Lutte biologique
Si le contrôle biologique sous abris voit fleurir des solutions efficaces et variées, le contrôle biologique en plaine est moins évident. Il se raisonne plus globalement au sein d’une stratégie de restructuration d’un paysage agricole promoteur d’auxiliaires. C’est trouver le bon compromis entre espace non cultivé et cultivé qui restaure les fonctions de l’écosystème et apportent des services indirects à la production, dont une meilleure régulation naturelle par les auxiliaires. Ainsi, combiné à des pratiques agricoles adaptées au sol et au climat, un paysage fournissant habitats et ressources alimentaires aux auxiliaires permet d’obtenir un fonctionnement optimal à la parcelle.
La biodiversité fonctionnelle au service de mes cultures
Les principes de la régulation biologique
Le contrôle biologique est basé sur un principe simple : utiliser à son avantage un agent biologique pour lutter contre un ou plusieurs nuisibles des cultures. Selon le cycle de l’insecte, les relations pourront être la prédation ou le parasitisme. De façon simplifiée on compte deux formes principales de contrôle biologique :
- Contrôle biologique invasif : un auxiliaires est introduit dans le milieu pour réguler un ravageur spécifique. Performant en milieu confiné comme la serre, il l’est beaucoup moins en extérieur malgré de grands succès comme le trichogramme contre la pyrale du maïs.
- Le contrôle biologique par conservation des habitats (LBCH), dont traite cet article, consiste à aménager un environnement paysager favorable à un cortège d’auxiliaire de culture. Les haies, talus et autres bandes enherbées constituent des éléments actifs du paysage appelés « infrastructure écologique ». Depuis plus de dix ans la recherche a permit de mettre en lumière les facteurs de succès de cette approche pour les agriculteurs.
Cultiver la biodiversité utile relève dans un sens de « l’élevage » d’insectes
auxiliaires, c’est à dire leur fournir le gîte et le couvert.
Pour simplifier ont peut diviser les auxiliaires de cultures en deux catégories :
les floricoles et les prédateurs. Les premiers sont principalement des insectes
volants au stade adulte se nourrissant de pollen et de nectar. Parmi les plus
connus on retrouve les syrphes, les coccinelles, les chrysopes et les
hyménoptères parasitoïdes. Les seconds ont besoins de proies assez précocement
dans la saison pour être actifs, et sont majoritairement des arthropodes du
sol : les carabes et les staphylins.
Une approche du champ au paysage : une ingénierie du paysage à la portée des agriculteurs
La régulation naturelle des ravageurs est un processus impliquant diverses échelles spatiales, c’est ce qui rend complexe et parfois onéreuse cette approche. La mise en place d’infrastructure écologique se raisonne à l’échelle du paysage ou lot de parcelles pour augmenter les chances de succès des dispositifs à l’échelle du champ cultivé. Les auxiliaires ont des cycles qui se déroulent au delà de la simple parcelle et ont des besoins différenciés en terme d’habitats et de ressources nutritives entre stade adultes et larvaires et en période d’activité et de repos.
Plusieurs facteurs sont reconnus comme ayant un impact significatif sur les populations d’insectes :
- La densité des habitats naturels non cultivés, soit la part occupée par les haies, talus, fossés, bandes enherbées et fleuries diverses au sein d’un territoire. On estime qu’un paysage agricole devrait se composer de 20% d’éléments fixes pour permettre une bonne migration des populations d’auxiliaires. Parfois établit en zone bocagère, cet objectif est difficile à envisager en plaine céréalière.
- La diversité et la composition des habitats et notamment leurs capacités à fournir de la ressource en pollen et nectar et une large gamme de niches écologiques variées (bois mort, sous bois…). Ainsi les haies commenceront à fleurir tôt et finir le plus tard possible pour maintenir une activité intense des auxiliaires floricole.
- La connexion des différents habitats entre eux, jouant un rôle primordial dans la migration des espèces les plus sensibles aux sols cultivés.
Les leviers d’actions concrets pour l’agriculteur
On peut considérer deux éléments paysagers simples pouvant s’implanter facilement en bordure de parcelle : la haie et les bandes enherbées ou fleuries. Les bandes boisées et petits bois déjà en place sont également des infrastructures écologiques fonctionnelles.
Une haie fonctionnelle est constituée de plusieurs strates : herbacées, buissonnante, et arbustive. Une haie moyenne à un rang fait généralement 3m de large, et se compose d’essences à floraison successive durant 5 à 6 mois depuis le début du printemps jusqu’à l’automne (Fig. 1). Ce flot continue de nectar et pollen est essentiel à la prolifération et au maintien des populations d’auxiliaires floricoles. La diversité des habitats au pied de la haie et au sein des différentes strates crée un environnement favorable à de nombreuses espèces d’arthropodes, fournissant un large choix de proies et d’hôtes pour les auxiliaires prédateurs et parasites tôt en saison.
