Pilotage de l'irrigation pour améliorer l'efficience de l'eau
Bien que connu et éprouvé, le pilotage de l’irrigation n’est pas pour autant généralisé. Avec un potentiel d’économie d’eau de 10 à 15% sur maïs grain (AEAG, 2018), une des cultures majoritaires du bassin Adour-Garonne, il se place comme un des principaux leviers pour améliorer la gestion de l’eau à la parcelle, au plus près des besoins des plantes. C’est dans ce contexte que le Syndicat des Producteurs de Semences de Maïs du Tarn (SPSMT81) a souhaité inciter ses adhérents à améliorer l’efficience de leur eau d’irrigation par le pilotage, en souscrivant un abonnement collectif à l’outil Irré-LIS® développé par ARVALIS. Cet outil d’aide à la décision simple d’utilisation, fiable et nécessitant peu de paramétrages, permet d’évaluer, en temps réel, le bilan hydrique à l’échelle parcellaire et ce, au fur et à mesure de l’avancée du cycle cultural. En 2021, 16 producteurs de maïs, adhérents au syndicat, pilotent leur irrigation grâce à cet outil.
Contexte
Les grandes cultures recouvrent 40% de la surface agricole utilisée (SAU) du bassin Adour-Garonne[1], 34% de cette surface est utilisée pour produire du maïs[2], ce qui représente 511000ha. Le maïs fait partie des cultures les plus consommatrices en eau, environ 2500m3/ha/an[3], et les plus irriguées, plus de 90% des surfaces de production sur le bassin Adour-Garonne[2]. L’eau prélevée dans le milieu à des fins d’irrigation, se fait essentiellement sur les mois les plus secs et les plus chauds et est en quasi-totalité consommée[4]. L’augmentation des températures et avec elle de l’évapotranspiration, et la stagnation du cumul de précipitations annuelles combinée à une modification de la répartition des pluies (hivers plus humides et étés plus secs) vont avoir pour conséquences une augmentation des besoins en irrigation. Une meilleure gestion de l’eau, au plus près des besoins des plantes, devient donc indispensable pour diminuer la pression sur les ressources en eau naturelles et maintenir les productions agricoles. Avec une économie d’eau potentielle de 10 à 15% (soit une consommation de 2200m3/ha/an) pour une culture de maïs grain[5], le pilotage de l’irrigation se place comme un des principaux leviers pour répondre à cet enjeu. Cette bonne pratique est certes connue et éprouvée, mais elle n’est pas pour autant généralisée. La marge de manœuvre est encore grande.
Problématique et objectifs
M. Vincens est polyculteur dans le département du Tarn. Sur son exploitation agricole d’environ 50ha, 30ha sont consacrés à la production de maïs semence et sont irrigués en totalité. L’irrigation est essentielle à sa production et, afin d’améliorer son efficience et curieux de savoir si cet apport d’eau se justifiait au niveau agronomique, il a souhaité, il y a une 10aine d’années, investir dans du matériel de pilotage (tensiomètres, station météo avec l’outil connecté d’aide au rassemblement des données fournies par les stations météo, WebCOMSAG). L’investissement dans des sondes de suivi de l’état hydrique du sol couplé à une station météo est onéreux (800€ à 1200€ en moyenne en fonction du type de sondes) et, de ce fait, difficilement déployable à grande échelle.
Dans un contexte de changement climatique et en tant que président du Syndicat des Producteurs de Semences de Maïs du Tarn (SPSMT81), il a souhaité avec d’autres représentants du syndicat, inciter les adhérents à améliorer l’efficience de l’eau d’irrigation grâce au pilotage. Pour cela, il leur fallait trouver un outil d’aide à la décision simple d’utilisation pour les agriculteurs, ergonomique, fiable et peu couteux.
Solutions et résultats
L’outil Irré-LIS®, développé par ARVALIS, est un outil simple d’aide à la décision pour le pilotage de l’irrigation, disponible sous forme d’interface web et nécessitant peu de paramétrages. Destiné avant tout aux exploitants agricoles, sur l’ensemble du territoire métropolitain, il est basé sur l’estimation du bilan hydrique à partir de deux réservoirs de taille variable : le réservoir utile racinaire et le réservoir utile sous racinaire, qui permettent la prise en compte de la croissance des racines au fur et à mesure de l’avancée du cycle cultural (figure 2).
La localisation de la parcelle sert à spatialiser les données météorologiques. Les cinq stations de mesures les plus proches de celle-ci sont utilisées pour évaluer deux paramètres :
- L’ETP qui est estimée au prorata de la distance des cinq stations météo, mesurée par chacune d’entre elle.
- La pluie qui est évaluée sur le même principe, sachant que sont considérées uniquement les stations pour lesquelles il a plu.
À partir de la mesure de données météorologiques spatialisées (évapotranspiration potentielle (ETP) et pluie) et la saisie de données parcellaires fournies par l’agriculteur (localisation, cultures, variétés, dates de semis et de plantation, présence d’une culture intermédiaire, type de sol et valeur de réserve utile), il calcule, en temps réel :
- L’état de la réserve en eau du sol et son état prévisionnel à sept jours, hors pluie éventuelle.
