Limitation des effets du changement climatique sur l’autonomie fourragère grâce aux prairies à flore variée

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La production des prairies permanentes étant très dépendante des conditions météorologiques, maintenir une production fourragère adaptée en quantité et en qualité pour les exploitations apparait donc comme indispensable, d’autant plus dans un contexte de changement climatique. Dans un objectif d’autonomie fourragère et alimentaire, le GIEE QualiPrat (2015-2020) avait pour but de développer l’utilisation des Prairies à Flore Variée (PFV), à travers la mise en place d’essais de mélanges prairiaux. Grâce à l’association d’espèces complémentaires et résistantes qu’elles renferment, les PFV constituent un des principaux leviers pour limiter les risques liés aux aléas climatiques et améliorer la qualité des fourrages.

Afin de concevoir un mélange adapté à la fois au contexte pédoclimatique de la parcelle à semer et au mode de production souhaité (fauche, pâture, mixte, précoce, tardif, …), l’outil Capflor, un outil d’aide à la conception de mélange de PFV développé par l’INRAE, a été utilisé.


Cet outil s’est avéré très utile, puisque dès 2017 et seulement après 2 années d’expérimentation, les mélanges étaient stabilisés et l’introduction de ces PFV a répondu en partie aux attentes des éleveurs. Elles ont notamment permis un gain en pérennité et qualité, tout en maintenant une productivité suffisante pour garantir l’autonomie.

Contexte

Les prairies constituent une composante essentielle des systèmes agricoles français, notamment grâce à leurs multiples contributions : production animale, performance économique des exploitations et qualité environnementale. Du fait de leur production très dépendante des conditions climatiques du milieu, , anticiper et limiter les effets du changement climatique sur ces prairies apparaît donc comme un enjeu majeur pour les éleveurs. Un des principaux impacts du changement climatique sur les systèmes d’élevage est l’accroissement de la saisonnalité de la production fourragère, notamment due à la modification du cycle phénologique de l’herbe. Cela se traduit par une précocité printanière, une production hivernale et une apparition ou une accentuation d’un creux en été[1].

Prairie à flore variée, Tarn (CA81).


Au-delà de la constitution de stocks fourragers pour l’été, une solution qui ne suffira pas à elle seule, d’autres leviers semblent pertinents pour limiter les effets du changement climatique sur l’autonomie fourragère des élevages. Depuis plus de 20 ans, toutes les régions d’élevage françaises ont initié des travaux et réflexions sur cette thématique, orientés aujourd’hui sur cette adaptation aux effets du changement climatique.


Notamment, les Prairies à Flore Variée sont de plus en plus reconnues comme une réponse pour améliorer la qualité des fourrages, réduire les intrants et limiter les risques liés aux aléas climatiques.  En effet, l’association d’espèces complémentaires et résistantes permet une production mieux répartie sur la saison culturale et réduit les risques liés aux aléas climatiques.

Problématique et objectifs

Dans un objectif d’autonomie fourragère et alimentaire, et sous l’initiative de trois collectifs d’agriculteurs (GDA d’Anglès-Brassac, GDA de Lacaune Murat et GVA de la vallée du Thoré), le Groupement d’Intérêt Economique et Environnemental (GIEE) Qualiprat est né en 2015, pour une durée de 5 ans. Ces trois groupes d’agriculteurs locaux souhaitaient développer l’utilisation des Prairies à Flore Variée (PFV), à travers notamment la mise en place d’essais de mélanges prairiaux sur leurs exploitations, et ce, dans le but d’améliorer la qualité de leurs fourrages, réduire leurs achats de concentrés mais aussi limiter leur vulnérabilité aux aléas climatiques.

Tout l’intérêt de ces PFV est qu’elles s’adaptent à la fois aux caractéristiques de la parcelle et aux objectifs de production de l’exploitant. Cependant, leur réussite est conditionnée par une bonne composition du mélange dès le départ. Il leur fallait donc trouver un outil d’aide à la conception de ces mélanges qui soit simple d’utilisation, ergonomique et offrant un service en adéquation avec leur demande.

Prairie à flore variée pâturée.

Prairie à Flore Variée (PFV)

Une prairie à flore variée est :

  • Un mélange semé.
  • Complexe.
  • De pérennité variable mais supérieure à 3 ans.
  • Constitué de plus de 6 espèces, de plusieurs variétés par espèce et d’au minimum 3 familles botaniques pour les prairies de pâturage et 2 familles pour les prairies de fauche.

Ce type de prairie temporaire fournit plusieurs services écosystémiques autres que la production de biomasse pour nourrir des animaux (couverture du sol, fourniture d’azote, effet antihelminthique, propriétés mellifères…) en s’appuyant sur les processus écologiques[2].

Solutions et résultats

L’outil Capflor®, qui est une application web développée dans le cadre du projet MéliBiO par l'INRAE grâce à un dispositif de co-conception entre chercheurs et utilisateurs, permet la préconisation de mélanges d’espèces fourragères en fonction des conditions pédoclimatiques de la parcelle à semer et du mode d’exploitation souhaité par l’utilisateur (fauche, pâture, mixte, précoce, tardif, …).


