Irrigation des vignes avec les eaux usées traitées d'une station d'épuration
Un projet pilote de réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer des vignes est en cours sur la commune de Roquefort des Corbières dans le département de l’Aude. Ce projet, porté par BRL Exploitation et co-initié par Lilian Copovi, viticulteur et président de la cave coopérative de Cap Leucate, permet, dans un secteur très impacté par le changement climatique et où l’accès à l’eau d’irrigation est limité, d’irriguer 15 ha de vignes à partir d’eaux usées traitées. Le processus de traitement tertiaire combine un filtre à sable à une désinfection par UV. La station d’épuration de Roquefort des Corbières étant située au cœur d’une zone viticole et dont les rejets s’écoulent en aval dans un l’étang de Bages, lieu touristique et piscicole dont le maintien de la qualité est important et sujet à l’eutrophisation, la réutilisation de ces eaux usées traitées apparaissait donc comme une solution possible pour répondre à de multiples enjeux du territoire.
Contexte
Le littoral Audois est un des secteurs de l’hexagone où la pluviométrie est la plus faible, 558 mm/an en moyenne estimé pour la période 1981-2010. Un des principaux enjeux auquel doivent faire face les agriculteurs de ce territoire est le manque d’eau, d’autant plus accentué dans un contexte de changement climatique où l’augmentation des températures provoque déjà une hausse de l’évapotranspiration (+/-10%). Maîtriser le stress hydrique et, de ce fait, limiter les pertes de plantation, et préserver le rendement et la qualité des récoltes, apparaît donc comme une condition indispensable à la viabilité économique des exploitations viticoles. Les possibilités d’accès à l’eau pour l’irrigation sur la commune de Roquefort des Corbières sont très limitées : quelques forages existent, mais restent peu productifs, les réseaux d’eaux brutes issues des bassins versants voisins sont trop éloignés pour envisager un raccordement et le réseau d’eau potable ne serait pas en mesure d’absorber ces besoins. Les agriculteurs sont donc contraints de trouver une solution alternative pour satisfaire leurs besoins en eau.
La station d’épuration (STEP) de Roquefort des Corbières, située au cœur d’une zone viticole, rejette ses effluents traités dans un petit cours d’eau intermittent, le Rieu, qui débouche dans de l’étang de Bages. L’étang de Bages est un milieu sensible, sujet à des risques d’eutrophisation et de pollution microbiologique. C’est un lieu très fréquenté par les touristes et un site piscicole remarquable qu’il faut protéger. Bien que conformes à la qualité imposée à son arrêté d’autorisation, les rejets de la STEP de Roquefort des Corbières sont pour autant une source de nutriments (phosphore et azote) et de matière organique et peuvent alors impacter la qualité des eaux et la faune sensible comme celle de l’étang. La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) de la STEP de Roquefort des Corbières apparait donc, dans ce cas, comme une solution alternative apportant de nombreux bénéfices, tant sur le plan environnemental, que sanitaire ou économique.
Problématique et objectifs
L’objectif du projet pilote était de réutiliser les eaux usées traitées de la STEP de Roquefort des Corbières pour irriguer les parcelles de cultures situées aux alentours. La STEP se trouvant au cœur d’une zone viticole, un projet de REUT apparaissait alors comme une solution alternative possible pour pallier le manque d’eau. Comme évoqué dans le dossier "Réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation des cultures", la mise en œuvre des projets de REUT est un processus complexe qui coûte cher et qui demande un investissement sur le long terme, l’implication de nombreux acteurs (fournisseur des EUT (eaux usées traitées), responsable du traitement et du stockage des EUT, bénéficiaires des EUT) et la maîtrise des risques environnementaux et sanitaires.
Solutions et résultats
Le projet de réutilisation des eaux usées traitées de la STEP de Roquefort des Corbières est un projet expérimental, lancé en 2018, qui a fait l’objet d’une demande d’autorisation au titre de l’article R211-23 du code de l’environnement afin de garantir la protection de la santé publique et animale, préserver l’environnement et la sécurité sanitaire des productions agricoles.
Ce projet implique trois acteurs principaux :
- La Communauté d’Agglomération du Grand-Narbonne : le producteur des eaux usées traitées (EUT) par la STEP et son délégataire.
- BRL Exploitation : le maître d’ouvrage et exploitant de l’installation de stockage, de traitement tertiaire et du réseau de distribution des EUT à la parcelle.
