Fourmi électrique
Son nom vernaculaire de fourmi électrique lui vient de son extrême agressivité et de sa piqûre irritante, aussi appelée «little fire ant» au Royaume Uni. C'est une espèce de fourmi invasive, qui représente un risque pour l'équilibre des écosystèmes. Elle est opportuniste et polyphage[1], ce qui lui permet de se nourrir d'une variété d'aliments en fonction de la disponibilité.
Morphologie
- Taille : ~1,2 mm pour les ouvrières et 4,5 mm pour les sexuées (mâles et reines).
- Couleur : Du jaune-orangé au brun-orangé pour les ouvrières. Les sexuées sont plus foncées et ailées au début de leur vie. Les reines perdent leurs ailes après l'accouplement.
- Antennes : Les mâles ont des antennes de 13 articles, les femelles en ont 11 avec une massue antennaire composée de 2 segments[1].
Origine et aire de répartition
Originaire d'Amérique du sud, on la retrouve sur la majorité des continents. L'espèce est inscrite depuis 2022 sur liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union Européenne[2]. Cela signifie que cette espèce ne peut pas être importée, élevée, transportée, commercialisée, ou libérée intentionnellement dans la nature, et ce nulle part dans l’Union européenne. L'espèce a été introduite accidentellement en Outre-mer dans le Pacifique (Nouvelle Calédonie, 1972,Wallis et Futuna, 1981, Polynésie française, 1994) et dans les Antilles françaises (Martinique et Guadeloupe). Elle a été repérée pour la première fois en France métropolitaine dans le Var en 2022. Elle vit en colonie très mobile, dans des nids qui peuvent être interconnectés et installés dans le sol ou dans des cavités d'arbres ou artificielles.
Mode de reproduction
C'est un mode de reproduction unique, où les mâles et les femelles reproductrices se clonent, créant ainsi deux lignées génétiques distinctes au sein de la même espèce. Les reines produisent des ouvrières stériles en utilisant le sperme des mâles. Cependant, pour produire de nouvelles reines, elles n'utilisent pas le sperme et transmettent la totalité de leur patrimoine génétique à leurs filles, créant ainsi des clones d'elles-mêmes. Les mâles, eux, ont développé une stratégie pour contrer l'hégémonie génétique des reines. Ils fécondent les œufs femelles haploïdes, destinés à produire des mâles. Ensuite, l'ADN du mâle élimine l'ADN de la femelle, produisant un mâle génétiquement identique à son père[3]. Elle peut pondre jusqu'à 70 œufs par jour, avec une densité de population allant à 80 reine au m²[4].
Dommages
Wasmannia auropunctata est une espèce envahissante qui a des conséquences écologiques importantes dans les zones où elle s'établit.
Diminution de la biodiversité
- Élimination des espèces natives : Par son agressivité et sa capacité à former des supercolonies, elle chasse ou élimine les autres espèces de fourmis et d'arthropodes.
- Disparition de la faune : Face à la présence massive de W. auropunctata, de nombreux animaux fuient les zones infestées, ce qui entraîne un appauvrissement significatif de la faune locale.
- Perturbation des écosystèmes : La diminution de la biodiversité a des effets en cascade sur le fonctionnement des écosystèmes, perturbant les chaînes alimentaires et les interactions entre espèces.
Impacts sur la flore
W. auropunctata entretient des relations mutualistes avec les homoptères (pucerons, cochenilles), les protégeant de leurs prédateurs et se nourrissant de leur miellat. Cette protection favorise la prolifération des homoptères, qui deviennent alors des nuisibles pour les plantes, affaiblissant leur santé et pouvant entraîner leur mort. Les homoptères, en se nourrissant de la sève des plantes, causent des dommages aux cultures, diminuant les rendements agricoles et impactant l'économie locale.
Luttes[5]
Éviter la propagation de l'espèce
- Contrôler les vecteurs de propagation : La petite fourmi de feu se propage principalement par le transport humain d'objets infestés. Une surveillance accrue des points d'entrée (ports, aéroports) et des marchandises à risque (plantes en pot, déchets verts, véhicules) est essentielle.
