Le statut juridique de la location d’un étang piscicole
La pisciculture est l’élevage de poissons. L’agriculture est l’exploitation d’un cycle de vie animal ou végétal. Juridiquement, la pisciculture est donc de l’agriculture, sans aucun doute. Et en cas d’exploitation d’un bien agricole contre le paiement d’un loyer, le statut du fermage s’applique de plein droit. Ainsi le statut du fermage, dont les règles d’ordre public sont détaillées par le Code rural, s’applique aux locations d’étangs servant à élever du poisson.
Mise en contexte
En pratique, autour des étangs de Brenne dans l’Indre (36), on discute de baux d’un an renouvelables, d’accord de partage de charges et des gains moitié/moitié. En droit, la requalification du contrat en bail à ferme de neuf ans ne fait pas de doute, et pourquoi pas de métayage.
Toutes les règles du statut du fermage s’appliquent aux étangs et bassins exploités contre une location : une durée de neuf années tacitement reconductible, un droit de préemption du fermier, un droit de cession de bail aux enfants, les règles de répartition des travaux et enfin l’encadrement des loyers.
La durée du bail
Le bail d’un an n’existe pas, ou est tellement applicable dans un cas rare de mineur propriétaire qu’il n’est qu’anecdotique. Le bail de 3-6-9 ans n’a jamais existé en agriculture. La convention pluriannuelle d’exploitation ou de pâturage en Grande Brenne qui est dérogatoire au statut du fermage, ne s’applique qu’aux terres, pas aux étangs. La durée du bail portant sur un étang est de neuf années tacitement reconductible de plein droit.
Par dérogation, le bail de petite parcelle, précaire d’une année renouvelable, pourrait s’appliquer si le contrat portait sur une petite surface, inférieure à 2,5 ha pour la Brenne par exemple.
Il est même recommandé pour un propriétaire de conclure un bail à long terme de 18 ou 25 ans, pour lui permettre de bénéficier des avantages fiscaux en matière de donation ou succession. En effet l’abattement de trois quarts de la valeur pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit n’est pas anodin.
Il existe un abattement similaire dit « Natura 2000 » mais dont l’application est moins sécurisée, puisqu’elle est conditionnée à la signature d’un avec un engagement de gestion conforme aux objectifs de conservation de ces espaces protégés
Le droit de préemption
En cas de vente d’un étang, le fermier a son droit de préemption : il a le droit d’acheter en priorité aux prix et conditions qui lui sont notifiés par le notaire chargé du compromis de vente. Mais en plus, si le fermier décidait de ne pas acheter, il resterait tout de même locataire du nouveau propriétaire. Peut-être que ce nouveau propriétaire bailleur pourra mettre fin au bail dans les conditions limitatives de congé pour reprendre pour exploiter par lui-même au moment du renouvellement des neuf ans. Si une résiliation anticipée devait être négociée, elle ouvrirait droit à une indemnisation du fermier pour la perte de la surface louée et des revenus qu’il aurait pu retirer sur le bien loué jusqu’au prochain renouvellement de son bail.
Ce droit de préemption est à articuler en rang deux après le droit de préemption des collectivités publiques sur les zones humides ou les zonages spécifiques[1].
La répartition des travaux
Comme dans toute location, le propriétaire doit assurer les travaux de gros œuvres, de gros entretien, et le locataire le menu entretien locatif. Dans le Code civil (article 606), il est bien précisé que l’entretien des berges est à la charge du propriétaire. Dans le statut du fermage, il n’est pas possible de déroger à cette règle, le propriétaire ne peut pas imposer des travaux supplémentaires à son fermier. Si le fermier les réalisait volontairement, il aurait droit en fin de bail à une indemnisation pour amélioration du bien loué [2].
L'encadrement des loyers
Le loyer doit être déterminé entre un minimum et un maximum fixé annuellement par arrêté préfectoral. Pour l’année 2023-2024 dans l’Indre, la valeur locative annuelle pour les piscicultures est comprise entre le minium de 82,11 €/ha et le maximum de 136, 88 €/ha. Et ce loyer est indexé sur l’indice national des fermages.
Le bail rural à clauses environnementales
Les étangs étant souvent implantés dans des zones protégées, telles que zones Natura 2000, zones humides, bords de littoraux, réserves naturelles, parcs naturels régionaux, le bailleur pourra demander d’insérer dans le bail à conclure des clauses environnementales prévues aux articles L. 411-27 et R411-9-11-1 du code rural et de la pêche maritime, telles que :
- 3° Les modalités de récolte ;
- 11° Les modalités […] de gestion des niveaux d'eau ;
- 13° La création, le maintien et les modalités d'entretien de haies, talus, bosquets, arbres isolés, arbres alignés, bandes tampons le long des cours d'eau ou le long des forêts, mares, fossés, terrasses, murets ;
- 15° La conduite de cultures ou d'élevage suivant le cahier des charges de l'agriculture biologique.
Dans ce cas, le fermier pourra négocier en contrepartie un loyer minoré.
Activités civile et commerciale liées, conséquences sur les formes sociales et la fiscalité
La vente des poissons élevés dans les étangs par l’exploitant pisciculteur est bien une activité agricole et relève des bénéfices agricoles (BA). Par contre les pisciculteurs peuvent également réaliser des prestations de pêche d’étangs et acheter le poisson pêché pour le revendre. Il s’agit alors de commerce et relève des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Ensuite, reste à déterminer ce qui est l’activité principale ou accessoire pour déterminer le régime fiscal applicable.
Du fait d’une double activité agricole et commerciale, souvent les pisciculteurs choisissent soit :
- de créer deux entités exploitantes
- soit de faire le choix d’une société de forme commerciale (SARL, SAS…)
pour exercer les deux activités ensemble, puisqu’une société commerciale pouvant exercer une activité civile et non le contraire.
Pour autant, peu importe le choix de la forme de la société exploitante et du traitement fiscal ne changera rien à la qualification agricole de la pisciculture et du bail rural sur la location d’un étang ou de bassins piscicoles.
Le bail rural piscicole pourra donc être mis à la disposition de la société à objet principalement agricole (art L. 411-37 Code rural) quelle qu’en soit sa forme juridique ou conclu directement au nom de cette personne morale.
Conclusion
Impossible de déroger au statut du fermage qui est d’ordre public. On peut se mettre d’accord sur tout autre chose entre un propriétaire et un exploitant, mais en cas de conflit, le Tribunal paritaire des baux ruraux appliquera de plein droit le Code rural.
En outre, il est à noter que la pisciculture est en première ligne sur l’application du Code de l’environnement et de la Loi sur l’eau, notamment avec les notions spécifiques des IOTA et d’eau close.
Sources
- Article issu du mémoire de DEA de Droit rural, La Pisciculture en Brenne (Université de Poitiers, 2002) rédigé par Aurélie Brunet. Elle est conseillère en gestion de patrimoine.
La version initiale de cet article a été rédigée par Aurélie Brunet.