Paludiculture
La paludiculture est une forme d'agriculture et parfois de foresterie, pratiquée sur des terres humides, notamment les tourbières.
Qu’est-ce que la paludiculture ?
La paludiculture consiste à planter des cultures, plus rarement à faire pâturer certains animaux d'élevage, qui supportent bien les conditions humides. Le nom provient de "palus", le mot latin pour marais. Comme décrit par certains partisans de la pratique : "la paludiculture associe la conservation des tourbières à l'agriculture"[1].
Une publication de 2021 de la FAO propose une définition plus détaillée : "La paludiculture permet de produire de la biomasse à partir des tourbières humides ou réhumidifiées dans des conditions qui préservent l'intégrité de la tourbe, facilitant l'accumulation de tourbe et assurant la fourniture des services écosystémiques des tourbières"[2].
Qu'est-ce qu'une tourbière ?
Une tourbière naturelle est un écosystème de zone humide dans lequel plus de matière organique est produite qu'elle n'est décomposée. La matière organique, comme les plantes mortes et les mousses, s'accumule dans les zones humides. En raison des conditions environnementales spécifiques : une saturation en eau presque permanente et un manque d'oxygène, cette matière organique se transforme en tourbe.
Que peut-on cultiver sur des terres humides ?
L'objectif en paludiculture est de maintenir des niveaux d'eaux élevés qui maintiennent la tourbe complètement saturée pour la préserver dans le sol. Les activités qui ont toujours existé sur les tourbières naturelles, telles que la cueillette de baies, la cueillette de champignons, et la culture de plantes alimentaires, notamment la myrtille, le céleri, la canneberge, l'ortie, le cresson de fontaine et le poivre d'eau, qui prospèrent dans ces conditions, pourraient être classées comme de la paludiculture. Ces dernières années, de nouvelles cultures ont été mises en œuvre et évaluées, pour fournir des sources de revenus sur les terres humides et réhumidifiées.
Les plantes de paludiculture doivent :
- Etre adaptées aux niveaux d'humidité élevés.
- Produire de la biomasse aérienne ayant des utilisations économiques.
Les nouvelles plantes explorées qui répondent à ces deux critères comprennent les roseaux, les massettes (typha ou quenouille), les mousses de tourbe, le papyrus, les laîches et d'autres graminées.
Ces nouvelles cultures mettent l'accent sur la production de matières premières pouvant être utilisées dans la construction, telles que l'isolation ou dans la fabrication. Certaines plantes peuvent également être utilisées pour l'alimentation animale ou pour produire des matériaux d'emballage ou des produits chimiques d'origine biologique. Les mousses de tourbes, les massettes et les roseaux produisent également une variété de matières premières pour l'horticulture.
De plus, il est également possible de faire pâturer du bétail, surtout des bovins, sur les parties les plus sèches des terres humides. Des buffles d'eau ont même été introduits dans les tourbières européennes. Selon le centre allemand Griefswald Mire, qui oeuvre pour la préservation des tourbières, il y a environ 70 fermes avec 1 500 buffles d'eau en Allemagne, par exemple[3]. En raison de leurs larges sabots, les buffles d'eau peuvent se déplacer plus facilement sur les pâturages humides que les bovins.
Si l'élevage de bétail sur les tourbières peut être qualifié de paludiculture, cette pratique doit cependant être soigneusement surveillée. Le surpâturage peut entraîner la dégradation des tourbières, ce qui explique pourquoi l'élevage est plus rarement au centre des initiatives de paludiculture.
Pourquoi la paludiculture suscite de plus en plus d’intérêt ?
La tourbe est un puits de carbone, ce qui signifie qu'elle est capable d'absorber et de stocker de grandes quantités de dioxyde de carbone. Même si elles ne représentent que 3 % de la surface des terres dans le monde, les tourbières stockent près de 30 % de tout le carbone stocké dans le sol. En Europe seulement, les tourbières stockent cinq fois plus de carbone que les forêts.
