Amélioration de la gestion collective des prélèvements d’irrigation

De Triple Performance
Aller à :navigation, rechercher

BPEGSO Hydrim.jpg

L’Organisme Unique de Gestion Collective (OUGC) Cogest’eau développe depuis 2017 un projet d’appui intégré à la gestion de l’irrigation et de l’étiage sur le bassin de la Charente-Amont en vue de l’adéquation entre la ressource et les besoins en eau. Il a notamment créé la plateforme web Hydrim pour collecter et échanger en temps réel des données sur les prélèvements d’irrigation. Cet outil permet à l’OUGC de répartir les prélèvements selon les besoins hebdomadaires de ses irrigants et de suivre leur consommation d’eau. Les informations collectées sur la plateforme sont également transmises aux gestionnaires des barrages pour le soutien à l’étiage du fleuve Charente.

En 2020, plus de 90% des 550 adhérents de l’OUGC Cogest’eau utilise la plateforme Hydrim et les différents modules associés.  Cette très forte participation des irrigants a permis à l’OUGC d’instaurer des tours d’eau à l’échelle des sous-bassins versants et ainsi de limiter la tension sur la ressource en période de crise. De plus, cela a favorisé la collaboration entre l’OUGC et l’Etablissements Publics Territoriaux de Bassin (EPTB) Charente sur les différents projets liés à la gestion quantitative du fleuve Charente.

Contexte

Etat des sous-bassins de la Charente-Amont par rapport à la pression des prélèvements d’irrigation (DREAL, 2020).

Sur le bassin Charente-Amont, l’EPTB (Etablissements Publics Territoriaux de Bassin) Charente assure la gestion des étiages depuis les années 1980. Malgré la construction des deux barrages réservoirs de Lavaud (10 millions m3) et de Mas-Chaband (14 millions m3) pour réalimenter le fleuve Charente en période estivale, ces dernières années ont été marquées par la sévérité des étiages.

Selon l’étude prospective Charente 2050, le déficit hydrique estival annuel de l’ordre de 50 millions de m3 en année sèche serait compris entre 75 et 100 millions de m3 en 2050. Le territoire présente en effet une insuffisance chronique des ressources en eau par rapport aux besoins et a été classée en Zone de Répartition des Eaux. En particulier, près des deux tiers du bassin sont en pression significative de prélèvement irrigation au titre de l’état des lieux du SDAGE (Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux ).  Sur ce périmètre, environ 14 000 ha de cultures sont irrigués (principalement du maïs et du blé) soit environ 7% des surfaces agricoles[1] .

Afin de répartir la ressource entre les 550 irrigants du bassin, la coopérative Cogest’eau a été désignée OUGC (Organisme Unique de Gestion Collective) en 2013.

Problématique et objectifs

Dès 2013, l’OUGC Cogest’eau a commencé à réfléchir aux moyens à mettre en place pour améliorer la gestion collective de l’irrigation. En 2017, il lance son projet d’appui technique à la gestion intégrée de l’irrigation et de l’étiage. L’objectif est double : il s’agit de favoriser en temps réel l’adéquation entre les ressources disponibles et les besoins en eau des irrigants, mais également de permettre à l’OUGC de se positionner en véritable gestionnaire des prélèvements. D’un point de vue opérationnel, cela s’est traduit par la mise en place en 2018 de la plateforme web Hydrim, un outil de collecte et d’échange de données dynamiques entre l’OUGC et les irrigants-préleveurs.

Solutions et résultats

Le projet d’appui technique à la gestion intégrée de l’irrigation et de l’étiage comporte plusieurs actions développées en parallèle par l’OUGC Cogest’eau depuis 2017 :

  • Acquisition de données pour améliorer la connaissance du fonctionnement de la ressource et des pratiques agricoles (sondes capacitives et piézométriques).
  • Mise en place de la plateforme web Hydrim pour la collecte et l’échange de données sur l’irrigation.
  • Développement des modules de simulation d’irrigation "tours d’eau" et "irrid" et de modélisation "CycleauPE".
  • Partage d’informations avec l’EPTB et le département Charente pour la gestion du soutien à l’étiage via les lâchers des deux barrages (24 millions m3).