- Les dates prévisionnelles des stades de développement des différentes cultures présentes sur la parcelle. Ces dernières jouent un rôle important dans leur sensibilité au stress hydrique et les prévisions des prochains jours.
- Les évapotranspirations potentielles.
Les résultats sont donnés sous forme de tableaux ou de graphiques et c’est l’agriculteur, après consultation de ces données, qui décide quand irriguer. La visualisation des résultats graphiques facilite sa prise de décision. Ainsi, il doit suivre la courbe bleue qui représente le déficit en eau du sol. Son objectif est que celle-ci ne passe pas en dessous de la courbe rouge représentant la réserve en eau facilement utilisable par la plante, seuil en dessous duquel la culture sera en stress hydrique. Si le déficit hydrique atteint zéro, le modèle calcule du drainage. Cette simulation peut être réalisée sur 10 parcelles différentes permettant ainsi de couvrir les situations agropédoclimatiques de l’exploitation.
La démarche d’incitation à l’utilisation de l’outil Irré-LIS® pour le pilotage de l’irrigation grâce à la souscription à un abonnement collectif et à la prise en charge d’environ 2/3 du montant de la cotisation pour chaque exploitant par le SPSMT81 a porté ses fruits puisque, en 2021, le syndicat compte 16 adhérents qui pilotent leur irrigation grâce à cet outil. M. Vincens en fait partie et, même s’il ne connait pas le volume exact d’eau économisé grâce au pilotage, il a pu noter le gain d’un tour d’eau, l’amélioration nette de l’efficience de l’irrigation par un meilleur fractionnement des arrosages, ainsi qu’un arrêt plus précoce possible de celle-ci en fin de saison.
Limites et conditions de réussite
- L’outil Irré-LIS® ne fonctionne que pour certaines cultures :
- Maïs (conso, doux, semence).
- Blé (dur, tendre).
- Orge de printemps.
- Pomme de terre.
- Soja.
- Tabac.
- Epinard.
- Haricot.
- Sorgho.
- L’abonnement à celui-ci ne peut se faire que de manière collective. En effet, la fiabilité de la simulation en temps réel du bilan hydrique de la parcelle étant conditionnée à la précision du paramétrage des données d’entrée et notamment à la juste évaluation de la réserve utile du sol, sa prise en main nécessite un accompagnement. Celui-ci est rendu possible par une souscription collective par l’intermédiaire de groupements (coopératives agricoles, négoces, Chambres d’agriculture, CETA, syndicats de producteurs…). Des formations peuvent alors être organisées en début de saison d’irrigation pour aider les agriculteurs à prendre en main l’outil mais aussi à évaluer la réserve utile de leur sol. D’autres sessions d’échange, en fin de saison, afin de présenter et comparer les résultats obtenus par les différents utilisateurs, permettent une lecture plus riche des résultats obtenus et un échange de conseil entre les différents agriculteurs.
- Même si l’outil Irré-LIS® a prouvé sa fiabilité et reste une bonne alternative, peu coûteuse de pilotage de l’irrigation, l’estimation du bilan hydrique à partir de sondes de suivi de l’état hydrique du sol reste toujours plus précise qu’une évaluation par un modèle de calcul (sous réserve d’un bon paramétrage de celles-ci).
Aspects économiques
L’outil Irré-LIS® est commercialisé par ARVALIS sous la forme d’une souscription collective annuelle. Celle-ci comprend un forfait dont le montant est variable selon la culture, auquel il faut rajouter une cotisation par agriculteur. Le coût de revient pour chaque agriculteur dépend de la prise en charge de la structure signataire du contrat et peut varier entre 100€ et 400€ à l’année.
Témoignage
"Les résultats obtenus grâce au modèle Irré-LIS® sont fiables. La simulation du bilan hydrique en temps réel et sur l’ensemble du cycle cultural, ainsi que la visualisation intuitive rendue possible par le graphique, apportent un réel confort pour l’agriculteur dans sa prise de décision et ce, pour l’ensemble de ses travaux quotidiens sur l’exploitation. Grâce à la pente de la courbe bleue (déficit en eau du sol), il peut approximativement évaluer le temps qu’il lui reste avant que la culture ne passe en stress hydrique et peut ainsi adapter et anticiper son travail quotidien. Il est alors rassuré pour lancer des travaux qui seraient parfois plus prioritaires. Attention toutefois à la prise en main de l’outil qui nécessite un accompagnement. La fiabilité de l’outil est dépendante de la bonne estimation des données d’entrée et une mauvaise évaluation peut avoir des conséquences sur le pilotage de l’ensemble de la saison culturale. Notamment, investir dans un pluviomètre et ainsi mesurer la pluviométrie locale sur sa parcelle permet d’améliorer la précision du pilotage." Pierre Vincens, producteur de maïs semence dans le Tarn et président du SPSMT81 qui utilise l’outil Irré-LIS® en complément de ses tensiomètres depuis 2020.
Source
Cet article a été rédigé grâce à l'aimable contribution de Bonnes Pratiques pour l'eau du grand Sud-Ouest.