela signifie que la température risque de faire évaporer des éléments qualitatifs que l'on souhaite conserver dans le jus. L'extraction du jus de la luzerne se fait grâce à une ancienne presse à vis sans fin qui servait à la viticulture (coût 5-10 000 € sur le marché de l'occasion, certains gabarits peuvent être montés sur remorque pour devenir des presses mobiles). D'un côté, le jus passe par un tuyau et une maille de filtration à 200 microns. De l'autre, un co-produit physique ressort de la machine (réemployable comme amendement organique).

La conservation

Cuve 1m3 de jus de luzerne en cave.

Le jus est sensible. La lumière, la température, les bactéries, l'oxygène peuvent influencer sa qualité. Il est préférable de garder le produit en cave, à l'ombre, d'acidifier le mélange si possible (des tests de formulation au vinaigre ont montré de très bons résultats en termes de conservation du produit) et avec une surface de contact produit/air la plus petite possible pour éviter l'oxydation du mélange. Si les solutions logistiques manquent pour conserver dans de bonnes conditions, il vaut donc mieux utiliser le produit le plus rapidement possible (ce qui est le cas ici dans les premières et deuxièmes années d'essai pour éviter de perdre en qualité de produit).

Emploi comme intrant

Au début, des essais informels sont réalisés par Guy et Sébastien pour comprendre le fonctionnement du produit et son effet sur les différentes pommeraies. Le produit est appliqué à partir de mi-avril sur les pommiers (après la première fauche de luzerne), puis le produit est appliqué tous les 15 jours en fonction des besoins, allant de 4 à 6 applications.

Techniquement, l'application se fait avec un atomiseur dans une solution comprenant 50L de jus de luzerne et 150L d'eau pour 1ha (jus de luzerne à hauteur de 50L/ha défini sur la base d'un essai d'étalonnage effectué en culture, détaillé plus bas).


Trois hypothèses sont formulées concernant le jus de luzerne :

  • Le jus de luzerne, en possédant un ensemble moléculaire complet, permet de réduire les effets du stress sur la culture.
  • Le jus de luzerne permet de garantir des rendements stables en cas de stress thermique, hydrique et/ou lié aux maladies cryptogamiques.
  • Le jus de luzerne a des effets similaires à certains produits déjà commercialisés, riches en triacontanol.

Résultats des essais

Arboriculture pommier cidricole variété "petit jaune" dans l’Oise en 2023

Essai en bandes sur des carrés de pommeraies avoisinant la taille de 1 hectare (tous les résultats seront rapportés à 1ha). Les arbres ont 25 ans et ont un rendement moyen de 40t/ha : une année à environ 55-60t puis une année de retour à 20t/ha.

Sur l'année de réalisation de l'essai, les arbres étaient sur une année à fort rendement et la distribution de la pluviométrie a été idéale avec 200 mm d'eau entre la floraison et la fructification. Pas d irrigation complémentaire.

Plusieurs modalités sont testées :

  • Modalité 1 : Témoin (itinéraire technique classique de l’agriculteur).
  • Modalité 2 : Produit de biocontrôle de commercialisation avec les mêmes qualités que le jus de luzerne.
  • Modalité 3 : Du jus de luzerne à raison de 30L/ha mélangé dans 170L d’eau/ha (miction de 200L/ha).
  • Modalité 4 : Du jus de luzerne à raison de 50L/ha mélangé dans 150L d’eau ha (miction de 200L/ha).
  • Modalité 5 : Du jus de luzerne à raison de 100L/ha mélangé dans 100L d’eau ha (miction de 200L/ha).


Variables observées :

  • Colorimétrie du feuillage.
  • Taille moyenne des feuilles.
  • Tenu de la pomme par le pédoncule.
  • Présence de maladie (tavelure).
  • Présence de ravageurs.
  • Rendement.

Colorimétrie

Sur la colorimétrie du feuillage, le manque d'eau de mai-juin se fait ressentir, les modalités 1 et 2 présentent une colorimétrie plus tournée vers le jaune-vert pâle, qui a pu se rattraper l'été venu avec les 190 mm de précipitation tombés sur la période juillet-août. Pour les modalités 3, 4 et 5 contenant du jus de luzerne, les canopées ont gardé une couleur vert foncé, tournant au vert-bleu pour la modalité 5 (signe de toxicité à l'azote dans certains cas chez le blé).