- Renforcer les mesures de biosécurité : La fumigation obligatoire des marchandises à haut risque avant leur transport inter-îles, des contrôles phytosanitaires plus stricts pour les passagers et leurs effets personnels, ainsi que la sensibilisation du public aux risques liés aux fourmis envahissantes sont des mesures clés.
- Contrôler le compostage : Les déchets verts, potentiellement infestés, peuvent être compostés localement dans des conditions contrôlées (températures élevées) pour éliminer la petite fourmi de feu avant la distribution du compost. Un suivi rigoureux des processus est nécessaire pour garantir l'absence de contamination.
- Stérilisation des encombrants : Avant leur exportation, les encombrants, potentiellement infestés, doivent être stérilisés. La fumigation au bromure de méthyle est la méthode actuelle, mais des alternatives comme le traitement thermique (exposition solaire prolongée ou chaleur artificielle) sont à l'étude.
Privilégier une éradication localisée
- L'éradication est plus efficace sur des zones limitées. Il est recommandé de concentrer les efforts sur les infestations de moins d'un hectare, voire jusqu'à 5 hectares si les ressources le permettent.
- Pour une infestation de grande taille (plus de 5 hectares), le traitement du pourtour avec un pesticide à effet rémanent ou des appâts granulés en anneau est préconisé.
Méthodes de traitement chimiques
- Appâts granulés : Efficaces contre les colonies au sol, ils doivent être appliqués régulièrement et uniformément sur le sol. Différentes formulations existent, certaines étant plus appétentes pour la petite fourmi de feu que d'autres.
- Appâts en gel : Indispensables pour traiter les colonies arboricoles, ils collent à la végétation et résistent mieux à la pluie. Ils doivent être appliqués sur toutes les branches et le tronc des arbres, ainsi que sur les buissons et les structures.
- Pesticides à effet rémanent : Utilisés pour créer une barrière autour des zones infestées, ils doivent être appliqués avec précaution pour minimiser l'impact sur l'environnement[6].
La lutte biologique
La lutte biologique est une autre piste explorée, mais elle présente des défis importants en termes de spécificité, d'efficacité, de praticabilité et de durabilité. L’introduction d’un antagoniste naturel de la fourmi électrique, tel que l’Hyménoptère Eucharitidae Orasema minutissima, est envisagée. Cependant, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer sa spécificité parasitaire, sa capacité d'action et son impact réel. L'utilisation de Diptères Phoridae, qui influencent le fourragement et la récolte de ressources, pourrait être une autre option pour réduire la compétitivité de W. auropunctata sur les fronts d'invasion.
À ce jour, aucun ennemi naturel ne semble capable de contrôler efficacement la fourmi électrique, et le recours à son cortège parasitaire pour un programme de lutte intégrée reste un objectif lointain. Une autre approche consisterait à favoriser des fourmis compétitrices natives de Nouvelle-Calédonie. Pheidole megacephala, une espèce introduite, a montré une certaine résistance, mais son statut d'espèce invasive soulève des inquiétudes quant à son introduction dans les milieux naturels. Des études sont en cours pour évaluer la compétitivité des espèces natives[6].
Surveillance
Le repérage visuel, les pièges à fosse, les pièges collants et les leurres alimentaires permettent de détecter la présence de la petite fourmi de feu et d'évaluer l'étendue des infestations. La sensibilisation du public, des professionnels en contact avec des vecteurs potentiels (pépiniéristes, paysagistes, gestionnaires de déchets, vétérinaires) et des citoyens est cruciale pour signaler les nouvelles infestations et participer aux efforts de lutte.
Exemple de lutte chimique réussie en Nouvelle-Calédonie[7]
Menace pour le Monarque de Tahiti
La petite fourmi de feu a été introduite accidentellement à Tahiti vers 1994. La petite fourmi de feu a obligé le Monarque de Tahiti (Pomarea nigra), une espèce d'oiseau en danger critique d'extinction, à abandonner son habitat naturel dans la vallée de Maruapo.
Épandage de fourmicide par drone
Ce choix s'explique par l'inaccessibilité de la falaise et la difficulté d'intervenir manuellement sur une population d'invertébrés présente du sol jusqu'à la cime des arbres.