Fig. 1 : Composition générique d’une haie fonctionnelle permettant le phénomène de cascade de fleurs :
- Prunelier : Mars et Avril
- Aubépine : Mai
- Eglantier : Juin et Juillet
- Chèvrefeuille : Juin et Juillet
- Ronce : Août
- Lierre : Septembre et Octobre
Une bande fleurie apporte un complément de source de pollen et nectar très efficace à la haie et peut constituer un substitut intéressant. De 3 à parfois 10 m, les bandes fleuries sont à la fois un habitat préservé des perturbations et une source de pollen. Une bonne composition et un mode de gestion adapté sont les clés de réussite. Elles nécessitent une composition florales diversifiées pour étendre un maximum la période de floraison en favorisant les floraisons successives. Ont cherche également à favoriser différentes architectures florales avec des fleurs à corolles ouvertes pour favoriser les diptères et micro-hyménoptères (Famille des apiaçées, astéracées, hydrophilaçées principalement : carotte sauvage, anthémis, marguerite, achillée millefeuille, ammi commun, mauve, millepertuis, bleuet, phacélie) et profonde (légumineuses, pour les hyménoptères floricoles : lotier corniculé, mélilot, sainfoin, trèfle divers…). Le broyage tardif est indispensable pour permettre aux auxiliaires de bénéficier des floraisons de la fin d’été.
De la théorie à la pratique : quelles stratégies pour l’exploitant
Comment s’y prendre concrètement ? D’abord il est nécessaire de poser le cadre en faisant un état des lieux de la fonctionnalité du paysage sur l’exploitation. Des zones hétérogènes ou particulières peuvent être dégagées, plus ou moins favorables à l’établissement d’un équilibre biologique.
Il existe des espaces « sources » d’auxiliaires, qui sont typiquement des zones portant des éléments paysagers fonctionnels depuis plusieurs décennies, une forêt ou encore un petit bois, et des espaces « puits » qui bénéficieront de la migration des auxiliaires depuis ces espaces plus favorables. Ce sont les champs cultivés et les infrastructures nouvellement implantées qui seront colonisés progressivement. L’agriculteur, seul ou avec l’aide d’un technicien, peut alors déterminer les espaces « sources » de l’exploitation et aménager ses parcelles à partir de ceux-ci.
Un paysage initial favorable est composé d’un maillage plus ou moins dense de haie diverses, accompagnée ou non de bandes enherbées bordant des champs de moins de 5 hectares. Ces haies doivent être connectée entre elles. Il a été démontré qu’une haie, de deux ans, connectée à plusieurs haies anciennes porte une plus grande diversité et densité de carabes qu’une haie de trente ans unique séparant deux champs et non liée à un maillage ancien (expérimentation menée en Charente maritimes de 2007 à 2012).
Un milieu défavorable typique est très ouvert et ne comporte pas ou très peu d’éléments paysagers. Se sont les paysages typiques des grandes plaines céréalières du nord de la France, caractérisés par des parcelles de plus de 30ha parsemée de quelques bosquets.
En règle générale sur un parcellaire on retrouve des zones plus ou moins hétérogènes. Ces zones seront traités de façons différentes :
Dans un environnement favorable à la biodiversité utile, la posture sera le maintien, la bonne gestion et l’optimisation par l’implantation de bandes fleuries de 3m avec broyage en fin d’été et l’entretien des haies.
Dans la seconde, de nombreuses limites existent, atteindre un résultat satisfaisant peut prendre plusieurs années, voire ne jamais être atteint si les champs voisins ne suivent pas la même dynamique. Le seuil minimal de ressource étant insuffisant et l’éloignement d’espace « source » Dans le cas de parcelles isolées cela ne sera sans doute jamais possible.
Dans ce cas, deux stratégies existent : si un bosquet ou une haie borde une extrémité du lot de parcelle, l’aménagement y sera systématiquement connecté. Un piégeage de carabidae et/ou de syrphidae peut être réalisé par une personne compétente pour vérifier si ces espaces constituent bien des zones « source » d’auxiliaires.
Dans le cas d’une parcelle isolée et nue, l’implantation d’une bande fleurie pour attirer les insectes auxiliaires volant, les seuls à pouvoir couvrir de grandes distances, est indispensable. Au delà de 300m d’éloignement entre deux éléments paysagers, les chances de migration sont faibles, et l’efficacité de l’aménagement remis en cause. Ainsi il toujours souhaitable de choisir des zones d’implantation proches d’un espace source.
Synthèse
Une stratégie d’aménagement d’un paysage fonctionnel bien pensé prend donc en compte les échelles du paysage et du champ, en tenant compte des spécificités du parcellaire. Espaces « source » et « puits » doivent être définit, et l’implantation des aménagements reliés aux espaces « sources » d’auxiliaires. L’implantation de haies fonctionnelles demande le respect de certaines règles dont une composition spécifique permettant floraison précoce et tardive, l’annexion d’une bande fleurie est nécessaire pour optimiser l’ensemble et doivent être positionnée de façon à favoriser la circulation des insectes floricoles.
Sources et auteur
La version initiale de cet article a été rédigée par Sébastien Roumegous.