En revanche, les émissions des tourbières drainées et dégradées sont extrêmement élevées. À l'échelle mondiale, elles représentent presque le double des émissions de CO2 de l'aviation[4]. La paludiculture contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre en empêchant l'oxydation de la tourbe.
La paludiculture peut permettre un équilibre entre cultiver des terres tout en stockant des grandes quantités de carbone, en travaillant avec les conditions humides plutôt qu’en les combattant.
La vidéo suivante (en anglais, sous-titrée en anglais) de l’organisation allemande Griesfwald Mire Centre, donne un aperçu de projets de paludiculture.
Quelle est la superficie des tourbières en Europe et des terres qui pourraient être restaurées en tourbières ?
Les tourbières se trouvent dans tous les pays d'Europe, à l'exception de Malte. Elles sont toutefois concentrées en Europe du Nord-Ouest, en Europe de l'Est et dans les pays nordiques. En Europe du Sud, les tourbières sont moins courantes. Près de 6 % de la superficie totale en Europe est couverte par une couche de tourbe naturelle de plus de 30 cm d'épaisseur. Si l'on inclut les tourbières moins profondes, la superficie totale est de 100 millions d'hectares, soit environ 10 % de la superficie totale[5].
En Europe, plus de la moitié des tourbières d'origine ont été perdues ou converties. Seules quelques-unes sont actuellement en bon état écologique, malgré leur importance environnementale. La dégradation des tourbières continue principalement à cause de l'action humaine : notamment le drainage pour l'agriculture intensive, la sylviculture et l'extraction de la tourbe. Les tourbières ont également été drainées pour le développement urbain, industriel et infrastructurel. Plus récemment, de vastes zones de tourbières ont été défrichées pour la création de réservoirs d'eau ou l'installation d'éoliennes[6].
La carte suivante présente la couverture terrestre des tourbières à partir de données de 2017.
Après l'Indonésie, le fort degré de dégradation des tourbières en Europe fait d'elle, le 2ème plus grand émetteur mondial de gaz à effet de serre provenant des tourbières drainées. Cependant, l'Indonésie rectifie actuellement cela avec un plan de réhumidification ambitieux. En revanche, l'Europe est très en retard. L’Indonésie a déjà réhumidifié plus de 20 fois la superficie que l'Europe a réhumidifiée dans toute son histoire[6].
Comment les agriculteurs peuvent-ils adopter la paludiculture ?
Passer d'un modèle agricole basé sur le drainage des terres à la paludiculture sur des terres humides ou réhumidifiées n'est pas simple. Ils doivent :
- Augmenter le niveau de l'eau, notamment en bloquant les systèmes de drainage,
- Se renseigner et se former à de nouvelles cultures,
- Établir ces nouvelles cultures,
- Acheter de nouveaux équipements de plantation et de récolte.
En effet, les tourbières ont une capacité portante très faible, même avec une couverture végétale, et ne peuvent pas supporter beaucoup de véhicules agricoles. Des véhicules exerçant une faible pression sur le sol sont nécessaires pour cultiver les sols tourbeux humides.
Quels sont les autres avantages de la réhumidification des sols en plus du stockage du carbone ?
- Prévention des inondations et stockage d'eau. Surtout dans le cas d'anciens terrains humides situés dans les bassins versants des rivières, la capacité des sites de paludiculture à stocker et à libérer de l'eau est un avantage significatif.
- Filtration de l'eau. Certaines cultures sont des filtres à eau extrêmement efficaces. Dans divers pays en Europe, les compagnies des eaux commencent à payer pour des systèmes de filtration en amont, comprenant des plantes que l’on retrouve en paludiculture, pour améliorer la qualité des rivières[8].
Les défis de la paludiculture
La mise en place de la paludiculture présente cependant toute une série de défis qui peuvent entraver son adoption.
