Logo AgroLeague.png

Utilisation des macérations de plantes en grandes cultures : quel rôle, quels résultats

De Triple Performance
Aller à :navigation, rechercher

Stéphane Billotte.jpeg


Les macérations, extraits fermentés ou purins, sont des préparations naturelles à base de plantes. Elles permettent de booster la croissance, déplafonner les rendements, stimuler les défenses naturelles des plantes... les effets des macérations sont multiples.

‍Principe

‍Le principe d’une macération est extraire les substances actives (métabolites secondaires) contenues dans une plante pour les pulvériser sur la culture ou sur le sol. Sous l’action des micro-organismes qu’elles contiennent naturellement, les espèces végétales utilisées (ortie, consoude, laminaire, luzerne, prêle, bardane) sont soumises à la fermentation. Le résultat est la production de molécules d’intérêt pour le sol et les cultures : on y retrouve des oligo-éléments sous forme chélatée, des minéraux, acides aminés, enzymes, antioxydants et des micro-organismes qui vont favoriser l’assimilation de ces éléments.

La croix du Redox

Le notion de Redox est importante à comprendre pour une utilisation correcte des macérations. Le principe des extraits fermentés est de repositionner la sève de la plante sur un niveau correct de Redox afin de limiter le développement des maladies.

  • Le pH est un indicateur du niveau d’acidité, de la concentration en ions H+ du milieu.
  • Le Redox est un indicateur de l’état d’oxydo-réduction de la sève d’une plante, de la concentration en électrons (e-) du milieu :
    • Plus la plante est oxydée, moins elle est concentrée en en électrons, plus son niveau énergétique est bas et moins la photosynthèse est performante.
    • Plus la plante est réduite, plus elle est concentrée en en électrons, plus son niveau énergétique est haut et la photosynthèse performante.
    • Les produits de synthèse tels que les fongicides ont une action curative (neutralisation du ravageur et limitation de la propagation de la maladie) mais vont également oxyder le milieu et occasionner un stress pour la plante.

Les milieux oxydés à pH alcalins favorisaient le développement de champignons tels que le mildiou ou la septoriose.

Représentation schématique de la croix du Redox (HUSSON, 2020)

Intérêts

Les macérations agissent principalement sur deux points :

  • La protection des cultures : certaines macérations, comme celles d’ortie et de laminaire, stimulent les défenses naturelles des plantes. Elles permettent également de repositionner la sève de la plante sur un niveau correct d’oxydo-réduction, ce qui rend le milieu moins propice au développement des maladies fongiques.
  • La stimulation de la vie du sol : les macérations de consoude et de luzerne stimulent la flore microbienne du sol et accélèrent la décomposition de la matière organique.

Protocole

  • Première question : état de la plante (stressée ou saine). Si la plante est stressée ou en train de se défendre, attendre de meilleures conditions. Chimie ou huiles essentielles pour intervenir. 10 à 12 jours après seulement on peut revenir avec la macération.
  • Utiliser les analyses de sève pour ajuster les éléments nécessaires.
  • Température du sol : minimum 10°C.
  • Proportion : une macération c’est minimum 10% de la bouillie, qui peut se décomposer en 2 fois 5%.‍
Protocole applications macérations © Stéphane Billotte.

Processus de fabrication

Réaliser une fabrication maison permet d’optimiser les coûts de production comparés à des extraits fermentés achetés dans le commerce. Voici deux types de fabrication artisanale :

  • Fabrication anaérobie : Ce type de fabrication permet une meilleure maîtrise du processus (car la préparation n’est pas en contact avec l’oxygène de l’air), mais elle est plus fastidieuse à réaliser car elle demande plus de contrôle.
  • Fabrication à l’air libre : C'est en contact avec l’oxygène de l’air mais sans système d’aération (comme pour la préparation des thés de compost oxygénés). Plus simple à réaliser mais avec moins de maîtrise.

Etapes à suivre

Étape 1 : la cueillette

  • Le matin ;
  • Juste avant floraison :
    • Cueillir trop tôt, c’est risquer que la plante ne soit pas suffisamment riche en éléments nutritifs.
    • Cueillir trop tard, c’est prendre le risque que la plante ait migré ses éléments nutritifs dans ses organes reproducteurs.
  • Mettre en macération au plus tard 3h après la cueillette.