Destiné à la fois aux conseillers agricoles, aux éleveurs et aux enseignants agricoles, Capflor est utilisable aussi bien sur ordinateur que tablette et smartphone et combine trois types de connaissances : écologiques, agronomiques et empiriques. La conception du mélange se fait par une saisie, en cinq étapes, basée sur un système de filtration puissant, qui, à chacune d’entre elles, fait une sélection dans le pool d’espèces régional initial intégré dans l’outil.


Application Capflor® (INRAE).


Ainsi, à partir d’informations générales décrivant la parcelle (localisation, caractéristiques pédoclimatiques, fertilité du sol), du mode d’exploitation de la parcelle souhaité et de l’objectif de précocité de la première utilisation, l’outil propose à l’utilisateur un mélange composé de 3 à 14 espèces, suivant le milieu ciblé, et combinant au moins 3 familles botaniques différentes afin d’en assurer sa stabilité (figure 4). Les espèces sont assemblées de façon à maximiser leurs différences de stratégie de croissance et ainsi favoriser leur complémentarité dans l’espace et dans le temps et limiter leur concurrence.


Exemple de résultats (AVEM et al., GIEE QualiPrat, 2018).


Le couvert végétal formé doit répondre à trois critères :

  • Une couverture rapide du sol en début d’installation de la prairie.
  • Une couverture du sol efficace dans la durée pour limiter l’envahissement par des espèces indésirables et allonger la pérennité du mélange.
  • La production et la restitution d’azote organique utilisable par la communauté végétale afin que le couvert soit le plus autonome possible (limiter l’apport d’engrais azotés au maximum).


Après 5 années d’expérimentation dans le cadre du projet QualiPrat, les résultats des essais d’introduction de prairies à flores variées dans les systèmes de production fourragère sont très positifs. Les PFV ont notamment permis un gain en pérennité et en qualité tout en maintenant une productivité suffisante pour garantir l’autonomie des exploitations. La qualité de l’herbe pâturée est supérieure à celle des autres aliments et pour un coût inférieur (Cf. ci-dessous Aspects économiques). Bien sûr, il reste encore des marges de progrès, notamment sur les dates de mise à l’herbe et de récolte des fourrages, et le pourcentage d’herbe dans les rations.


La dynamique collective est bien lancée puisque 54 exploitants étaient engagées dans le GIEE QualiPrat (2015-2020), 564 ha de PFV ont été implantées et 25,5 tonnes de semences commandées. Le GIEE QualiPrat + prend le relai dans le Tarn, depuis 2021, et compte 23 éleveurs engagés, pour 43 ha de PFV implantés cette première année.


Quelques chiffres clés, GIEE QualiPrat.


Evolution du nombre d’hectare de PFV entre 2014 et 2021 dans le département du Tarn, dans le cadre des GIEE QualiPrat et QualiPrat + (CA81 et al., Bilan QualiPrat 2015 à 2020).

Limites et conditions de réussite

Les prairies à flore variée sont constituées d’une grande variété d’espèces : 8 à 14 suivant les mélanges utilisés dans le cadre du GIEE QualiPrat.


  • Leur réussite dépend de plusieurs paramètres :
    • Une réflexion globale doit être engagée à l’échelle de l’exploitation afin que le mélange soit adapté aux besoins et notamment aux objectifs de production. Une mauvaise composition peut-être à l’origine d’un échec, en dépit d’avantages accessoires.
    • Les difficultés et le manque de connaissances, notamment en termes de changement de pratiques, que peuvent engendrer l’implantation de PFV sur une exploitation, donnent tout son intérêt à la constitution de groupes d’agriculteurs. En effet, l’échec de l’implantation de ces prairies à flore variées est plus souvent dû à un problème de pratiques culturales, que de composition. Faire partie d’un groupe permet de trouver les solutions ensemble.
    • La phase d’implantation de la prairie est, quant à elle, primordiale et l’atteinte de son équilibre réclame de la patience. En effet les essais lancés dans le cadre du GIEE Qualiprat ont montré que les PFV atteignaient leur optimum au bout d’un an lorsque la phase d’implantation avait été conduite avec soin, mais pouvaient nécessiter de 2 à 3 ans dans le cas contraire et ce, quel que soit l’itinéraire technique choisi (semis classique, semis direct, semis à la volée).


Les principales conditions de réussite de l’implantation d’une prairie à flore variée sont les suivantes :

Conditions de réussite à l’implantation d’une prairie à flore variée[3].

Pour plus de détails sur les essais et notamment les itinéraires techniques utilisés, les documents produits dans le cadre de l’animation du GIEE QualiPrat sont consultables ici.


