Comment les matières organiques des sols se forment, se stabilisent et sont minéralisées

De Triple Performance
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Le rapport carbone/azote (C/N) des couverts et des cultures a un impact non négligeable sur le stockage de matières organiques du sol. Contrairement aux idées reçues, plus le C/N des résidus végétaux est faible, plus la proportion du carbone des résidus alimentant le stock de carbone des sols est élevée. ©F. Thomas


Nous croyons en savoir beaucoup sur la composition et le devenir des matières organiques des sols. Le terme d’humus par exemple est largement employé, peut-être à tort. Voici les dernières avancées scientifiques en la matière.La persistance des matières organiques[1] dans les sols (MOS) était expliquée par leur seule composition chimique jusqu’aux années 1990-2000. Une théorie établie de longue date suggérait que les MOS pouvaient être classées selon leur composition chimique qui les rendaient parfois impossibles à dégrader par les microorganismes (bactéries, champignons). Selon cette conception, plus les résidus végétaux étaient riches en lignine, plus ils étaient difficiles à dégrader et plus ils contribuaient au stock persistant de MOS.

Les nouvelles techniques de laboratoire ont permis d’observer, de marquer et de tracer le carbone dans les végétaux, les organismes du sol, les microagrégats de terre ou encore le CO2. Il a été démontré que les microorganismes sont capables de décomposer tous les types de MOS (sauf les charbons). Par exemple, la lignine peut être facilement dégradée par les microorganismes à condition que du carbone soit biodisponible dans le milieu comme source d’énergie. Ces nouvelles techniques ont permis de comprendre que la persistance des MOS dépendait des interactions entre plantes, microorganismes et minéraux du sol. Au fil du temps, les preuves se sont accumulées sur le fait que la matrice du sol protège de la décomposition diverses molécules d’origine végétale, mais également beaucoup de petites molécules organiques d’origine microbienne.

Les matières organiques fraîches (résidus de culture, couverts et produits organiques) apportées au sol, sont décomposées par la macrofaune (vers de terre, insectes), la mésofaune (microarthropodes comme les collemboles) et les microorganismes du sol.

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Les matières organiques des sols sont un continuum

Il ne sera pas question ici de la faune du sol sur les dynamiques des MOS. Leur effet est avéré sur la décomposition des matières organiques ; cependant il reste encore beaucoup d’incompréhensions à ce sujet. L’augmentation récente du nombre de projets de recherche sur cette thématique devrait permettre de mieux comprendre l’importance relative de ces organismes encore trop peu étudiés au niveau international.

Les microorganismes jouent un rôle prédominant dans les dynamiques des matières organiques. Ils sécrètent des enzymes qui dégradent les parois des végétaux en molécules organiques de plus en plus petites (des biopolymères de différentes tailles) jusqu’à leur réduction en monomères organiques.

En bout de chaîne, les monomères organiques sont des petites molécules solubles dont la taille (environ 1 nanomètre) les rend assimilables et métabolisables par les microorganismes en CO2. Quelles que soient leurs tailles, les molécules organiques peuvent interagir et être stabilisées dans le sol grâce à leur agrégation avec les minéraux du sol. C’est pourquoi les scientifiques qualifient maintenant les MOS de continuum. Par ailleurs, plus la taille des molécules organiques diminue, plus elles seraient solubles dans l’eau, réactives et seraient rapidement adsorbées sur les minéraux du sol (argiles notamment) pour former des complexes organominéraux (nom actualisé du complexe argilo-humique). La biomasse vivante des organismes du sol constitue un stock temporaire de matières organiques (<~5 % du carbone organique total du sol). Les microorganismes morts (nécromasse) et les métabolites issus des activités microbiennes seraient ensuite en partie complexés aux particules minérales. Contrairement à ce qu’on pensait précédemment, ces molécules issues des microorganismes n’auraient pas toujours le turn-over le plus rapide. Ces molécules microbiennes alimenteraient de manière considérable la fraction la plus persistante/stable des MOS (voir encadré et graphique ci-dessous). Plusieurs publications récentes convergent sur le fait que les microorganismes seraient à l’origine d’une grande partie des matières organiques stables dans le sol. Près de 50 % de la MOS proviendrait de la nécromasse microbienne (Liang et al., 2019).

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L’influence du climat et des types de sols

Le stock de MOS augmente lorsque les entrées de MOS sont supérieures aux sorties par minéralisation. Mais qu’est-ce qui limite la minéralisation ?