Étape 2 : la mise en cuve après cueillette

  • La mise en cuve doit être réalisée au plus tard 3h après la cueillette.
  • La méthode est différente selon le type de fabrication choisi.

Étape 3 : suivi de la fermentation

Le suivi est indispensable pour s’assurer de la qualité du produit final et identifier le bon moment pour arrêter la fermentation et démarrer la filtration. Ce suivi peut se faire au travers d’indicateurs mesurés grâce à des appareils spécifiques : pH, Redox et conductivité. Le coût des appareils de mesure peut être un frein à l’achat (environ 500 €), il existe donc également des méthodes de suivi sans appareil.

Utiliser des appareils de mesure
  • Le premier indicateur à regarder est le redox : il doit se situer entre -100 mv et +100 mv.
  • Le deuxième indicateur est le pH : il doit se situer entre 4,8 et 6.
Mesurer sans appareil

Il existe des méthodes visuelles pour identifier si la fermentation est terminée.

Le test de la mousse :

  • À gauche : mousse épaisse en surface qui reste sur les doigts au toucher → fermentation en cours.
  • À droite : mousse fine qui se dilate → fermentation terminée.
Test de la mousse (PETIOT & GOATER, 2020)

Le test de la couleur :

  • À gauche : la couleur jaune-vert clair indique que la macération est correcte.
  • À droite :la couleur marron indique que la fermentation a duré trop longtemps et que le produit est de mauvaise qualité.

⚠️ Si le produit est jaune clair à la mise en bidon et marron foncé au moment de l’utilisation, cela signifie que le bidon n’était pas étanche et que la fermentation a repris pendant le stockage.

Processus de fabrication des macérations 11.jpg

Étape 4 : la mise en bidon

Étape finale à ne pas négliger, la mise en bidon et le stockage doivent être réalisés dans de bonnes conditions pour être sûr d’avoir un produit de qualité à l’utilisation.

  • Les macérations effectuées mois de mai-juin à une température ambiante d’environ 20°C prennent en moyenne une dizaine de jours.
  • Il ne faut pas d’air dans le bidon pour ne pas redémarrer une fermentation : la technique la plus simple est de laisser déborder le bidon.
  • Il doit être stocké dans un local sans lumière à une température située entre 7°C et 17°C et sans amplitude thermique.
  • Pour assurer une bonne conservation d’un an, il est conseillé d’ajouter 0,2 g d’acérola par litre de macération (ou 50 mg de vitamine C).

Fabrication anaérobie

Processus de fabrication des macérations 5.jpg

Matériel nécessaire

  • Eau de pluie (pH 6-7 ; Redox inférieur à 200mV ; Conductivité inférieur à 0,3 mS/cm) ;
  • Une cuve inox ou plastique ;
  • Une plaque rigide (contre-plaqué, cercle plastique) + chambre à air du diamètre de la cuve pour l’étanchéité (penser à trouer la plaque pour laisser une évacuation d’air) ;
  • Une bâche qui entourera la plaque rigide (toujours pour l’étanchéité) ;
  • Un robinet.

Mise en cuve après la cueillette

  • Remplir la cuve d’eau aux 3/4 avec de l’eau de pluie (l’eau peut-être chauffée à 30°C pour accélérer la fermentation) ;
  • Mettre les plantes fraîches dans l’eau : 1 kg/10 L (une seule espèce par cuve) ;
  • Poser la bâche sur l’eau et les plantes pour créer l’anaérobie (la bâche doit dépasser de la cuve) ;
  • Poser la plaque rigide sur la bâche ;
  • Placer la chambre à air du diamètre de la cuve sur la plaque et la gonfler pour mettre le milieu en anaérobie ;
  • Placer un poids sur la plaque pour éviter qu’elle ne remonte ;
  • Percer la bâche pour permettre l’évacuation d’air ;
  • Fermer le couvercle.
Processus de fabrication des macérations 7.jpg

Fabrication à l’air libre

Matériel nécessaire

IBC de 1000 litres (couper la partie du dessus et la garder) ou une cuve en Inox.

