Le "grain bocager" : un outil pour mieux gérer les haies agricoles
Les haies, bien plus que de simples séparations de parcelles, sont des éléments fondamentaux des paysages agricoles. Elles offrent de nombreux services : régulation du microclimat, abri pour la faune, lutte contre l’érosion, amélioration de la qualité de l’eau…
Pourtant, en France, le réseau de haies continue de reculer rapidement : on estime une perte de 23 500 km de haies par an. Les causes sont connues : agrandissement des parcelles, entretien inadapté, vieillissement des ligneux non renouvelés.
Ce recul contribue à appauvrir les paysages et à fragmenter les habitats, ce qui affecte fortement la biodiversité. Sur les 25 dernières années, on constate une baisse de 33 % des oiseaux en milieu agricole, et en Europe, 76 % des insectes volants ont disparu en 27 ans.
Pour mieux préserver et gérer ces haies, il est essentiel de pouvoir mesurer leur rôle dans le paysage. C’est précisément ce que permet un nouvel outil : le grain bocager.
Définition du grain bocager
Le grain bocager est un indice qui décrit la structure des haies dans un paysage agricole. Il ne s'agit pas seulement de compter les haies, mais d’analyser leur disposition, leur hauteur, leur type (haies, bosquets, arbres isolés), ainsi que la distance qui les sépare.
Plus les haies sont nombreuses, proches et hautes, plus le grain est dit "fin". À l’inverse, quand elles sont rares et éloignées, on parle de grain "grossier". Cette notion de "grain" est essentielle pour comprendre l’effet cumulatif des haies sur leur environnement : microclimat, biodiversité, connectivité écologique, etc. Par exemple, des haies proches et parallèles peuvent créer un effet tampon sur toute une parcelle (ombrage, coupe-vent, humidité), tandis que des haies dispersées auront un effet plus limité.

Une méthode de calcul précise
Le grain bocager 3D est calculé à partir de données fournies par l’Institut Géographique National (IGN), notamment le Modèle Numérique de Hauteur de Canopée (MNHC), qui indique la hauteur des arbres.
La méthode comprend trois étapes :
- Identifier les éléments boisés : haies, arbres isolés, bosquets.
- Évaluer leur zone d’influence, en tenant compte de leur hauteur et type. Une formule permet de calculer une distance d’effet autour de chaque élément.
- Moyenner les résultats dans un rayon de 250 à 300 mètres (fenêtre glissante), pour obtenir un indice global à l’échelle d’un paysage ou d’une parcelle.
Ainsi, on peut cartographier le territoire en zones de grain plus ou moins fin, selon la densité et l’effet cumulatif des haies.


Interprétation et classes de valeur
Les cartes de grain bocager sont généralement présentées en quatre classes, fondées sur des données de biodiversité (ex. : coléoptères carabiques en Bretagne) :
- Grain fin (bleu) : zones riches en haies proches et hautes, favorables à la biodiversité forestière. Attention : un excès de fermeture peut aussi limiter certains usages.
- Grain fonctionnel (vert) : réseau équilibré, bien connecté. Il faut maintenir les haies en bon état.
- Grain potentiel (jaune) : réseau dégradé mais améliorable. Replanter ou restaurer les haies permettrait de rétablir leur fonction écologique.
- Grain grossier (blanc) : réseau très fragmenté. La reconnexion des haies est prioritaire pour restaurer les continuités écologiques.
Un effet de seuil a été observé : la présence d’espèces forestières devient significative lorsque le grain bocager est inférieur à 0,33, mais cela n’est efficace que si la qualité des haies est également bonne.


Applications concrètes sur le terrain
Le grain bocager est déjà utilisé dans plusieurs régions, et il peut servir à de nombreuses échelles :
- À l’échelle d’un territoire (commune, bassin versant, etc.) : il permet de réaliser des diagnostics écologiques, de cibler les zones à restaurer, et d’orienter les projets de reconquête du bocage (ex. : SAGE du Bas-Léon).
- En urbanisme et aménagement du territoire : il est mobilisé dans les PLUi pour identifier les zones à préserver, renforcer ou reconnecter.
- Sur les exploitations agricoles : il alimente les Plans de Gestion Durable des Haies (PGDH), en aidant à choisir les meilleures zones pour planter ou reconstituer un maillage bocager efficace.
- En animation locale : les cartes de grain bocager servent d’outils pédagogiques dans les ateliers avec élus, agriculteurs, citoyens ou techniciens, afin de définir ensemble des actions cohérentes.
Un outil pour mieux gérer les haies et le paysage
Le grain bocager permet de visualiser très concrètement les effets des haies sur le microclimat et la biodiversité. Il peut guider les choix techniques sur les exploitations, faciliter l’accès aux aides à la plantation, et renforcer les démarches de transition agroécologique.
C’est une carte au trésor écologique : chaque couleur indique la qualité actuelle du paysage et les stratégies à adopter pour l’améliorer. Grâce à cet outil, il devient possible de penser la haie non plus comme une contrainte, mais comme un levier de production, de résilience et de biodiversité.

Sources
Boussard, H., Meurice, P., Rolland, D., Baudry, J., & Commagnac, L. (2023). Le grain bocager : un indice pour caractériser le bocage et ses effets microclimatiques pour la gestion de la biodiversité forestière – Concept, méthode et applications.