  • À ces conditions de réussite, s’ajoute un autre facteur à prendre en compte, l’approvisionnement en semences, qui est souvent l’obstacle le plus complexe à gérer. En effet, même si l’outil Capflor gère une très grande diversité d’espèces et de milieux, sans se limiter aux espèces commercialisées et en intégrant les espèces natives, la composition finale du mélange est contrainte par le faible nombre de variétés disponibles sur le marché français ou européen pour l’agriculteur. De plus, bien que ces semences soient en vente sur catalogue, cela ne garantit pas leur disponibilité effective chez les semenciers, notamment pour les espèces mineures. Il est fréquent que les variétés commandées ne soient plus disponibles au moment de l’envoi. Ce problème existant à toutes les périodes de l’année, il est nécessaire de l’anticiper, notamment pour les éleveurs souhaitant semer rapidement après la réception. Pour exemple, dans le cadre du GIEE Qualiprat, l’approvisionnement en semences a été compliqué les premières années. En effet, les coopératives locales n’étaient pas en mesure de leur fournir précisément les espèces souhaitées. Aussi, après recherche, ils se sont tournés vers l’APABA (Association des Agriculteurs Biologiques de l’Aveyron). L’association a organisé chaque année un achat groupé de semences, afin de faciliter cet approvisionnement et limiter les coûts. Depuis 2 ans, celui-ci est grandement facilité par l’installation à son compte d’un des animateurs de l’APABA en tant que négociant de semences fourragères.


  • L’application Capflor n’est pas encore complètement finalisée. Pour le moment, le module « fauche » est opérationnel. À terme, elle sera constituée de trois modules, chacun représentant un objectif de production : fauche, pâturage, et couplage pâturage et fauche. Le souhait des développeurs est également d’intégrer dans l’outil une base de données participative des différentes variétés de semences, en libre accès, qui permettra à chaque référent régional de renseigner les références qu’il a acquise sur son territoire. Afin de déployer l’outil mais aussi l’implantation de PFV sur l’ensemble de la France, la formation de référents régionaux dans différents organismes agricoles est en cours.

Aspects économiques

L’application Capflor est disponible  gratuitement en ligne. Les codes (identifiant et mot de passe) pour accéder à l’intégralité de l’outil vous seront fournis sur simple demande en remplissant le formulaire disponible ici. L’introduction de PFV fait augmenter le coût moyen de semences à l’hectare.

Dans le cadre du GIEE QualiPrat, celui-ci était compris entre 188€ et 333€/ha, selon la composition du mélange. Si on ramène ce coût à la durée de vie des prairies, tout en tenant compte des éventuelles fertilisations sur graminées pures, celui-ci devient alors compétitif. Cet élément est également visible à travers l’évaluation du coût de production entre les différents types de mélanges. En effet, celui-ci était plutôt stable, de l’ordre de 160€/ha/an.


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Ainsi, l’augmentation du coût des semences a été compensée par la baisse des charges en intrants et ce coût sera d’autant plus bas que la durée de vie de la prairie sera longue. Il est toutefois important de noter que ce dernier montant ne prend pas en compte les charges correspondantes à la mécanisation. Si on considère cette fois également les charges de mécanisation, les PFV sont encore plus compétitives. Et il faut compter entre 120 et 180 euros de frais d’implantation par hectare, donc plus la fréquence de semis est courte, plus les charges de mécanisation à l’échelle du système augmentent. En intégrant ces charges, le coût total d’implantation de la PFV fauche devient équivalent au mélanges Dactyle/RGA/TV, soit environ 82€/ha/an.

Témoignages

  • "Les prairies à flore variée présentent un fort intérêt pour améliorer la qualité des fourrages et limiter la vulnérabilité des exploitations agricoles face aux aléas climatiques. Elles nécessitent de la patience pour atteindre leur équilibre et leur réussite est conditionnée par le soin apporté à leur implantation et l’adéquation entre objectif de production et choix du mélange. Utiliser l’outil Capflor permet de gagner du temps pour la constitution des mélanges car, grâce à un catalogue de semences construit à partir d’une base de données scientifiquement étayée, il sélectionne les espèces adaptées au contexte et à l’objectif de production de chaque exploitation." - Caroline Auguy, conseillère fourrages à la Chambre d’agriculture du Tarn et animatrice du GIEE Qualiprat.


  • "L’outil Capflor est un bon outil d’animation collective de groupe d’agriculteurs. Il permet de faire passer des messages aux éleveurs dans un objectif d’amélioration de l’efficience de leur système de culture. En effet, l’intérêt d’implanter des prairies à flore variée sur son exploitation est de combler les lacunes de son système de culture. Un diagnostic assez précis doit donc être réalisé afin de composer un mélange adapté à ses besoins et ses objectifs de production. Attention, la réussite de l’implantation de PFV implique souvent un changement de pratiques. L’agriculteur doit être prêt à cela." - Vladimir Goutiers, agronome en système fourrager à l’INRAE de Toulouse qui a développé l’outil Capflor.

Sources

  1. (Ruget et al., 2013)
  2. Goutiers et al., 2016.
  3. CA81 et al., Bilan QualiPrat 2015 à 2020.


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Cet article a été rédigé grâce à l'aimable contribution de Bonnes Pratiques pour l'eau du grand Sud-Ouest.

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Annexes

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