Mise en cuve après la cueillette

  • Remplir les cuves avec les plantes fraîchement coupées 1 kg/10 L (dans une cuve de 1000 L : mettre maximum 80 kg de plante pour 800 L d’eau).
  • Chauffer l’eau permet d’accélérer la fermentation (pas obligatoire).
  • Poser le couvercle avec des poids sur les plantes et l’eau.
  • La macération doit être réalisée dans un bâtiment sans amplitude thermique et forte luminosité.

Caractéristiques des principales espèces végétales utilisées en macération

Les alternatives biologiques aux pesticides (PETIOT & GOATER, 2020)

Points de vigilance

  • Pression d’application : Une pression trop élevée va avoir un impact négatif sur les micro-organismes. Il faut passer avec une pression de pulvérisation d’1,8 à 2 bars, pas plus haut. De plus, la buse a tendance à oxyder la macération : moins on monte en pression, moins on micronise la préparation, moins on oxyde.
  • Le rinçage du pulvérisateur est très important. Il faut minimum un nettoyage complet avant de mettre la macération. L'idéal est de laisser un après midi en plein soleil car les UV cassent les molécules de synthèse.
  • Trop booster la plante peut la fragiliser. « Le but n’est pas de demander à la plante de produire plus, mais de l’aider à atteindre son potentiel de production. Souvent, on a observé que les meilleurs résultats, c’est là où il y a peu de différence visuelle avec le témoin. Il faut aller jusqu’au rendement. Des fois, les résultats visuels peuvent être trompeurs. C’est « l’effet vert »  dû à un excès en azote ou en fer, les plantes sont vertes et exubérantes. Au final cela peut pénaliser le tallage ou le remplissage d’une céréale. C’est flatteur mais ça peut parfois être contre-productif. »

Données économiques

Coût du processus de fabrication

Dans le commerce

  • Les prix des macérations varient en moyenne entre 1 à 3 €/L le litre.
  • Pour une macération d’ortie utilisées à 10 L/ha : le coût de revient est d’environ 10 à 30 €/ha.

Fabrication artisanale

La fabrication maison prend en compte le coût de la main-d’œuvre pour la réaliser et l’amortissement matériel :

  • Fauche et mise en cuve pour 2500 L : 2 h.
  • Surveillance : 1 h répartie sur 10 jours.
  • Mise en bidon : 3 h.

Au total pour réaliser 2500 L de macération d’ortie :

  • Cela prend environ 6 h de main-d’œuvre.
  • Avec un taux horaire de 80 €/h (main-d’œuvre et machinisme compris), cela représente 480 € pour créer 2500 L.
  • La fabrication maison permet d’obtenir un produit à 0,20 €/L.

Coût de l’utilisation des macérations

Fongicide programme classique

  • T1 = 25€/ha
  • T2 = 40 €/ha
  • T3 = 20 €/ha
  • Coût total du programme : 85 €/ha

Retour d’expérience du programme avec l’utilisation des macérations

  • T1 = 0 €/ha de chimie (remplacé par 3 passages d’ortie + consoude à 10 €/ha)
  • T2 = 20 €/ha de chimie
  • T3 = 15 €/ha de chimie
  • Coût total du programme : 45€/ha

Résultats d’essais de l’utilisation des macérations

Ces essais ont pour objectif de montrer les effets concrets des macérations de plantes dans un itinéraire cultural de céréales par rapport à des produits fongicides de synthèse.

Essai n°1

Ce premier essai a été mené chez Antoine Chedru, membre AgroLeague en Seine-Maritime (76), dans le cadre des fermes Dephy, Ecophyto sur la période 2016-2020.

L’objectif était de comparer l’impact sur le rendement du blé tendre de l’intégration de différents extraits fermentés, avec ou sans application de fongicide.

Contexte

  • Secteur : Seine-Maritime (76) - contexte à forte pression maladie.
  • Texture du sol : limon profond.
  • Culture : mélange variétal de 10 variétés différentes de blé tendre en semis direct.
  • L’essai a été mené sur des bandes de 19X100 m, avec analyse au capteur de rendement de la moissonneuse (essai non conduit en micro-parcelles donc pas d’analyse statistique).