L'un des principaux défis est le coût de transition vers cette pratique agricole durable. La restauration des tourbières pour la paludiculture nécessite une planification approfondie et des investissements dans des infrastructures pour maintenir des niveaux d'eau élevés, ce qui peut être financièrement exigeant. De plus, des machines spécialisées sont souvent nécessaires pour récolter les cultures de paludiculture dans des conditions humides. Les agriculteurs font face à des coûts initiaux considérables[9]. Sans subventions, la paludiculture est moins économiquement viable que l'agriculture conventionnelle basée sur le drainage à court terme.
De plus, la paludiculture est toujours considérée comme un domaine émergent. Les chercheurs et les agriculteurs s'efforcent d'identifier et de développer des produits rentables adaptés à la culture des tourbières réhumidifiées pouvant rivaliser avec les cultures agricoles traditionnelles. Des recherches supplémentaires sont essentielles pour le succès à long terme de la paludiculture[10].
Surmonter ces obstacles nécessitera des efforts concertés dans la recherche et les soutiens financiers pour faciliter la transition vers une utilisation plus durable des terres et contribuer à la préservation de ces écosystèmes tourbeux vitaux.
En résumé
- Les tourbières sont des écosystèmes de zones humides où plus de matière organique est produite que décomposée, ce qui entraîne l'accumulation de tourbe dans le sol.
- La paludiculture est une forme d'agriculture et parfois de sylviculture pratiquée sur des terres humides, en particulier les tourbières, pour conserver les écosystèmes tourbeux tout en produisant également des ressources économiques.
- La paludiculture attire l'attention car elle contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre en empêchant l'oxydation de la tourbe, qui stocke une quantité importante de carbone. Par le passé, l'Europe comptait d'importantes zones de tourbières, mais bon nombre d'entre elles ont été dégradées en raison des activités humaines, ce qui fait de l'Europe un important émetteur de gaz à effet de serre provenant des tourbières drainées.
- Les plantes courantes de la paludiculture, qui prospèrent dans des environnements très humides et ont des utilisations économiques, incluent les roseaux, les mousses de tourbe, les joncs, le papyrus, les aulnes, les laîches et autres herbes.
- Les agriculteurs souhaitant adopter la paludiculture ont besoin de subventions pour soutenir les changements dans les pratiques de gestion des terres.
- ↑ Heinrich-Böll-Stiftung, Succow Stiftung, BUND für Umwelt und Naturschutz Deutschland and Global Peatlands Initiative. (2023). Peatland Atlas, Facts and figures about wet climate guardians. Page 38.
- ↑ FAO. (2021). Recarbonizing Global Soils: A technical manual of recommended management practices. Page 179.
- ↑ Griesfwald Mire Centre. (2019). Study Tour Guide Paludiculture in Northern Germany. Page 27.
- ↑ Heinrich-Böll-Stiftung, Succow Stiftung, BUND für Umwelt und Naturschutz Deutschland and Global Peatlands Initiative. (2023). Peatland Atlas, Facts and figures about wet climate guardians. Page 20
- ↑ Heinrich-Böll-Stiftung, Succow Stiftung, BUND für Umwelt und Naturschutz Deutschland and Global Peatlands Initiative. (2023). Peatland Atlas, Facts and figures about wet climate guardians. Page 42
- ↑ 6,0 et 6,1 Heinrich-Böll-Stiftung, Succow Stiftung, BUND für Umwelt und Naturschutz Deutschland and Global Peatlands Initiative. (2023). Peatland Atlas, Facts and figures about wet climate guardians. Page 43
- ↑ Wetlands International (2016) Peat for speed in land sector mitigation and adaption.IMCG Bulletin November 2016.
- ↑ CANAPE Project. (2023). Your Pocket Guide to Sustainable Peatland Farming, 2023, by the CANAPE project (Creating A New Approach to Peatland Ecosystems). Page 6
- ↑ IUCN UK. (2023). Principles for Sustainable Peatland Paludiculture. Page 5
- ↑ FAO. (2021). Recarbonizing Global Soils: A technical manual of recommended management practices. Page 183