Le climat est le principal facteur de contrôle des niveaux de sorties des MOS par minéralisation. Des contextes de températures très basses, de niveau d’oxygène trop bas (anaérobie) ou d’humidités trop faibles (sécheresses très marquées) sont en effet limitants pour les microorganismes.

La persistance des MOS est aussi le résultat d’une protection chimique parfois combinée à une protection physique qui rend les MOS moins accessibles, voire inaccessibles aux microorganismes. La protection chimique correspond à l’adsorption des MOS sur les particules minérales du sol (notamment les argiles) ou à leur complexation avec des éléments tels que le fer ou le calcium. L’adsorption et la complexation rendent les MOS plus récalcitrantes, c’est-à-dire plus difficiles à cataboliser par les enzymes sécrétées par les microorganismes. L’activité microbienne peut également être limitée par une barrière physique qui empêche les enzymes d’accéder aux matières organiques protégées au sein des petits pores dans des agrégats organominéraux. La majeure partie de la MOS physiquement protégée se trouverait dans les fractions de sol <50 μm. Bien protégée, elle pourrait y persister pendant plusieurs siècles et elle serait moins vulnérable aux changements environnementaux.

Ces contraintes d’accès pour les enzymes dépendent des types de sols et de la capacité des minéraux du sol à former de fortes liaisons organominérales. Ainsi le potentiel de protection des MOS diffère avec le type de sol, notamment avec la nature et la composition des minéraux des sols.


Outre le climat, l’activité des microorganismes est contrôlée par la disponibilité de l’énergie et des nutriments. Cette disponibilité contrôle à la fois le taux et l’efficacité de la minéralisation des MOS.

Plus la nature biochimique des résidus organiques est simple, plus ils sont faciles à dégrader pour les microorganismes. Ils constituent un retour sur investissement énergétique intéressant pour les microorganismes. C’est le cas des résidus pauvres en lignine, ayant des ratios des teneurs C/O ou C/H faibles. Par ailleurs la chimie du carbone, les carences en nutriments (azote, phosphore, soufre) sont reconnues comme un facteur majeur de limitation microbienne de la décomposition des MOS et du stockage du carbone dans le sol. Ceci s’explique par des ratios des teneurs C/nutriments plus faibles chez les microorganismes que chez les plantes.

Ainsi les MOAM (Matières Organiques Associées aux Minéraux du sol = MO stable ou liée) intégreraient préférentiellement les MOS efficacement traitées par des microorganismes, c’est-à-dire provenant d’intrants végétaux de haute qualité. Ces résidus de haute qualité ont un faible rapport C/N et une faible teneur en lignine. C’est le cas de cultures ou couverts de légumineuses utilisés en grandes cultures.

Dans les sols pauvres en nutriments, caractérisés par un rapport C/N faible, la limitation en azote peut également favoriser la minéralisation de la MOS stable, c’est le priming effect.

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La biomasse apportée au sol favorise le stockage des MOS

Les quantités de résidus végétaux restituées au sol, tout comme les produits organiques exogènes (fumier, compost), restent le principal élément favorisant le stockage de MOS. Le graphique ci-dessus présente les contributions au stock de C des résidus de différentes cultures annuelles. Le colza et le maïs sont les cultures avec le meilleur rendement en C stocké. La restitution ou non des pailles du blé impacte fortement sa contribution au stock.

Les entrées de C par les résidus de cultures, tout comme les sorties par minéralisation, dépendent du pédoclimat. Ainsi pour les sols argilo-calcaires du Berry à 3 % de MOS, les sorties de C par minéralisation (perte annuelle de C) sont inférieures aux sols de limons moyens profonds de Picardie à 1,6 % de MOS. Les rendements et donc les restitutions de C par les cultures sont inférieures dans le cas du Berry. Dans les deux contextes, la contribution des couverts d’interculture de 2 tonnes de matière sèche à l'hectare est essentielle et même parfois insuffisante pour compenser les pertes annuelles de C.

Les cultures à faibles C/N stockent mieux

Le rapport C/N des couverts et cultures a un impact non négligeable sur le stockage de MOS. La proportion de C des résidus végétaux intégrant le stock du sol a pu être déterminée par l’Inrae grâce à des incubations de résidus de culture avec du sol en conditions contrôlées durant 168 jours[2]. Contrairement aux idées reçues, plus le C/N des résidus végétaux est faible, plus la proportion du C des résidus alimentant le stock de C des sols est élevée (K1, coefficient isohumique aussi appelé coefficient d’humification, élevé).