- Deux molécules actives, le S-Méthoprène et l'Hydraméthylone, ont été utilisées en alternance. Ces molécules ont été sélectionnées pour leur faible toxicité et leur rémanence limitée, disparaissant rapidement de l'environnement sous l'effet du soleil et de l'humidité.
- Les appâts utilisés étaient spécifiquement conçus pour attirer la petite fourmi de feu grâce à une protéine de soja très attractive.
- La zone à traiter, d'une superficie de 20 ha, a été divisée en 18 lignes parallèles pour guider le drone.
- Les pilotes de drone ont dû obtenir une autorisation de l'aviation civile pour effectuer des vols en falaise et à basse altitude, en conformité avec les réglementations locales et pour garantir la sécurité des usagers.
- Un panier spécifique a été conçu pour permettre au drone de transporter une charge de 3 à 4 kg d'appât par vol.
- Quatre épandages par drone ont été effectués entre août 2017 et janvier 2018, soit un épandage tous les mois et demi. L'application du produit se faisait du haut de la falaise vers le bas afin d'empêcher une recolonisation du sol depuis la cime des arbres.
- Chaque épandage mobilisait pendant 2 à 3 jours une équipe de 3 à 4 personnes de la société Matarai pour la mise en œuvre des épandages et au moins 2 personnes de la SOP-Manu pour la surveillance.
- Les épandages prenaient en compte la vitesse et la direction du vent, la météo et devaient éviter les heures les plus chaudes de la journée.
Résultats de l'éradication
L'éradication de la petite fourmi de feu dans la vallée de Maruapo a permis le retour d'oiseaux endémiques, tels que le Ptilope de la Société (Ptilinopus purpuratus) et le Martin-chasseur vénéré (Todiramphus veneratus). La diversité des insectes et des araignées, qui avait diminué de quatre fois dans les zones envahies, s'est rétablie après l'éradication de la fourmi. Trois des cinq monarques de Tahiti présents avant l'invasion de la fourmi se sont réinstallés dans la vallée.
Il est important de noter que le succès de cette opération est dû à une stratégie de gestion rigoureuse impliquant des experts internationaux, des techniques innovantes comme l'épandage par drone, et une communication efficace avec la population locale.
Annexes
- ↑ 1,0 et 1,1 Inventaire National du Patrimoine Naturel, 2022, page consultée le 25/11/2024 https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/532927/tab/fiche
- ↑ Commission Implementing Regulation (EU) 2022/1203 of 12 July 2022 amending Implementing Regulation (EU) 2016/1141 to update the list of invasive alien species of Union concern, 13/07/2022, https://eur-lex.europa.eu/eli/reg_impl/2022/1203/oj/eng
- ↑ La reproduction clonale des mâles et femelles de la petite fourmi de feu Wasmannia auropunctata, Stéphane Foucart, 2005, https://www.dictionnaire-amoureux-des-fourmis.fr/P/Parthenogenese/Reproduction_clonale_Wasmannia.htm
- ↑ OFB, 2022, page consultée le 25/11/2024 https://professionnels.ofb.fr/fr/doc-fiches-especes/petite-fourmi-feu-fourmi-electrique-wasmannia-auropunctata#onglets
- ↑ Gestion des impacts de la petite fourmi de feu (Wasmannia auropunctata) en Polynésie française, e Secrétariat du Programme régional océanien de l’environnement, 2014, page consultée le 25/11/2024 https://www.sprep.org/attachments/Publications/BEM/LittleFireAnts_FRE.pdf
- ↑ 6,0 et 6,1 Une invasion en Nouvelle-Calédonie – Faire face à la fourmi électrique (Wasmannia auropunctata), Samuel Pinna, 2001, page consultée le 25/11/2024 https://journals.openedition.org/vertigo/4088?lang=pt
- ↑ Éradication de la Petite fourmi de feu dans la falaise de Te Maru Ata à Tahiti (Polynésie française), OFB, 2022 https://oai-gem.ofb.fr/exl-php/document-affiche/ofb_recherche_oai/OUVRE_DOC/50115?fic=doc00073451.pdf