Cette fiche bonnes pratiques s’intéresse spécifiquement à la plateforme web Hydrim et aux modules qui en découlent.


BPEGSO Hydrim EtapesProjet.jpg

Hydrim

Dès 2017, Cogest’eau a débuté la conception d’une plateforme web de collecte et d’échanges de données. Co-construite avec le bureau d’études Eaucea et les agriculteurs-irrigants, la plateforme a été pensée pour être la plus intuitive possible, tout en étant évolutive pour s’adapter aux besoins futurs des agriculteurs. Elle a été lancée à l’occasion de la campagne 2018 simultanément pour tous les irrigants du bassin Charente-Amont, sans distinction de type de ressources prélevées ni du sous-bassin de prélèvement.

Aussi, un important travail de sensibilisation et d’accompagnement des agriculteurs a été nécessaire pour atteindre un taux de participation suffisant. Si l’acceptation était mitigée en 2018, le nombre d’utilisateurs a progressivement évolué pour concerner plus de 90% des irrigants de l’OUGC en 2020.

La plateforme Hydrim permet de collecter différents types de données auprès des irrigants, selon la période de l’année :

  • A l’automne : Chaque irrigant renseigne ses besoins en eau pour la prochaine campagne d’irrigation.
  • Au printemps : Les irrigants précisent des informations sur les caractéristiques de leur exploitations (cultures et surfaces irriguées, RFU (Réserve Facilement Utilisable), date de semis et des principaux stades culturaux).
  • Pendant toute la campagne d’irrigation : Les irrigants renseignent leur index de prélèvement tous les jeudis.


Depuis la campagne 2019, les index de prélèvements hebdomadaires sont transmis aux quatre DDT (Direction Départementale des Territoires) du périmètre (Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres et Vienne) grâce à un mode "police de l’eau". De même, les formulaires pour la redevance irrigation de l’Agence de l’eau sont pré-remplis avec les données d’Hydrim. Ces simplifications des procédures annuelles de déclaration des prélèvements d’eau a largement facilité l’acceptation de l’outil par les irrigants. De plus, cela a permis de diminuer les erreurs de saisie des index par les irrigants et ainsi de réduire le temps de travail de Cogest’eau consacré à la correction des incohérences de données. Plus globalement, ce travail de fiabilisation des données a amélioré les relations entre l’OUGC et les services de l’Etat.


Par ailleurs, l’OUGC collabore avec l’EPTB Charente dans le cadre de ce projet d’appui à la gestion intégrée et technique de l’irrigation et de l’étiage. Depuis 2017, Cogest’eau transmet au printemps les données réelles d’assolement et de date de semis aux gestionnaires des barrages qui permettent à l’EPTB d’estimer les besoins en eau des cultures selon les stades de développement. Grâce au développement d’un script de récupération automatique des données récoltées sur la plateforme Hydrim, ces informations alimentent directement le modèle de simulation des lâchers de barrage de l’EPTB. Elles contribuent ainsi aux prises de décision des gestionnaires de barrage sur les réalimentations du fleuve Charente. L’interprétation des sorties du modèle est également facilitée par des échanges réguliers entre l’OUGC et l’EPTB sur les pratiques quotidiennes d’irrigation des agriculteurs. Depuis 2020, Cogest’eau alimente également la version charentaise de la plateforme e-tiage avec les bilans des assolements annuels déclarés par les irrigants.


Exemple de valorisation par la plateforme e-tiage des données sur les assolements.



Pendant la campagne d’irrigation, l’ensemble des usagers de l’eau du bassin Charente-Amont se réunit tous les mardis lors de réunions de concertation. Les données des plateformes Hydrim et e-tiage sont utilisées pour décider du partage de la ressource entre les différents usages et des éventuels arrêtés de restrictions des prélèvements d’eau. Selon l’état de la ressource, Cogest’eau peut être amené à mettre en place des mesures de gestion anticipées sur certains sous-bassins versants afin d’éviter les situations de crise.