- L’Association Syndicale Libre : représentant les agriculteurs irrigants. Cette association regroupe l’ensemble des propriétaires fonciers des parcelles irriguées.
Une convention tripartite a été validée par ces acteurs et précise les rôles et responsabilités de chaque intervenant, partie prenante de ce projet.
Le volume d’eaux usées traitées disponible en sortie de STEP est de 100 à 200m3/j. Ainsi, pour couvrir les besoins en eau des 15ha de vignes, irriguées en goutte-à-goutte, 500m3/ha/an en moyenne entre le 15 juin et le 15 août, la création d’un bassin de stockage de 3000m3 a été nécessaire. L’eau va séjourner entre 5 jours et 10 mois dans le bassin suivant sa date d’entrée dans le stockage et sa date de réutilisation. Une partie du volume rejeté par la STEP continue d’alimenter le Rieu, même en période de forte demande en eau des vignes, afin d’éviter que ce nouvel usage de l’eau impacte le milieu aquatique en réduisant les apports vers celui-ci.
Afin d’obtenir des EUT de qualité C compatible avec l’irrigation des vignes au goutte-à-goutte et conformément à la règlementation, un traitement tertiaire industriel combinant un filtre à sable à une désinfection par UV, a dû être mis en place. Le stockage a par ailleurs un effet significatif sur l’abattement microbiologique avec l’action des UV du soleil, mais bien insuffisant pour garantir une qualité C. Tous ces éléments sont repris ci-dessous.
Comme l’impose la règlementation, un suivi rigoureux et complet de la qualité des EUT, à raison d’une analyse mensuelle, bimensuelle ou annuelle suivant le paramètre mesuré, est réalisé. Celui-ci est complété par un suivi des sols (hydrique, agronomique, teneur en éléments traces), des vignes (hydrique, équilibres minéraux des plantes) et des récoltes afin de vérifier l’innocuité de ces pratiques sur la qualité de la production.
Vous pourrez trouver plus de détails sur ce programme de surveillance sur le dossier de demande d’autorisation du projet (disponible ici).
L’accompagnement au pilotage de l’irrigation et le suivi des effets de la REUT sur les plantes et la récolte, sont réalisés par l’Institut Français du Vin (IFV) et permettent d’optimiser au mieux l’utilisation de ces eaux usées traitées. L’irrigation se déclenche de manière automatique après accord du viticulteur qui reçoit son programme personnel par mail en début de tour d’eau.
Pour finir, le réseau d’irrigation a été construit de manière à ne pas dégrader la qualité de l’eau, notamment en évitant la stagnation de l’eau dans les bras morts et afin que chaque irrigant puisse réaliser des purges facilement. Un des principaux problèmes d’une irrigation au goutte-à-goutte avec des eaux usées traitées est le colmatage par le développement de biofilm dans les gaines et les goutteurs. Ainsi, en complément, une vidange totale du réseau d’irrigation est réalisée à la fin de chaque saison d’irrigation ainsi qu’une désinfection au chlore ponctuelle en saison et un rinçage sous pression lors de sa mise en route. Cette désinfection pourra être éventuellement couplée à une injection d’acide pour lutter contre l’intrusion de racines dans les goutteurs si les gaines sont enterrées. Les eaux de rinçage et de purge sont rejetées en bout de parcelle en évitant tout contact avec la culture en place et le rejet se fera hors zones d’infiltrations préférentielles susceptibles de générer un risque de percolation des eaux en profondeur. Les eaux de contre lavage du filtre à sable reviennent en tête de STEP.
Limites et conditions de réussite
- Le succès de projet réside dans :
- Sa réponse à de multiples enjeux de territoire.
- L’adhésion de l’ensemble des parties prenantes du projet à la fois à son concept mais aussi à sa réalisation.
- L’attention portée au maintien d’une charge financière acceptable pour les viticulteurs.
En effet, la réutilisation des eaux usées traitées d’une STEP située au cœur d’une zone viticole, apparaissait ici comme une solution pour limiter le rejet d’eaux chargées en nutriments dans un étang piscicole, touristique et sensible à l’eutrophisation. Cet élément a notamment aidé à convaincre les services de l’état et l’Agence de l’Eau comme la société civile, impliquées dès la phase d’émergence, et convaincus du bien-fondé de ce projet, notamment pour son intérêt environnemental et agricole. La participation à l’épuration de l’eau plaçait donc les agriculteurs comme acteur de la préservation de la nature, facilitant ainsi l’acceptabilité sociale du projet.