Modalités testées

  • EFO” = “extrait fermenté d’ortie
  • EFC” = “extrait fermenté de consoude
  • HE” = “huiles essentielles
Différentes modalités testées (résultats d’essai chez Antoine Chedru - Ferme Dephy Ecophyto, 2020)

Résultats

Après 5 ans d’essais, voici la comparaison des différentes modalités du point de vue du rendement :

  • On remarque un gain de rendement pour la modalité 100% EFO comparée au témoin sans traitement. Pour l’année 2016, où une pression parasitaire particulièrement forte a été constatée, le témoin non-traité a donné 53 q/ha contre 70 q/ha pour la modalité 100% EFO, soit 17 q/ha en plus.
  • Cette même année, la modalité EFO + fongicide a obtenu un gain de +10 q/ha comparée à la modalité 100% EFO.
  • Enfin, la modalité 100% fongicide n’a permis de gagner que 4 q/ha en plus par rapport à la modalité EF + fongicide.
Synthèse de rendements après 5 années d’essais (résultats d’essai chez Antoine Chedru - Ferme Dephy Ecophyto, 2020)

Comparaison des marges

Un prix moyen de 180 €/t a été pris dans cet exercice pour le blé tendre :

  • Les macérations 100% ortie ont permis de gagner dans ce contexte +131 €/ha de marge brute par rapport au témoins sans traitement.
  • Entre la modalité EFO + fongicide DFE et la modalité 100% fongicide, la différence de marge brute n’est que de 20 €/ha en faveur de la première. Cependant, on remarque que l’indice de fréquence de traitement (IFT) est passé de 2,3 à 1,15. Cet aspect peut être intéressant à considérer dans un contexte de démarche de certification Haute Valeur Environnementale (HVE) par exemple.
Comparatif après 5 années d’essais (résultats d’essai chez Antoine Chedru - Ferme Dephy Ecophyto, 2020)

Essai n°2

Ce deuxième essai a été réalisé chez Christophe Vandewalle à Damville dans l’Eure (27) par Ver de Terre Production en 2021.

De manière similaire à l’essai précédent, l’objectif était de comparer l’impact sur le rendement du blé tendre des fongicides, extraits fermentés, EF + fongicide et thés de compost oxygénés.

Contexte

  • Secteur : Eure (27).
  • Culture : blé tendre.
  • L’essai n’a pas été conduit en micro-parcelles donc pas d’analyse statistique.
Intégrer les macérations dans un ITK en grande culture 9.jpg

Résultats

Dans ce contexte, les macérations d’ortie n’ont pas apporté de gain de rendement comparé au témoin non-traité.

Explications plausibles :

  • La Septoriose était présente sur la F2 au moment des passages avec les macérations d’ortie autour de la dernière feuille étalée. Dans cette hypothèse, cela démontrerait l’effet amplificateur de la maladie et donc l'effet néfaste sur le rendement des applications de macérations sur maladies déclarées.
  • La macération utilisée était de mauvaise qualité.
Synthèse de rendements (résultats d’essai chez Christophe Vandewalle - Ver de Terre Production, 2021)

Vidéo

Conclusion

Ce qu’il faut retenir sur la méthode

  • Récolter juste avant la floraison et mettre en cuve dans les 3h. Une dizaine de jours de fermentation avec une eau à 30°C, en anaérobie ou non.
  • Contrôler le produit fini : pH = 4,8 à 6 ; produit clair et sans mousse.
  • Chaque espèce à un rôle différent.
  • Intéressant si coût plus faible qu’un fongicide.

Ce qu'il faut retenir sur leur utilisation

  • Les macérations stimulent la croissance en apportant des oligo-éléments et des micro-organismes.
  • Elles permettent d’aider la plante à retrouver un état d’homéostasie après un événement stressant (d’origine climatique ou humaine).
  • Efficace en préventif, ne pas appliquer sur champignon déclaré : Les applications sur plantes malades ou stressées sont plutôt affaiblissantes.
  • On ne mélange surtout pas une macération avec un produit de synthèse (on diminue les effets de l’un et de l’autre).
  • Les macérations se stockent très bien dans de bonnes conditions, contrairement aux TCO.

On a vu que les macérations sont des outils très performants qui peuvent stimuler les défenses ou relancer la croissance des plantes. Stéphane recommande cependant de commencer à utiliser les macérations sur des essais. « Ne pas trop rajouter d’éléments d’un seul coup, sinon on risque d’être perdu dans les effets. Y aller doucement et durablement, faire des essais, observer et aller en s’améliorant. »

Sources



Annexes


Partager sur :