Par ailleurs, les données de la plateforme Hydrim sont valorisées en interne avec le développement de deux modules de simulation de l’irrigation. Le premier module "tour d’eau" permet de calculer un pourcentage hebdomadaire volumétrique identique à l’ensemble des groupes de tour d’eau à partir du recensement des assolements réels. Il permet ainsi de lisser les prélèvements en maîtrisant la demande de débit instantanée. Tout comme pour les prélèvements, ces données sont transmises à l’EPTB afin qu’elles soient intégrées dans les simulations de gestion des lâchers de barrage.


Exemple de calendrier de tour d’eau mis en œuvre en 2017 par Cogest’eau.


Le deuxième module "Irrid" est un outil de simulation des consommations estimée et prévisionnelles. Ces données sont calculées à partir des assolements déclarés par les irrigants sur la plateforme et les données de température, d’ETP et de météo transmises par l’EPTB. Il permet ainsi le suivi des consommations d’eau pour chacun des irrigants et l’OUGC :

  • A l’échelle de l’exploitation agricole : le suivi accessible sur l’interface Hydrim permet à l’irrigant de comparer les simulations théoriques des besoins en eau de ses cultures (selon l’assolement déclaré) à ses pratiques réelles. Il peut également visualiser le volume d’eau consommé par rapport à son volume annuel autorisé.


Exemple de graphiques de suivi des consommations en eau à l’échelle d’une exploitation agricole.


  • A l’échelle du bassin versant : le module "Irrid" permet de visualiser la simulation cumulative des débits prélevés et ainsi d’anticiper les besoins des irrigants, notamment en période de restrictions


Exemple de graphiques de suivi des consommations en eau à l’échelle d’un bassin versant.


Enfin, un module de modélisation hydrologique "CycleauPE" est en cours de développement. L’objectif est d’obtenir une connaissance approfondie des relations pluie/débits pour estimer les impacts des prélèvements agricoles sur la ressource en eau à l’échelle des sous-bassins versants de la Charente-Amont. Ces modèles complexes nécessitent cependant des temps de calcul importants et une expérience de la modélisation. Afin d’en faciliter l’utilisation par les gestionnaires de l’eau, ils ont été transcrits dans un modèle empirique GR4J (Génie Rural à 4 paramètres journaliers) dont les résultats sont directement visualisables sous Excel.

Limites et conditions de réussite

La plateforme développée par Cogest’eau facilite la gestion collective des prélèvements d’irrigation pour l’OUGC. Pour autant, plusieurs difficultés ont été rencontrées tout au long de son développement.

  • L’étape de conception de l’outil a nécessité un important travail pour élaborer la base de données et intégrer les particularités de tous les types de prélèvement du bassin Charente-Amont (points de prélèvement, type de ressource, modalités d’irrigation). L’OUGC a travaillé en collaboration étroite avec le bureau d’études Eaucea pour s’assurer que l’outil était adapté à ses besoins. Ce bureau d’étude a également la charge du développement du modèle de simulation de l’EPTB, ce qui facilite grandement les échanges de données entre les deux organismes. Par ailleurs, les fonctionnalités de la plateforme continuent d’être améliorées en réponse aux demandes des agriculteurs.
  • La deuxième difficulté a été de convaincre les irrigants d’utiliser la plateforme Hydrim. Même si elle se veut simple et rapide d’utilisation, les irrigants doivent y renseigner un plus grand nombre de données qu’auparavant (assolement, RFU…) et plus régulièrement (toutes les semaines). La sévérité de l’étiage de 2017 a permis de sensibiliser les agriculteurs à ces enjeux et a ainsi facilité leur adhésion à la plateforme. Avec le temps, ils se sont rendu compte de l’utilité de cet outil pour défendre leurs intérêts auprès des autres usagers du bassin. Cela a renforcé la confiance des irrigants dans l’OUGC.
  • Le plus gros frein à l’acceptation étant l’informatique, l’OUGC a également dû rassurer ses adhérents sur l’utilisation des données récoltées. Désormais, la non-utilisation de la plateforme par certains irrigants s’explique essentiellement par des raisons logistiques (zone blanche, pas d’ordinateur ou de smartphone…). Afin de ne pas exclure ces personnes de la gestion collective de l’irrigation, l’OUGC leur propose des solutions alternatives.
  • La prise en main de l’outil par les irrigants constitue également un obstacle à son déploiement. Aussi, l’OUGC propose un accompagnement technique individuel la première année puis organise des réunions collectives les années suivantes. Un déploiement plus progressif de l’outil Hydrim sur l’ensemble du périmètre de l’OUGC aurait facilité cet important travail d’accompagnement.