Il est supposé qu'une colorimétrie vert foncé est signe de bon fonctionnement métabolique et donc d'une meilleure métabolisation de la plante.

Taille des feuilles

Les modalités avec du jus de luzerne présentent des feuilles avec des largeurs et des longueurs moyennes plus grandes que celles des modalités 1 et 2.

Il est supposé, une meilleure capacité à métaboliser pour la plante si la taille de ses feuilles et de sa canopée est plus dense.


Taille et colorimétrie des feuilles de pommier, en haut témoin en bas jus de luzerne 50L/ha.

Tenue de la pomme par le pédoncule

Sur les modalités 3, 4 et 5, on constate une meilleure tenue des pommes sur les arbres. Il y a moins de fruits à terre avant la récolte.

Il est supposé que le cocktail d'oligo-éléments contenu dans le jus de luzerne permette une meilleure nutrition des différents organes de l'arbre, ainsi qu'une meilleure tenue des fruits. Il est constaté une moindre perte de rendement pour la récolte.

Présence de maladie

On constate une absence de maladie sur l'ensemble de l'essai, ainsi que sur l'ensemble de l'exploitation agricole. Notamment, on observe une absence complète de tavelure sur les 105 hectares de l'exploitation pour l'année 2023. Cette année se présente pourtant comme une année à forte pression en tavelure dans de nombreuses zones géographiques, dont l'Oise fait partie.

Présence de ravageur

Aucune pression de ravageur constatée sur l’essai cette année.

Rendement

Pour l'année 2023 :

  • Sur le témoin : 63,67 t/ha de pommes sont récoltées
  • Il n'y a pas d'évolution avec le produit du commerce.
  • Sur la modalité 30L/ha : 73,92 t/ha sont récoltées.
  • Sur la modalité 50L/ha : 76,03 t/ha sont récoltées.
  • Sur la modalité 100L/ha : 70,65 t/ha sont récoltées.

Quatre échantillons de 30 pommes sont prélevés sur les 5 modalités et pesés. Après pesée, il est constaté que le jus de luzerne ou le produit commercial n'ont pas eu d'incidence sur le poids moyen de 30 pommes. Il est supposé que si le poids moyen du fruit n'est pas significativement différent d'une modalité à l'autre, c'est le nombre de fleurs ayant correctement réalisé sa fructification qui explique la variabilité des rendements. Cela suppose que le jus de luzerne a un effet sur le nombre de fleurs capables de réaliser correctement sa fructification .


Rendement de pomme à cidre petit jaune en t/ha fonction de la modalité d'application du jus de luzerne.


En dehors de l'essai formel en carré, il est intéressant de remarquer que, hors le témoin de l'essai, les 105 hectares de pommeraies commencent à être entretenus avec du jus de luzerne. Les premières observations montrent une absence de maladie pour l'année 2023 et une réduction de la présence de phénotypes de plantes à carence induite. Il est supposé que le jus de luzerne a un effet bénéfique sur la réduction des carences et des signes visibles de présence de maladies.

Maraîchage sur tomate type Marmande variété F1 "Marbonne"

Schéma de l'essai maraîcher.

L’essai se formalise sur une planche de 48 mètres sous serre multi chapelles irriguée en goutte à goutte par 3 tuyaux. Sur la planche de 48 mètre linéaire, large d’1 mètre, 4 pieds de tomates sont plantés en densité 50x50. 3 modalités de 10 mètre linéaire sont testées soit 40 pieds par modalités (des pieds "barrières de protection" sont intégrés entre les modalités):

  • Modalité 1 : Témoin (ITK agriculteur).
  • Modalité 2 : Produit commercial à base de Triacontanol.
  • Modalité 3 : Jus de luzerne 50L/ha.


Le jus de luzerne est apporté via un pulvérisateur classique (dans la mesure du possible utiliser un atomiseur pour asperger la face supérieure et inférieure des feuilles du plant de tomate).

Application

  • Jus de luzerne : Apport 4 applications 5 ml/m² de jus de luzerne + 20 ml/m² d’eau par passage. Périodes d’application estimées pour l’année 1 :
    • Floraison.
    • Floraison +15j.
    • Floraison +30j.
    • Floraison +45j.