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La proportion de C intégrant le stock est plus importante pour les légumineuses que pour les céréales. Mais comme leur biomasse est plus faible, les légumineuses contribuent moins au stockage.

Concernant la composition des couverts, 2 tonnes de matière sèche :

  • de couverts à base de légumineuses et de non légumineuses alimentent le stock de sol avec 0,35 tonne de carbone.
  • de couverts de crucifères fournissent 0,32 tonne de C
  • de blé contribueront au stock à hauteur de 0,2 tonnes de C.
Augmenter les teneurs en MOS, même de 0,5 %, nécessite une stratégie sur le long terme. C’est ce qui est illustré dans le tableau ci-dessous avec les différentes rotations et pratiques simulées pour un sol limono-argileux en Bourgogne à 1,6 % de MOS initial. La meilleure stratégie, couplant cultures à fortes restitutions, couverts et apports de matières organiques exogènes (exemple du fumier), nécessitera au moins 7 ans pour atteindre l’objectif.
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Les racines et la diversité végétale

La rhizodéposition, qui correspond aux cellules des racines détachées, aux tissus morts et aux exsudats racinaires représenterait 20% à 40% du C issu de la photosynthèse. Le carbone des racines serait plus stable que celui des parties aériennes (environ 2 à 3 fois plus). Ces observations ont plusieurs explications. Dans la couche supérieure des sols, le C issu des racines stimule le développement de la biomasse microbienne et ainsi les apports de MO d’origine microbienne. Par ailleurs, l’activité des bactéries et des champignons favorise l’agrégation des MOS avec les minéraux du sol et donc potentiellement leur stabilisation. En profondeur dans les sols, les conditions sont moins propices au développement et à l’activité microbienne de minéralisation en raison de plus faibles concentrations en oxygène, de températures plus basses et enfin du manque de ressources nutritives. Aussi les MOS persistent plus longtemps en dessous de la couche arable des sols.


La diversité végétale aurait également un effet positif sur le stockage de C. Cela a été observé dans différentes expérimentations en prairies. Une étude a notamment permis d’observer une augmentation de la biomasse et du C de racines fines en même temps que la richesse en espèces végétales, et que les apports de C microbiens. Une relation positive a pu être démontrée entre l’augmentation de la rhizodéposition, de la croissance et de l’activité des microorganismes et du stockage de C dans les sols, en même temps que celle de la richesse en espèces végétales. Dans cette étude l’augmentation du stockage de C se faisait au profit du pool de carbone persistant/ stable du sol.

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Travailler sur un pas de temps long

Pour résumer l’état actuel des connaissances, les quantités de matières organiques restituées au sol sont le principal facteur de stockage de MOS. Les biomasses racinaires jouent un rôle plus important que ce qui était précédemment supposé, notamment en lien avec leur effet positif sur les microorganismes et le stockage de MOS. L’augmentation de la croissance et de l’activité des microorganismes exerce une influence à la fois sur la minéralisation mais également sur l’augmentation du stock de MOS stables du sol. Contrairement à ce qui était auparavant supposé, les MOS issues de la nécromasse microbienne seraient en effet préférentiellement stockées dans le pool stable du sol. Par ailleurs le C racinaire en profondeur persiste plus longtemps dans le sol.

Augmenter le stock de MOS du sol nécessite de travailler sur un pas de temps long. Dans les situations où l’apport de matières organiques exogènes (par exemple le fumier) n’est pas possible, il est indispensable de maximiser la biomasse végétale avec notamment des couverts et des cultures à fortes biomasses (type colza et maïs). Diversifier à la fois ses couverts végétaux et son assolement semble également une bonne stratégie.


Simuler l’évolution des stocks de MOS

  • Simeos-AMG est basé sur le modèle AMG recherche qui est le modèle de référence en France pour simuler l’évolution des stocks de matières organiques des sols.
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Sources

La version initiale de cet article a été rédigée par Anne-Sophie Perrin et Michael Geloen.


  1. Ce ne sont pas les teneurs en MOS qui sont déterminées en laboratoire mais les teneurs en carbone organique. Pour la plupart des sols de grandes cultures, MOS = CO x 1,72. Ainsi on parle indifféremment de MO ou de carbone organique dans ce texte.
  2. Juste et al., 2009