- Nous pouvons donc déduire de l’étude de ce projet certains éléments ou points de vigilances qui conditionnent la réussite d’un projet de réutilisation des eaux usées. Ainsi, le projet résulte souvent d’une opportunité et :
- Doit être construit de manière prospective afin de s’assurer de sa viabilité économique et de la compatibilité de la STEP (localisation, volume et débit disponibles) avec son objectif d’irrigation.
- Doit être construit de manière concertée en impliquant, dès la phase d’émergence, l’état et la société civile.
- Doit répondre à des enjeux de territoire (vulnérabilité aux aléas météorologiques, protection qualitative des masses d’eau et des milieux aquatiques ou meilleure gestion quantitative de l’eau dans un contexte de pression croissante sur les ressources) et ainsi présenter de multiples bénéfices pour l’ensemble des acteurs du territoire, ce qui facilitera son acceptabilité sociale.
- Le système de traitement et le réseau d’irrigation doivent être adaptés au contexte et conçus de manière à faciliter son entretien et prévenir les problèmes de colmatage. Afin d’éviter que les rejets d’eaux de nettoyage et de purge présentent un risque pour l’environnement (infiltration dans les nappes, ruissellement dans des eaux de surface) et pour la culture en place, des dispositions, soumises à autorisation, doivent être prises. Ces dispositions sont notamment à détailler dans le dossier de demande d’autorisation.
Attention toutefois à l’effet rebond que le développement de cette ressource alternative pourrait susciter. En effet, la vigne est une culture très peu irriguée à l’heure actuelle sur le territoire du grand sud-ouest. La réussite de ce type de projets ne pourrait-elle pas avoir pour conséquences l’apparition de nouveaux usages, d’autant plus dans un contexte de changement climatique où l’irrigation devient de plus en plus indispensable au maintien de certaines cultures ?
Il est donc primordial avant de se lancer dans un projet de réutilisation d’eaux usées traitées de bien connaître le contexte afin de prendre en considération toutes les autres marges de manœuvres possibles de sobriété hydrique.
Aspects économiques
Un projet de réutilisation des eaux usées est très couteux et nécessite l’obtention d’aides financières.
Dans ce cas, le montant global des analyses, des études et des travaux a été de 362 000€ dont 50% ont été subventionnés par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse dans le cadre d’un appel à projets. Le restant a été financé par BRL Exploitation, le porteur du projet, qui a pris également en charge la gestion et l’entretien des installations durant toute la phase pilote du projet (2018-2020), dont la gratuité pour les agriculteurs avait été négociée en amont. Les agriculteurs, eux, financent l’achat du terrain où est implanté le bassin, soit 250€/ha/an de vignes irriguées.
En effet, il était nécessaire que ce coût soit acceptable pour les irrigants en comparaison de leur chiffre d’affaires.
Après trois ans de fonctionnement, 2018 à 2020, nous sommes aujourd’hui arrivés à la fin de la première phase expérimentale qui est, toutefois, complétée par l’intervention de l’INRAE sur l’aspect du colmatage des rampes de goutteurs. Il avait été convenu qu’à la fin des opérations de R&D, BRL Exploitation transfèrerait sa compétence de gestion et d’entretien du système de traitement tertiaire et du réseau d’irrigation à l’ASL (Association Syndicale Libre).
Les cartes sont donc rebattues et la participation des bénéficiaires va progressivement augmenter pour une couverture des charges d’exploitation et de renouvellement, afin, a termes, d’atteindre une autonomie financière.
Témoignage
"Les projets de REUT résultent souvent d’une opportunité à saisir. Ce sont des projets longs qui demandent beaucoup de persévérance et pour lesquels il est primordial d’impliquer, dès la phase d’émergence, le maximum d’acteurs (Etat, associations écologistes, partenaire technique, …). Ils doivent être construits en cohérence avec le contexte local et intégrer parmi les futurs utilisateurs de l’EUT, si cela est possible, des exploitants venant de tout horizon. L’acceptabilité sociale et la réussite du projet n’en seront que facilitées." Lilian Copovi, président de la cave de Cap Leucate et exploitant de parcelles irriguées par ces eaux usées traitées.
Réglementation
Source
Cet article a été rédigé grâce à l'aimable contribution de Bonnes Pratiques pour l'eau du grand Sud-Ouest.