  • Produit commercial : Apport 4 applications 0,2 ml/m² du produit commercial + 4,5 L d’eau pour 1m² soit 4 ml du produit commercial par passage dans 900 ml d’eau (dose recommandée du produit). Périodes d’application estimées pour l’année 1 :
  • Floraison.
  • Floraison +15j.
  • Floraison +30j.
  • Floraison +45j.


Variables observées :

  • La vigueur des plants dans l’évolution des stades phénologiques.
  • La présence / absence d’ennemies en culture.
  • Le rendement.


Deux périodes de récoltes sont différenciées, juillet et septembre.

Suivie de la vigueur des plants dans l’évolution des stades phénologiques et présence/absence d’ennemie en culture

Pendant la période de l'essai, à l'état initial, on observe une présence de pythium et de mildiou sous la serre, ainsi qu'une légère irrégularité dans la croissance des plants.


Pour ce qui est du suivi phénologique, on n'observe aucune différence entre les modalités dans la vitesse de croissance des plants. Deux semaines après le début de l'essai, il reste quelques traces de mildiou non actif, des pucerons sont comptés sur les plants, mais la population est trop faible pour causer une nuisance réelle sur les plants de tomate.

Rendement

  • La modalité témoin sert de référence, son rendement est compté en indice 100, aussi bien pour la récolte de juillet que pour la récolte de septembre.
  • La modalité 2, présente en juillet comme en septembre, un rendement d'indice 116, soit 16% de rendement en plus que le témoin.
  • La modalité 3, présente un rendement d'indice 130 pour la période de juillet, soit 30% de rendement en plus, et un rendement d'indice 153 pour la période de septembre, soit 53% de rendement en plus ( figure 8 et 9).
Rendement en tomates cycle de juillet.


Rendement en tomates cycle de septembre.


Le poids moyen d'une tomate ne diffère pas significativement entre les modalités. Ces résultats suggèrent que le jus de luzerne permet une amélioration des rendements, notamment en augmentant le nombre de fruits récoltables par plante (figure 10). Il semble que le nombre de fleurs réalisant une fructification complète augmente en cas d'utilisation de l'intrant.

Nombre de tomates récoltées par modalité sur chaque période de prélèvement.

Domaine de validité des résultats

L'essai est mené en conditions réelles chez un maraîcher et un arboriculteur afin de s'approcher au plus près des conditions d'utilisation du produit si celui-ci venait à être largement adopté en maraîchage et en arboriculture. Cette approche entraîne toutefois une limitation du domaine de validité des résultats enregistrés. Cependant, l'itinéraire technique de mise en place et de suivi de la production suit les normes classiques en maraîchage et arboriculture biologique, et toutes les mesures de précaution sont prises pour garantir la fiabilité des données enregistrées.


Il est important de noter qu'il existe un certain manque de robustesse dans les données, lequel pourra être corrigé par la répétition de l'essai sur plusieurs campagnes. Cette répétition sera réalisée sous différentes conditions climatiques et spatiales, ce qui permettra d'éviter toute confusion d'effets dans la validité des résultats obtenus pour l'année d'essai 2022/2023.


Cette approche de répétition sur plusieurs saisons contribuera à renforcer la fiabilité des résultats et à fournir des informations plus robustes sur l'utilisation du jus de luzerne.

Conclusion

Le jus de luzerne semble être un produit abordable et auto-produit pour un agriculteur. Ce qui permet à tout un chacun de pouvoir inclure une nouvelle potentielle valorisation de cette plante aux multiples services.

Les résultats obtenus sur cette première année d'essais ont permis de conforter la création d'un consortium de recherche et développement qui se penche sur les questions d'employabilité de ce produit en agriculture. Ce consortium regroupant UniLaSalle, BIO Hauts-de-France, Agro-Transfert, le GAEC du clos BERNARD, les Chambres d'agriculture de la Somme (80), de l'Aisne (02) et de l'Oise (60), financé par l'Agence de l'eau Seine Normandie, l'Agence de l'eau Artois Picardie et la Métropole Européenne Lilloise, va se pencher sur ces questions pour chercher à mieux comprendre cette alternative probable à l'emploi de certains produits phytosanitaires ou à la réduction de l'emploi d'azote minéral.

Pour aller plus loin

Nous vous invitons à consulter également cette page : Fertiliser les cultures avec l'extrait de luzerne.

Sources

Cet page a été rédigée grâce à l'aimable contribution d' Olivier Rey, conseiller agricole indépendant.


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