Par ailleurs, la collaboration entre l’OUGC et l’EPTB Charente initiée dans le cadre du projet d’appui à la gestion intégrée et technique de l’irrigation et de l’étiage se poursuit au-delà de la plateforme Hydrim. Elle se traduit notamment par la participation de Cogest’eau aux différents projets engagés par l’EPTB sur la gestion quantitative en Charente.

Aspects économiques

Le projet d’appui à la gestion intégrée de l’étiage et de l’irrigation développé par Cogest’eau a été financé à 70% par l’Agence de l’eau Adour-Garonne dans le cadre de l’appel à projet "économies d’eau en agriculture". Les 30% restants sont à la charge de l’OUGC.

L’OUGC Cogest’eau est financé par les cotisations des irrigants, constitué d’une part fixe par préleveur et d’une part variable, selon les volumes autorisés lors de la campagne d’irrigation écoulée et le type de masse d’eau prélevée. Le projet développé par Cogest’eau ces dernières années n’a pas augmenté le montant de cette redevance pour l’agriculteur.

Témoignages

"La plateforme Hydrim facilite la gestion de l’irrigation pour l’OUGC. Même si c’était difficile de convaincre les agriculteurs au début, on a aujourd’hui un bon retour de leur part. Hydrim est une plateforme web spécifiquement adaptée aux besoins de Cogest’eau. Pour mettre en place ce type de plateforme, il est nécessaire de bien réfléchir en amont à son objectif et sa structuration pour que ce soit adapté au contexte de l’OUGC et à son mode de fonctionnement" - Thérèse N’Dah - Animatrice de l’OUGC Cogest’eau.


"Pour développer ce type d’outil, il faut que l’OUGC soit vraiment convaincu de son intérêt. Même si l’EPTB et l’OUGC ont des rôles différents en matière de gestion de la ressource en eau, il est indispensable qu’ils s’échangent les données en toute transparence afin de trouver le bon compromis pour maintenir le bon état des milieux aquatiques tout en permettant de satisfaire les usages de l’eau. Sur le territoire de la Charente-Amont, cela a été facilité par la relation directe entre les lâchers de barrage et la disponibilité de la ressource pour l’irrigation" - Romain Ozog - Chef de projet gestion des étiages de l’EPTB Charente.


"La plateforme Hydrim, c’est un super outil qu’on améliore au fur et à mesure. Elle a permis de mettre en place des tours d’eau sur chaque sous-bassin, adaptés en fonction des besoins des irrigants et de l’état du milieu. Ça a aussi donné une légitimité aux agriculteurs, on sent qu’on est mieux écoutés aujourd’hui et qu’on trouve plus facilement des terrains d’entente avec les autres usagers" - Sébastien Schaeffer - Président de l'OUGC et céréalier (170 ha dont 70 ha irrigués).

Partenariat - Portail.png

Cet article a été rédigé grâce à l'aimable contribution de Bonnes Pratiques pour l'eau du grand Sud-Ouest. 2022.

BPEGSO.png


Sources

Améliorer la gestion collective des prélèvements d’irrigation (Hydrim) - Bonnes pratiques pour l'eau du grand sud-ouest.






  1. (DREAL Occitanie, 2020)
Partager sur :